Les écrans : alliés éducatifs pour l’accueil extrascolaire ?
Quand on évoque le numérique dans le quotidien des plus jeunes, c’est souvent pour en pointer les risques : perte de temps ou entrave supposée à la sociabilité, crainte des mauvaises rencontres ou futilité des activités connectées. Mais les écrans peuvent également être exploités pour les opportunités éducatives qu’ils permettent. Un dialogue étroit entre les jeunes et les adultes, articulé autour d’activités numériques partagées, ouvre la voie à une appropriation plus autonome de ces outils. Comment les secteurs associatifs qui encadrent des jeunes peuvent-ils déployer des démarches spécifiques d’éducation aux médias numériques ?
Depuis l’apparition de l’Internet mobile, l’exploitation des écrans n’est plus cantonnée à certains lieux ou moments. Les enfants et ados des années 90 fréquentaient la salle informatique de leur école une fois de temps en temps, regardaient la télé après les cours et utilisaient éventuellement l’ordinateur familial pour se distraire grâce aux quelques jeux installés. La tablette, le smartphone et l’accès presque permanent à une connexion Internet ont changé la donne : les territoires avec et sans écrans sont perméables. À l’école, de plus en plus d’apprentissages sont médiatisés par les outils numériques (ne serait-ce que l’écran interactif, installé dans de nombreuses salles de classe). Pendant les récréations et intercours, les élèves consultent leurs messages ou parcourent leur fil Instagram. À la maison, les loisirs – regarder des clips musicaux ou se connecter à son jeu favori par exemple – se mêlent à des activités plus sérieuses : on se documente sur YouTube, pour le plaisir ou pour enrichir un devoir scolaire. En 2020 et 2021, « l’école à la maison » en période de confinement, a encore troublé la frontière qui pouvait exister entre le « sérieux » de la vie scolaire et déconnectée et la dimension « ludique et sociale » du numérique exploité à la maison. Entre ces deux pôles, l’école, d’une part, et la maison, d’autre part, les associations qui accueillent des jeunes en dehors de leur scolarité ont l’opportunité de développer une approche éducative singulière, propre à leur objet social.
Avec les parents, avec les jeunes : la vie connectée en débats
La présence des écrans (smartphones en tête) est parfois vue avec circonspection au sein des associations. Les jeunes sont en demande de pouvoir les utiliser librement, et c’est souvent aux intervenant·es éducatif·ves d’en tempérer l’usage, de recentrer l’attention sur l’activité en cours : accompagnement des devoirs, dynamique de groupe, excursion… D’ailleurs, si les projets impliquant des écrans sont moins volontiers à l’agenda des activités prévues par ces associations, c’est parfois par crainte d’entrer en désaccord avec les parents : les écrans n’ont pas toujours bonne presse, et ces derniers pourraient voir d’un mauvais œil que leurs enfants « passent leur temps sur un écran » pendant les activités extrascolaires, au lieu de s’adonner à des activités perçues comme plus vertueuses, plus sociales, « au grand air ».
Une étape préalable à l’intégration du numérique dans les activités extrascolaires est d’intégrer les parents au débat : quels sont les questions qu’ils et elles se posent concernant la vie connectée de leurs enfants ? Quelles sont les problèmes (ou les opportunités) identifiés dans ce domaine ? Quels seraient les enjeux sur lesquels les activités extrascolaires « autour des écrans » pourraient se pencher ? S’ils sont présents tant à la maison qu’à l’école ou dans la structure fréquentée par les enfants, il y a certainement lieu de définir les objectifs partagés par chaque encadrant·e au regard du numérique.
La réticence à prendre en compte les écrans dans l’organisation des activités peut aussi provenir d’une mauvaise compréhension de l’usage qu’en font les enfants, voire d’une peur d’explorer ce territoire « jeune », dont on ne maîtrise pas toujours les codes quand on appartient à une autre génération. On s’expose au risque, en tant que parent ou responsable pédagogique, de fantasmer les usages numériques des jeunes et d’en surévaluer les conséquences négatives. Que font-ils ou elles finalement de ce temps passé à « scroller » sur l’écran tactile ? Quel regard critique est posé par les jeunes sur leurs propres habitudes connectées ?
Démystifier leurs usages en étant à l’écoute des besoins auxquels ces derniers répondent tord invariablement le cou aux idées reçues. L’ouvrage #Génération2020 – Les usages des écrans chez les moins de 20 ans [1] met en lumière la richesse des pratiques, explicitées par les jeunes. Celles-ci touchent à la sociabilité, l’information, l’ouverture sur le monde artistique et culturel, et répondent à un besoin pressant de liberté. Si de nombreux usages anodins sont liés aux aspirations et aux préoccupations typiques d’un enfant ou d’un ado, certains nécessitent l’accompagnement des adultes. Une évidence apparaît ainsi : partager ses pratiques, c’est aussi partager ses expertises. C’est « autoriser » la présence de ces objets aux potentialités infinies, et s’assurer d’un accompagnement momentané de leur utilisation, dans un échange fructueux.
Remettre les écrans à leur (juste) place
Du bannissement pur et simple des écrans de toute démarche pédagogique, on bascule parfois dans l’excès inverse : on surexploite les écrans, on les sollicite en toute circonstance, afin de séduire les publics et s’assurer de leur implication. Mais la réflexion sur le numérique peut aussi s’épanouir sans écran : on peut confronter la vie connectée en toute déconnection. Certaines activités exploratoires et ludiques peuvent précéder un projet de création s’appuyant sur des outils en ligne et sur les potentialités du smartphone ou de la tablette : réaliser un court métrage, lancer un concours photo sur Instagram, produire une story de la sortie culturelle organisée… La complexité des enjeux que mobilise le numérique impose probablement de construire une démarche éducative en plusieurs étapes, favorisant un aller-retour entre pratique et mise en perspective.
Pour les intervenant·es des secteurs de l’accueil temps libre, aborder les questions épineuses induites par le numérique n’est pas chose aisée. C’est souvent le manque de compétences qui freine les envies de lancer un projet autour des écrans, qu’il soit réflexif ou créatif. Et même s’il n’est pas nécessaire d’être expert·e pour amorcer un débat avec son groupe de participant·e∙s, le manque de confiance peut constituer un handicap. Il pousse parfois à convoquer des interventions « prêtes à l’emploi », proposées par des associations tierces, pour mener un projet spécifique mais souvent éphémère. Dès lors, pour les équipes des secteurs de l’accueil temps libre, la clé réside surtout dans la mise sur pied de projets transversaux, à moyen ou long terme.
Consolider sa confiance à exploiter les technologies médiatiques passe notamment par la formation. Par exemple, un programme tel MediaCoach [2] propose un module annuel visant à s’approprier un large panel de méthodes pédagogiques en éducation aux médias et à développer des projets de manière autonome. Il existe également des outils [3] ou applications en ligne, permettant de cheminer de manière ludique dans la mise en pédagogie du numérique.
De l’exploration collective au développement de l’autonomie
Que l’on soit jeune ou pas, le rapport entretenu avec le numérique est nourri d’un paradoxe : l’utilisateur·trice est à la fois seul·e devant un écran, et connecté·e au monde entier. Il ou elle explore des contenus avant de les partager avec ses « ami·es », interagit avec son youtubeur ou son influenceuse préféré∙e, dans un tourbillon de commentaires… Pour les secteurs de l’accueil extrascolaire, l’opportunité est présente de mettre en question ce sentiment d’être « seul·e tous ensemble » : en s’appuyant sur l’expérience des autres, en explorant collectivement les opportunités qui se présentent, on peut faire du numérique un enjeu commun. L’objectif n’est alors plus de prescrire certains usages numériques des jeunes, mais plutôt de développer l’autonomie de chacun·e en s’appuyant sur le collectif.
Brieuc Guffens, décembre 2021
Cette publication est initialement parue dans le numéro #88 du magazine Badje Info (Décembre 2021 - www.badje.be)
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[1] #Génération2020 – Les usages des écrans chez les moins de 20 ans donne la parole aux jeunes, mise en perspective par une variété d’expert·es (https://media-animation.be/Generation-2020-Les-usages-des-ecrans-chez-les-moins-de-20-ans.html)
[2] Ce parcours de formation s’adresse à tout·e intervenant·e désirant mobiliser l’éducation aux médias sur ses terrains d’intervention. Il débute chaque année en septembre et s’étale sur une dizaine de journées (www.media-coach.be).
[3] La plateforme www.eformation.media-animation.be offre une variété de modules pour se former aux méthodes de l’éducation aux médias.