Greenwashing, comment détecter le faux vert ?
L ‘écologie et le développement durable constituent de puissantes locomotives pour l’industrie publicitaire. Les renifleuses de tendances que constituent les agences de publicité ne pouvaient pas passer à côté du panier aux œufs d’or, elles ont même plongé dedans. Elles s’en détourneront sans doute un jour, quand le soufflé de la mode sera retombé ou quand les consommateurs auront mieux flairé la "pompe à euros".
Connaissez-vous vraiment le « greenwashing » ? Le greenwashing n’est rien d’autre qu’un ensemble de techniques de persuasion mises au point par les annonceurs pour nous faire acheter un produit en le faisant passer pour plus « vert » que « vert ». On le sait, les marques surfent sur les modes et quand la mode passe au vert, les marques se mettent à l’écolo comme d’autres se mettent au vélo, au boulot ou au Lotto. Mais pas au dodo. Comment détecter le subterfuge ?
Le marketing vert représente, si l’on veut, la face acceptable du greenwashing. Il consiste à utiliser des arguments écologistes avérés pour vendre un produit. Alors que dans le greenwashing, on valorise des propriétés écologiques d’un produit ou d’un service, qui ne sont pas réellement en rapport avec la vraie qualité du produit ou du service. C’est en fait une sorte de publicité mensongère où l’on grossit ou déforme la réalité écologique. En effet, si certaines marques ont opéré une conversion verte et proposent des produits respectueux de l’environnement, d’autres en revanche n’ont apporté à leurs marchandises que des modifications mineures, montées en épingle par un marketing douteux. Comment s’y retrouver dans la jungle du marketing vert, du maquis du greenwashing et ne pas se laisser prendre ou surprendre par les techniques de d’écoblanchiment, autre dénomination de ces pratiques bien douteuses ?
Excès verts ?
Selon un rapport [1] de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité en France et de l’ADEME (agence de l’environnement et de la Maîtrise de l’Energie), le nombre des campagnes publicitaires directement consacrées à l’environnement a diminué depuis quelques années, mais le nombre de visuels liés à ce thème est en nette augmentation, touchant de fait un public toujours plus large. L’environnement est toujours porteur, en termes d’image. Mais en termes d’images, seulement, car l’argument vert pseudo-rationnel, lui, semble en perte de vitesse. L’image de la nature est davantage intégrée à nos conditionnements, elle fait appel à l’émotion et reste une bonne accroche. Il n’est plus nécessaire de recourir à la démonstration, un aplat vert ou la photo d’un arbre sont suffisants. Moins d’environnement, mais plus de vert dans les images en quelque sorte.
Jusqu’en 2009, les arguments environnementaux étaient encouragés par les grands sommets mondiaux sur l’état de la planète, qui ont créé un appel d’air sur le thème de la nature. Cette tendance a donné lieu à bien des excès (publicités mensongères, utilisation inappropriée des expressions telles que « Respect de l’environnement » ou « Naturel » par exemple).
Sur les 707 messages retenus par le rapport cité comme faisant appel à l’argumentation environnementale (marketing vert, donc), 36 « manquements ayant comme effets potentiels d’induire en erreur ou d’inciter à un comportement non éco-responsable » ont été relevés, soit une publicité sur vingt. Plus de la moitié de ces publicités ne présentaient qu’une seule infraction, à savoir la mise en scène de véhicules dans des espaces naturels, une catégorie en augmentation par rapport à la dernière édition du rapport.
Six % des publicités retenues présentaient quant à elles des « réserves », un terme alloué quand le non respect de la norme par la publicité est moins grave ou ne concerne pas le message en tant que tel.
Enfin, un des enseignements majeur de l’étude porte sur le vocabulaire employé. En effet, ces formules globalisantes sèment la confusion chez les consommateurs, laissant à penser que certains produits sont bons pour l’environnement, sans que de tels avantages soient précisés et justifiés. Dans ce registre, certaines pratiques existantes révélées les années précédentes ont quasi disparu aujourd’hui : le dénigrement des gestes éco-citoyens et l’assimilation visuelle de produits polluants avec des éléments naturels par exemple.
L’ADEME et l’ARPP ont toutefois identifié cette année une nouvelle tendance marketing : au-delà de la publicité, les emballages des produits, les noms de marque, sont autant de moyens pour les entreprises de s’adresser à leurs consommateurs, et certaines d’entre elles s’en servent de plus en plus pour se positionner sur le développement durable. Ainsi, les termes « bio » ou « écologique » sont mentionnés plus fréquemment dans les outils marketing des entreprises.
La vie en vert
Dans ce monde devenu très vert d’un coup de baguette magique, il y a des manières très subtiles de faire voir la vie en vert, comme cette publicité pour la voiture KIA photographiée dans un paysage urbain gris clair monochrome. Sauf que la voiture est en couleur, verte bien sûr, de la même couleur que les quelques arbres qui complètent le paysage. Dans une autre publicité, pour la Honda Civic, les voitures se mettent à pousser sur des arbres.
Bref, en matière écologique, les voitures donnent le ton. L’enjeu économique est crucial, la pression concurrentielle forte ne permet guère de sentiments. Ainsi, une accroche affirme, pour une marque de voitures japonaises : « More Toyota, less CO2 ». Mais l’argument peut être plus subtil que cela. Un visuel du groupe montre un oiseau bleu s’abritant dans la chevelure d’une femme de profil, l’allusion à la protection de l’environnement se faisant ici plus lointaine, liée à une autre valeur phare, celle du cocooning. Dans le même genre, un clip publicitaire (http://www.youtube.com/watch?v=yTLcZ1BCmms) montre un 4x4 traverser une forêt (sur une route asphaltée, tout de même). Au volant, un conducteur vêtu d’une chemise kaki chante à tue-tête avec ses passagers entrés par effraction dans sa voiture (deux oiseaux, un loup, un écureuil). La nature en invitée surprise ? Slogan, qui ne surligne pas au feutre gras l’illusion écologique : « The new all jeep Liberty ». La liberté de polluer ? Exemple encore, cette jeep toujours, au milieu de la banquise, dont le conducteur voit un ours blanc coller la langue sur le capot arrière du véhicule en signe d’affection à la marque http://www.youtube.com/watch?v=AS8XgKa6rrM&feature=related
Première vague
Tout cela n’est pas très nouveau. Au début des années 90, une vague verte avait déjà déferlé dans la pub. Volvo demandait de « respecter l’environnement » en stoppant la voiture pour permettre à un caméléon (vert) de traverser paisiblement la route. Les piles Energizer green power ne pouvaient plus contenir du plomb, les marques de lessive annonçaient fièrement ne plus comporter de phosphate. Elles se voulaient même imprécatrices, en responsabilisant le consommateur, sommé de faire confiance à Le chat machine, garanti 100% sans phosphates. Les annonceurs faisaient des raccourcis énormes, le déodorant Oé (« la force de celles qui vont jusqu’au bout »), photographié au milieu des fougères, était censé « protéger » la couche d’ozone, label à l’appui, tout comme le désodorisant Wizard par exemple. En réalité, presque tout ce qui faisait « pschhhhit » à l’époque nous assurait une protection maximale contre les mauvaises odeurs, comme contre la destruction de la couche d’ozone.
Après cette première vague qui touchait surtout des produits de consommation courante, est arrivée une deuxième plus globale. Celle-ci mit en évidence le développement durable. Les produits nettoyants s’associaient aux dauphins, prétendaient contenir des agents lessivant à base naturelle. Les mêmes que les produits de charcuterie garantissant leur origine 100% naturelle ? Peut-être …
Cette deuxième phase a vraiment explosé fin 2006, fait naître le terme de greenwashing avec la multiplication des messages « verts », comme si tout à coup de gros pollueurs étaient convertis aux thèses du protocole de Kyoto. « Un constructeur automobile peut-il respecter l’environnement ? Pourquoi pas » demande le constructeur d’une voiture façonnée avec de la terre glaise et des graminées, au milieu d’une plaine déserte. Il y a même, à cette époque, des voitures qui ont commencé à « transformer l’ozone en oxygène » pour permettre aux joggers de pratiquer leur sport en pleine circulation.
Pour vérifier si la communication est conforme à l’action, des observateurs neutres et extérieurs ne manquent pas. Le site le plus complet est le greenwashing index (http://www.greenwashingindex.com/) conçu par EnviroMedia Social Marketing et the University of Oregon. On trouve aussi une section geenwashing sur le site de Greenpeace ( http://www.stopgreenwash.org). Ici et là, on note une série d’abus. Il y même un prix citron du geenwashing : le prix Pinocchio du plus gros menteur, organisé par « Les amis de la terre ». A noter également, le site http://observatoiredelapublicite.fr.
Pique-nique en montagne
La pub pour la Mégane Koleos est un modèle du genre [2]. On y surprend deux alpinistes qui gravissent un pic enneigé, à haute altitude. Au sommet de la montagne, ils tombent sur une voiture occupée par une famille. Papa qui conduit, maman qui papote (bonjour les clichés), et deux enfants à l’arrière. La maman ouvre la vitre et dit : « Bonjour ! Les enfants, dites bonjour aux deux messieurs. Vous piqueniquez ? Oh vous avez raison, c’est un endroit tellement charmant. Ca se couvre un peu. On va y aller chéri, non ? On y va c’est parti. Allez, au revoir, messieurs, et bon appétit ». La voiture démarre et dévale les pentes de la montagne.
Or cette catégorie de véhicule est celle qui émet le plus de C02. Elle est pourtant mise en situation dans l’Himalaya alors que le dérèglement climatique et les émissions des particules par le transport et les voitures particulières font, selon les spécialistes, fondre les glaciers de l’Himalaya.
Résister pour faire plier
Heureusement, les organisations de consommateurs peuvent contre-attaquer, sur le web ou ailleurs. Ainsi la publicité de l’annonceur Dove, qui après avoir pris des positions éthiques a travers des spots militant contre l’anorexie, ou le jeunisme, s’est retrouvée parodié et mis à l’index par les associations de consommateurs. Car la firme de cosmétiques n’a pas pensé que ses produits, généralement liés au bien-être, peuvent aussi avoir un effet néfaste pour la planète. Une parodie montre a quel point l’huile de palme contenue dans les produits contribue à la déforestation de l’Indonésie : « 98% de la forêt indonésienne aura disparu quand Aziza aura 25 ans ».
Les annonceurs savent désormais que sur ces sujets là, ils risquent bien d’être « rattrapés » par la société civile. Enfin, si l’ont veut. Car Smart s’amuse à chambrer les alternatifs en montrant que la voiture d’aujourd’hui consomme vraiment beaucoup moins que le bon vieux combi peinturluré des hippies.
Grille de détection
Selon l’entreprise de marketing environnemental Terra Choice, le nombre de produits dits « verts » a augmenté de 73 % entre 2009 et 2010. Le problème, c’est que les appellations vertes et écologiques ne sont pas réglementées.
De la crème de jour au téléviseur, en passant par la peinture et le shampooing, certains produits prétendent être verts alors qu’ils ne le sont pas ; d’autres laissent plutôt sous-entendre des faits difficilement vérifiables. Lorsqu’ils sont reconnus coupables d’écoblanchiment, les produits sont classés selon sept principes ou « péchés » : le compromis caché, l’absence de preuve, l’imprécision, la non-pertinence, l’affabulation, le moindre des deux maux et la fausse étiquette.
Péchés capitaux
Le péché le plus courant est celui du compromis caché. Le compromis caché peut être identifié lorsque les entreprises prétendent qu’un produit est globalement vert, alors qu’en réalité, seul un élément du produit peut être qualifié comme tel. Un papier est dit « vert » parce qu’il est recyclé, mais d’autres éléments écologiques fondamentaux entrent en ligne de compte, comme la dépense d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre, la pollution de l’eau et de l’air. Autrement dit, on attire l’attention sur un aspect respectueux du produit pour l’environnement, en omettant d’autres caractéristiques, beaucoup moins vertes. Un savon de lessive à l’eau froide peut produire davantage de substances chimiques qu’un autre, plus « classique ». Les publicités d’appareils électroniques dits “écologiques” car économes en énergie taisent souvent l’impact environnemental de la fabrication (énergie grise et pollutions chimiques) et de la fin de vie (le produit plus compliqué à recycler et contenant des substances nocives). C’est le cas aussi des références à un aspect restreint du cycle de vie : les déclarations environnementales doivent tenir compte de l’ensemble des étapes significatives du cycle de vie du produit et ne pas se limiter à un seul aspect. Exemple : dans une publicité pour le fast-food, le fait que les hamburgers soient « bio » néglige les effets de la production de viande, ne tient pas compte de l’origine des produits alimentaires et oublie de stipuler les quantités de déchets générées par les fast food.
Autres péchés habituels : l’absence de preuve, qui se produit lorsqu’une entreprise avance un certain nombre de caractéristiques sans pouvoir les étayer scientifiquement, ou ne se base sur aucune preuve tangible. Exemple : les appareils électroniques ou informatiques qui avancent “une économie d’énergie de 50%” sans preuve ou agrément. L’imprécision, quant à elle, pointe le fait que les entreprises utilisent un vocabulaire large pour décrire une réalité circonscrite. L’utilisation très vague et générale du terme « naturel » est un bon exemple de termes soumis à mauvaise interprétation par le consommateur. Certains produits l’affichent alors qu’il faut comprendre que certaines composantes de produits tels que l’arsenic, le mercure ou l’uranium sont naturelles, sans pour autant être bons pour la santé et l’environnement. Autre Exemple : l’expression “sans substances nocives” ne veut rien dire si l’on tient compte que selon la quantité, toute substance peut devenir nocive. Les expressions “vert, “sans danger pour l’environnement” ou “préserve l’environnement” ne veulent rien dire sans explications détaillées.
La quatrième infraction est probablement moins répandue, mais n’est pas la moins mystifiante. Il s’agit de la non-pertinence. Le terme désigne toute prétention environnementale qui, bien que vraie, est inutile ou insignifiante. Par exemple, certains produits se prétendent libres de CFC, bien que les CFC soient interdits depuis longtemps.
Le cinquième péché, probablement le plus grave, est celui de l’affabulation. Il s’agit carrément d’un mensonge : c’est le cas d’entreprises qui prétendent par exemple que leurs produits sont certifiés par des labels verts alors que ce n’est pas le cas, ou même , que les labels sont créés par l’entreprise elle-même.
Peu fréquent, mais complexe, le sixième péché est celui du moindre des deux maux : commis lorsque la qualité mise en avant est vraie pour une catégorie ou sous-catégorie de produit mais ne se vérifie pas pour l’ensemble de la catégorie. Un bon exemple de cela ce sont les publicités pour véhicules utilitaires sportifs (VUS) hybrides, mettant en évidence la caractéristique « hybride » d’une catégorie de véhicules plus polluants que les autres. Le « péché du moindre des deux maux » consiste à donner une allure écologique à un produit qui ne pourra jamais l’être de par sa réelle nature. Exemple : Des lingettes à épousseter jetables faites de maïs. La matière à partir de laquelle sont fabriquées les lingettes est renouvelable, mais le fait qu’elles soient jetables est contradictoire. Dans les technologies de l’information, on pourrait citer Microsoft qui, pour la promotion de Windows 7, met en avant ses meilleures capacités de gestion d’énergie, alors que globalement, ce système d’exploitation nécessite un ordinateur 243% plus performant que pour faire tourner Windows XP.
Apparu récemment, le septième péché est celui de l’étiquette mensongère. Il s’agit cette fois d’apposer un logo qui s’inspire fortement de ceux émis par de véritables organismes de certification du développement durable. Ce qui est problématique avec cette catégorie, c’est que les consommateurs deviennent plus méfiants et qu’ils ne font plus confiance aux logos figurant sur les emballages.
Enfin, on voudrait y ajouter un huitième : La tromperie avec des effets visuels, graphiques ou sonores, qui se produit quand l’annonceur a utilisé des images vertes ou des sons de nature de manière à faire croire que le produit est plus écologique qu’en réalité.
Yves Collard
Média Animation
Décembre 2012
[1] Publicité & environnement, rapport d’études, bilan 2011 mars 2012