Michèle Martin - Condamnée à 15 ans par la justice… et à perpétuité par les médias
Après la couverture de la libération conditionnelle de Michèle Martin [1], en août dernier, deux épisodes à tout le moins rocambolesques ont émaillé les médias. L’entrevue Martin - Lejeune tout d’abord, qui était sensée clôturer le parcours public et médiatique du papa de Julie. On était en droit d’attendre l’évocation d’un moment d’une densité émotionnelle particulière [2] à cent lieues du rebondissement que l’on nous a servi, suite à la chute malencontreuse du téléphone d’un des médiateurs. Et tout dernièrement, l’écho donné à une « promenade de Michèle Martin à Knokke », strict événement de vie privée, lequel aura finalement été monté en épingle au travers notamment, les propos outrés du bourgmestre de la localité. Retour sur ces dramaturgies plus ou moins développées selon les journaux.
Ce jeudi 20 décembre, sous le titre « Michelle Martin aperçue à Knokke », le journal Metro - dont le format impose un traitement bref et circonstancié - énonce ce qu’il y avait lieu de rapporter pour en rester au niveau factuel : Le bourgmestre L. Lippens a été contacté au téléphone par un coiffeur local qui s’est étonné que son personnel ait pu être amené à coiffer Michèle Martin qui s’est présentée dans son salon. L’article du genre « brève » chute sur le fait que ce faisant, l’intéressée « n’est nullement en contravention avec les conditions de sa libération ». Dont acte.
Le journal qui souhaite en dire plus doit choisir un angle d’attaque et rassembler des éléments d’information complémentaires. Donner la parole à tel ou tel relève alors de la ligne éditoriale. Analyser ou commenter aussi.
Les Faits, en bref
La Libre [3] cale une brève en page 13. On n’en sait pas plus que dans Metro, si ce n’est que l’info est relayée de VTM et que l’on apprend que des habitants de Knokke et notamment le bourgmestre Léopold Lippens sont « courroucés ». On rapporte aussi que Michèle Martin aurait déclaré « avoir payé sa dette à la société et qu’on n’avait plus rien à lui dire ». Des propos exprimés au conditionnel, puisque aucun recoupement n’est possible, l’intéressée étant interdite de tout contact avec les médias.
C’est ce même contenu sobre et factuel que L’Avenir [4] met en accroche de Une. En page 4, l’article n’est guère plus développé. Sous le sous-titre « Polémique », le journaliste reprend une dépêche de l’Agence Belga. Se disant « choqué et chagriné », le bourgmestre de Knokke confirme les propos qu’il a tenus sur la chaîne VTM. Il se dit aussi étonné que les autorités communales n’aient pas été averties de ce déplacement. La conséquence qu’il met en avant serait une rencontre fortuite entre Martin et des parents de victimes. Mais l’article chute, lui aussi, sur le caractère non délictueux de cette sortie.
Est-ce parce qu’il est embarqué dans ses numéros Collector à l’occasion de son 125ème anniversaire… toujours est-il que Le Soir [5] choisit de faire on-ne-peut plus sobre sur le sujet. En page 8, une reprise in extenso des propos du bourgmestre de Knokke tels que les publie Sudpresse [6] (voir ci-après), ainsi que la réponse que lui fait le procureur du Roi de Mons.
Avec une accroche en Une titrée « Lippens furieux », La Dernière Heure [7] se lance dans un développement en trois colonnes, page 12, dans la rubrique « Faits ». Le titre choisi est une citation du bourgmestre Lippens : « Michelle Martin n’est pas la bienvenue à Knokke ». L’article est, lui aussi, inspiré de Belga et VTM. Même contenu que dans l’Avenir et Métro. La rédaction revient aussi - en les rappelant brièvement - sur les conditions de libération pour reconnaître qu’elles n’ont pas été enfreintes. Également contacté Me Beauthier, avocat de la famille Lejeune, estime que cette situation est « déplorable ». Il semble ensuite que d’autres sources d’infos puissent étayer le propos de départ : « Michèle Martin aurait été vue aussi sur le marché de Noël de Namur ». La dernière partie de l’article donne la parole à Me Moreau, l’avocat de Michèle Martin qui, au nom du respect de la Constitution, rappelle que le droit est le même pour tout citoyen belge et que le bourgmestre tient là des propos inadmissibles contre lesquels une plainte pourrait éventuellement être déposée.
Chocking, Sudpresse
Comme nous le faisions déjà remarquer dans notre analyse de la couverture des événements du mois d’août [8], la presse locale a un intérêt tout particulier dans cette affaire. Après l’épisode du « coup de téléphone qui tombe et appelle tout seul le journaliste de sa rédaction », Sudpresse a donc choisi de (re)mettre le paquet sur cette nouvelle péripétie de l’affaire Martin. En Une, sur fond de photo du littoral belge, le titre choisi est « Michelle Martin en vacances à Knokke et chez un coiffeur de luxe ! » L’usage du point d’exclamation n’est pas courant dans la pratique journalistique des titres… mais ici, il figure bien comme une appréciation de la rédaction qui ajoute également le sticker « Choquant ! » accompagné lui aussi du point d’exclamation… sans qu’il n’apparaisse qu’il s’agisse d’une citation. En page 21, ce ne sont pas moins de trois journalistes qui sont mis sur l’exploitation de cette péripétie du week-end… pour un traitement en une demi-page, sous six colonnes. Si le titre est déjà évocateur du parti pris « Martin en balade à Knokke », le sous-titre ne laisse plus aucun doute : « Madame a été se faire coiffer chez Dessange ». À nouveau, pas de citation. Juste l’expression personnelle de la rédaction qui s’affiche ici clairement en presse d’opinion.
Insistance dès le chapeau de l’article : Knokke est la « station la plus huppée du pays, la plus m’as-tu-vu… » surtout, alors que la bienséance que réclame le peuple (et dont le journal semble devoir se faire le défenseur) aurait voulu que l’intéressée reste sans doute dans les murs du couvent qui l’accueille. Les infos ne sont pas toutes de première main ici non plus : on cite des collègues du Laatste Nieuws qui mentionneraient la présence aux côtés de Michèle Martin, de deux gardes du corps et d’une assistante de justice, laquelle aurait payé la note de 80 euros pour des soins capillaires que « la femme la plus haïe de Belgique » serait allé chercher à 185 km de chez elle. Reconnaissant « qu’il n’est pas grand juriste », le Bourgmestre Lippens « fulmine », laissant dès lors apparaître dans ses propos une fameuse incompétence : il a pris contact avec le procureur du Roi de Mons pour savoir « si tout cela est normal » et demander pourquoi il n’a pas été personnellement averti de « cette visite qui le dérange ».
Analyses et jugements
Le journal donne donc la parole à Claude Michaux qui, énervé par de tels propos, rappelle que la loi est la même pour tout le monde, y compris à Knokke. La chute de l’article principal rapporte en écho la vision très émue du papa de Eefje Lambrechts, victime de Dutroux, et qui déplore cet épisode auquel il s’attendait, d’une rencontre potentiellement possible avec Michèle Martin, au détour d’une rue. Son regret porte aussi sur le fait que Michèle Martin en usant de sa liberté de mouvement, ne témoigne pas de son sentiment de culpabilité. A l’entendre, comme pour le bourgmestre de Knokke, aller et venir, vaquer à des occupations légitimes devrait lui être désormais refusé, alors que la loi ne le lui interdit pas. Et ce serait Michèle Martin qui devrait, elle-même s’infliger cette peine supplémentaire au jugement de justice.
Deux encadrés accompagnement ce premier développement. Le premier serait de type investigation. « Qui sont les mystérieux accompagnants ? » Le sous-titre contient sans doute un élément de réponse : « Ce n’est pas le boulot d’un assistant de justice d’accompagner un libéré conditionnel à la mer ». Ce que confirme Anne Devos, la directrice des Maisons de Justice. Sans doute faut-il donc conclure que Michèle Martin était en compagnie d’autres personnes… « appartenant à un cercle de personnes de confiance qui s’intéressent à sa situation ». Contacté, Simonis Boulanger, ancien visiteur de prison de Michèle Martin confirme en ce sens. Le second encadré relèverait du type analyse. Intitulé « Une provocation qui laisse sans voix », le texte d’Ambroise Carton opte pour un jugement facile : vacances à Knokke, station huppée, coiffure, resto chic… L’analyse, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme, pose la question de savoir pourquoi l’intéressée a fait 185 km pour se faire coiffer. S’appuyant sur le décompte des frais engendrés, le journaliste conclut à de la provocation et chute sur le pathos d’un éventuel nez à nez fortuit de Martin avec les familles des victimes qui n’auraient d’autres recours que de se taire.
Un non événement ?
Remarquons que tout ce traitement médiatique se situe en aval d’un flash info donné par une télévision flamande. Son contenu est encore disponible en ligne sur le site de la VRT [9]. Cette séquence était loin d’être sensationnaliste. Si les médias francophones avaient voulu en rester à cette sobriété, le lecteur aurait sans doute gagné en objectivité. En effet, on y découvre d’abord l’étonnement du bourgmestre qui croyait naïvement que Michèle Martin était assignée à résidence à Malonne. Très vite, la parole est donnée à une porte-parole des Maisons de peines qui précise non seulement le caractère légal de cette sortie mais sa pleine légitimité du fait que la réinsertion réclame ce genre de retours progressifs à une vie sociale intégrée au quotidien. Mieux, il est précisé - ce qui ne sera repris par aucun journal francophone - que l’assistante de justice était au courant de l’intention de Michèle Martin de se rendre à la côte belge. La supposition est d’ailleurs faite que cette sortie n’est pas la première et sous entend donc alors que celles-ci n’ont jusque là pas engendré le type de commentaires que l’on découvre cette fois. Certes, la fin de la séquence évoque aussi l’indignation à laquelle Michèle Martin devra continuer de faire face, et notamment celle vécue par les parents des victimes. Monsieur Lambrechts témoigne de ses sentiments partagés à l’idée d’une rencontre fortuite avec Martin.
Au terme de cette première journée qui évoque la sortie de Martin à Knokke, on s’aperçoit que peu d’infos nouvelles nourrissent ce que les médias francophones ont resucé de la télé flamande. C’est cela aussi le fonctionnement des médias : on se copie dans l’urgence… on se cite, on use précautionneusement du conditionnel… on file l’info, quitte à ne se donner qu’ensuite le moyen de vérifier et enrichir. Il serait donc aussi intéressant de voir comment la presse continue de traiter un sujet qui est apparu tel un scoop dans sa ligne éditoriale. Les parutions du lendemain (vendredi 21 décembre) mériteraient donc aussi un commentaire analytique.
Michel Berhin
Média Animation
Janvier 2013
[1] Voir notre analyse « Affaire Michelle Martin : faire à la fois de l’info locale et nationale » http://www.media-animation.be/Affaire-Michelle-Martin-faire-a-la.html
[2] La presse avait d’ailleurs commencé de préparer ce terrain en décrivant le sens de la démarche de médiation.
[3] La Libre – Jeudi 20 décembre 2012 – Page 13
[4] L’Avenir – Jeudi 20 décembre 2012 – Une et page 4 Rappelons que la rédaction de ce journal local est basée à Namur. Ville où est domiciliée Michèle Martin depuis son « exil » à Malonne.
[5] Le Soir – Jeudi 20 décembre 2012 – Page 8
[6] Rossel et Sudpresse, groupes de presse désormais associés.
[7] SudPresse : Jeudi 20 décembre 2012