Décoloniser le cinéma : le collectif Raciné en mode « viral »

Le collectif Raciné, contraction des mots « race » et « cinéma », a été fondé par six étudiant·es de l’IHECS, avec l’ambition de dénoncer les problèmes de représentation dont sont victimes les personnes racisées au cinéma. Parti d’une page Instagram, le projet a pris de l’ampleur. Crowdfunding, soirée stand-up avec projection et débats, festivals : le collectif invente et réinvente la manière de valoriser ses messages et ses productions, alliant humour et sérieux, pour mettre au premier plan des expressions trop souvent muselées par des modèles discriminants.

Chaque année, notre festival À Films Ouverts fait le même constat : les courts métrages réalisés dans le cadre du concours rencontrent d’énormes difficultés à être diffusés, rendant peu audibles les messages de tolérance et de lutte contre un racisme institutionnel de plus en plus décomplexé. Dans le cadre du projet CLAP ! Média Animation a décidé de collecter un maximum de bonnes pratiques pour outiller les réalisateurs et réalisatrices, et les aider à valoriser leurs films. « Faire du bruit », c’est d’ailleurs le défi que relève le collectif Raciné, notamment en saisissant les opportunités offertes par la communication digitale.

Avec une mention du festival en poche

Le choix d’un ton humoristique n’est en rien dû au hasard : il fait écho à l’identité des membres et aux codes des réseaux sociaux. « Ça nous représentait bien. On est un groupe qui rigole beaucoup et on voulait faire quelque chose qui nous ressemble. Parler de ce sujet-là, mais pas de manière trop lourde. Car ça permet aussi de mieux le diffuser, parce que la plupart des gens aiment rire. Si les gens peuvent apprendre des choses et passer un bon moment en même temps, c’est tout bénef ». C’est sur base de cette camaraderie et avec une volonté de toucher des publics plus larges que le projet a débuté.

{Les membres du collectif Raciné lors de notre interview.}
Les membres du collectif Raciné lors de notre interview.

Outre les posts de vulgarisation, et les capsules vidéo humoristiques sur Instagram, le collectif Raciné avait présenté un court métrage au concours du festival À Films Ouverts, ressortant de l’événement avec une très jolie mention. « Ce qui était vraiment intéressant, c’était surtout pour nous d’élargir encore notre vision par rapport au chemin qu’on pouvait prendre. Ça nous a permis aussi d’avoir plus de contacts et de voir la réaction des gens. Diffuser Melting-Potes devant toute une salle et entendre les gens rire en direct était déjà super, mais gagner un prix, c’était une fierté personnelle ».

Leur démarche militante, politique, créative, toute en justesse, a séduit le jury du festival. Melting-Potes a permis de « dire les termes vis-à-vis de problématiques liées aux représentations racistes dans l’audiovisuel ».

En ligne, rendre le message « viral »

Développer une stratégie digitale semblait évident, et en phase avec les audiences que le collectif cherchait à toucher. « C’est quelque chose qui est vraiment de notre génération, qui est vraiment de notre âge. Et on trouvait plein de contenus aussi qui se rapprochaient de notre sujet sur Instagram ». L’humour a servi d’appât. En choisissant un ton léger et percutant, le collectif a pu attirer les internautes sur sa page Instagram, pour ensuite proposer des posts de vulgarisation et des interviews au ton plus sérieux, mettant en avant une dimension éducative plus marquée.

Sur les réseaux sociaux, il s’agit aussi d’user de spontanéité et de réactivité pour enfoncer le clou. « Parfois, on n’avait même pas de stratégie spécifique, on sentait qu’il y avait un truc qui fonctionnait et alors on exploitait ça au maximum. Donc, en vérité, il y a certaines stratégies où on pense que ça va marcher et en fait non pas trop. Puis d’autres qui viennent à nous et on les prend avec plaisir ».

Une image issue de l'interview de Mehdi Zekhnini
Le comédien Mehdi Zekhnini « déballe son sac » sur la page Insta du collectif Raciné.

En misant sur les partages des ami·es et des proches, sur le bouche-à-oreille, mais aussi sur les collaborations, interviews et repartages de personnalités du cinéma belge, le collectif a su se mettre en avant. N’ayant pas peur du démarchage, celui-ci a contacté des créateur·trices de contenu et des professionnel·les de l’industrie pour leur proposer des partenariats. Cela n’aboutissait parfois à rien, mais ils et elles en ressortaient tout de même avec de précieux conseils. La collaboration des pros du milieu leur apportait des publics plus vastes, mais aussi un ancrage concret vis-à-vis des problèmes de représentation raciale au sein des métiers du cinéma. « Par exemple, une des personnes qu’on a interviewées est maquilleuse. Elle nous disait qu’en fait, dans son école, elle apprenait juste à maquiller des peaux blanches. Et là, on s’est rendu compte que le problème de la représentation est loin derrière. Ce n’est pas juste ce qui se trouve devant la caméra. Parce que devant la caméra, on se dit que ça évolue. Il y a des films de plus en plus diversifiés. Mais en fait ils ne sont pas forcément représentatifs ». C’est dans chaque rouage de la production cinématographique que la diversité de nos sociétés doit être revalorisée.

Pour rendre les contenus plus visibles, quelques fonds ont été nécessaires tels que ceux que le collectif a obtenus grâce à une campagne de crowdfunding. Ils ont permis de « sponsoriser » les posts les plus accrocheurs et ainsi élargir l’audience au-delà des cercles proches. Pour parfaire la recette, une attention a été accordée au graphisme afin de mettre en valeur les posts et stories de vulgarisation autour des thèmes connexes aux notions de race, de représentation, d’intersectionnalité, destinés à mieux appréhender l’antiracisme.

Enfin, ils sont tellement forgés dans nos habitudes quotidiennes en ligne, qu’on les oublierait presque… Les algorithmes de recommandation. Le collectif a tenté d’exploiter leur mécanisme opaque, pour être « recommandé » plus facilement dans le fil d’actus des utilisateurs : en créant une communauté suffisamment vaste, en sponsorisant certains posts, mais aussi en créant des événements, notamment sa soirée Raciné. Parce que si les réseaux sociaux permettent de se faire entendre, ils servent surtout à favoriser la rencontre « dans la vraie vie », et l’ouverture du débat.

En live, à la rencontre des publics

Lors de leur innovante soirée Raciné, une multitude de stand-uppers a pu traiter des représentations problématiques. « Ce qui était très intéressant aussi dans cette soirée, c’est que, en fait, on pensait que tous les gens qui étaient dans la salle étaient hyper d’accord avec le sujet, pensaient exactement pareil que nous. En fait pas du tout. Ça a amené un débat et c’était hyper curieux de voir ça ». Dans le même but, ils et elles ont réalisé des animations chez Teen ASBL, une association sans but lucratif à destination des jeunes, leur public de choix.

Le Collectif s’est également rendu au festival System-D et au Festival international du film francophone (FIFF) de Namur, rappelant l’importance d’une présence à des événements d’ampleur pour se rendre visible auprès de différents publics.

Des films, des « stratégies de com »

« Nous, on voulait juste faire rire, on ne savait pas que c’était aussi compliqué ». Le collectif n’a pu se faire connaître qu’après de multiples essais-erreurs, des tentatives infructueuses d’écritures de scripts, de tournages, de montages, et de répartition des tâches. « C’est-à-dire qu’au début, on n’allait pas assez loin. Je pense qu’on avait peur. On se freinait un peu parce qu’on se disait c’est tellement dur, mais est-ce qu’on va y arriver ? ». Ne pas avoir peur d’aller au bout de ses idées est la clé du changement, ainsi qu’avoir l’audace de se rater et rebondir, pour porter sa voix toujours plus loin.

Pour promouvoir l’interculturalité et lutter contre le racisme dans le monde du cinéma, le collectif Raciné a savamment agencé une stratégie en ligne et sa continuité hors ligne. À Films Ouverts, de son côté, déploie en 2025 un nouveau partenariat avec différentes télés locales (le Boukè et BX1) afin que soient diffusés les films primés au concours. Pour chaque partenaire du festival, pour chaque autrice et réalisateur, le défi est identique : inventer de nouvelles formes communicationnelles, multiplier les supports et les événements, exploiter chaque opportunité pour permettre aux films et aux messages qu’ils portent de se frayer un chemin vers les publics.

Léa Vanschepdael

Découvrez le collectif Raciné sur Instagram
🎬 Pour un cinéma plus représentatif
📍 Bruxelles
📩 [email protected]

Ceci peut aussi vous intéresser...

Votre court métrage, avec ou sans masque ?

Réaliser un film est un processus exigeant : il s’agit de rassembler un groupe, de multiplier les rencontres pour imaginer une histoire mettant en scène des questions (…)