Le jeu de rôle en formation
Changer de point de vue, changer de rôle
Dans certaines situations, on se demande parfois ce qu’on aurait fait si on avait été quelqu’un d’autre. Quand on est enfant, on adore adopter des rôles différents en jouant. Adulte, on s’identifie, voire on se projette littéralement dans les rôles que la fiction nous offre. Alors, lorsqu’on se trouve en situation de formation, se laisse-t-on prendre au jeu aussi facilement ?
Avant toute chose, il est important de bien comprendre ce qu’est un jeu de rôle dans le contexte de la formation. Le jeu de rôle consiste en la possibilité de se découvrir soi-même, ainsi que les ressources que l’on peut manifester face à des situations données. A ce titre, il se différencie de la mise en situation et du psychodrame. La mise en situation a pour objectif principal d’acquérir des modes de pensées, des compétences et des réactions adaptés à une situation proposée. Le psychodrame, quant à lui, est plutôt utilisé dans le registre médical. Dans ce cas, le but de la mise en scène est de permettre à la personne qui en est le bénéficiaire de mieux se connaître et se comprendre.
Le jeu de rôle peut être utilisé comme méthode d’animation pédagogique dans différents milieux (scolaire, associatif, formation professionnelle, etc.). Son usage peut faciliter l’intention et l’intérêt des personnes à former ainsi que les processus de mémorisation de manière plus vivante, plus participative. Cet outil peut être très utile après une session de travail sur le terrain par des animateurs socioculturels. Par exemple, il en facilitera les comptes-rendus de formation. Grâce au jeu de rôle, les animateurs pourront non seulement travailler à un niveau intellectuel, mais affectif également. C’est en effet sur des attitudes réelles, des relations humaines vraies, telles qu’elles s’expriment dans la situation vécue dans l’instant, que les participants vont réfléchir.
Selon Serge Tisseron [1], psychiatre et psychanalyste réputé pour ses travaux sur les relations qui existent entre les jeunes, les images et les médias, les jeux de rôle permettent aux personnes qui y participent d’intégrer les règles de base de la vie sociale et d’apprendre l’empathie. Il explique que la manière la plus pertinente d’utiliser les jeux de rôle en formation n’est pas forcément la plus simple. Il conseille donc d’utiliser des situations mise en scène par les fictions médiatiques consommées par les participants. Cette angle d’attaque leur permettra d’entrer dans une session de jeu et de construire un scénario qui fait sens pour eux.
La préparation
Tout d’abord, le jeu de rôle doit correspondre à une situation émotionnellement riche, dans laquelle les participants vont avoir envie de s’impliquer, de s’investir. Mais en même temps, il est conseillé d’éviter des situations trop personnelles, notamment celles issues de la vie familiale. Il est aussi important de préparer et de fixer, avec le groupe qui sera animé et avant le jeu proprement dit, les actions et les paroles du scénario. Cette préparation permet d’éviter une part trop grande d’improvisation des participants, et une éventuelle projection dans des situations personnelles déjà vécues et parfois douloureuses. Quand cela arrive, tout le monde est malmené et une peur de jouer peut s’installer. Enfin, il ne faut pas oublier de toujours préciser qu’on se trouve dans une situation de jeu et donc, que l’on fait semblant.
Les débordements possibles
Le premier danger pourrait être que les participants oublient qu’ils jouent et qu’ils commencent à faire les choses « pour de vrai », notamment qu’ils se battent et se frappent. Ils perdent alors toute la distanciation que peut apporter le jeu de rôle. Le second danger serait qu’ils se désengagent de manière excessive. Pour éviter ce cas de figure, l’animateur devra trouver un subtil équilibre entre ce qui est prévu à l’avance et la part de liberté qu’il laissera aux participants. Si cette liberté octroyée amène à un dérapage, l’animateur devra rappeler les actions et les propos qui ont été convenus à l’avance. Cela permettra de réguler le jeu du point de vue des règles qui ont été fixées au départ et non du point de vue du mauvais engagement des participants.
Quelques règles pertinentes
Le jeu de rôle en formation n’est pas de l’improvisation. Il est utile d’insister sur le fait que l’on fait semblant et donc qu’on ne se fait pas mal physiquement. Dès lors qu’il y a une agression réelle, l’animateur devrait arrêter le jeu. Il est également primordial que chaque participant puisse jouer tous les rôles du scénario. Il vaut donc mieux préciser dès le début de chaque groupe que les garçons peuvent jouer les rôle des filles et inversement. Les propos interdits par la loi (racistes, antisémites, misogynes) le sont bien entendu aussi au sein du jeu. N’oublions pas que le but d’un jeu de rôle n’est pas seulement de favoriser l’expression personnelle, mais d’intérioriser les règles de la vie sociale, ce qu’on appelle « le bien vivre ensemble ».
Eléments fondateurs
Selon Serge Tisseron, il y a deux éléments fondateurs propres aux jeux de rôle. Le premier est l’apprentissage du « je, tu, il » qui constitue la règle de base de la vie sociale. Cette notion renvoie à l’apprentissage d’un tiers régulateur, le « il » qui fonde l’institution et évite les confrontations qui apparaissent inévitablement dans une relation seulement duelle. Le second élément clé du jeu de rôle est l’apprentissage de l’empathie. Les participants jouent bien sûr d’abord chacun le rôle qu’ils désirent tenir. Mais ensuite, ils doivent se mettre dans la peau de ceux qui se sont trouvés en face d’eux. Dans la vie sociale, chacun a tendance à se figer très vite dans un seul rôle (on est soit meneur, soit combattant, soit suiveur, etc.) et à ne plus se mettre à la place de l’autre. L’enjeu du jeu de rôle est de se déloger des rôles habituels et d’apprendre ce que l’on appelle la « plasticité psychique » c’est-à-dire le fait de pouvoir changer de posture, de rôle. Cette valeur est très importante aujourd’hui dans notre société du changement permanent. En effet, le changement est la clé de l’adaptation, de la résilience [2], et du bonheur.
Conseils pour s’investir
Serge Tisseron pense qu’il vaut mieux partir de « situations chaudes », c’est-à-dire des situations qui ont ému le groupe mais qui ne sont pas des épisodes de leur vie privée. En effet, le risque d’utiliser des situations de la vie réelle serait que les participants s’engagent trop, ou à l’inverse, qu’ils se retrouvent paralysés par leur ressenti et ne s’engagent pas dans le jeu. Il conseille donc aux animateurs de s’inspirer de scènes qui sont diffusées à la télévision ou au cinéma et qui sont proches de leurs expériences vécues dans la « vie réelle ». Grâce à l’écran et aux fictions, les participants auront plus facilement du recul face à des situations qui ont un fort potentiel émotionnel. C’est une erreur de croire qu’il est plus facile de partir d’événements qu’on a vécu. Partir de situations vues sur un écran permet une première mise à distance salutaire et ce, grâce à l’image et aux sens que l’on pourra en donner.
Comment réagir face aux participants qui n’ont pas envie de participer au jeu de rôle ?
Il est déconseillé d’obliger une personne à jouer contre son gré. Si un participant reste à l’écart, il bénéficiera quand même de l’exercice, mais d’une autre manière. Il peut refuser de participer par crainte de trop s’investir dans le jeu et de réveiller certaines blessures intenses. En restant à distance du jeu, il se protège. Mais de manière générale, cela arrive plutôt rarement et la plupart des participants acceptent de jouer. Pas forcément tout de suite, mais au fil des séances.
Et l’évaluation ?
Lorsqu’on utilise le jeu de rôle en formation, on ne cherche pas à transférer des compétences, mais à apprendre, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, l’empathie aux participants. Il n’est donc pas conseillé de vouloir évaluer, baliser ou contrôler l’influence du jeu sur la vie réelle. Dès que le jeu est fini et que chaque participant a joué tous les rôles, chacun reprend son identité « réelle ». Normalement, les conséquences positives sur la vie des participants se feront ressentir d’elles-mêmes si tout s’est bien passé et que chaque participant a correctement joué tous les rôles. Une bonne discussion après l’activité suffira donc normalement à faire émerger les ressentis du groupe.
Catherine Geeroms
Juin 2011
[1] Serge Tisseron est psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie, directeur de Recherches de l’Université à Paris Ouest Nanterre. Ses recherches portent sur trois domaines : les secrets de famille ; nos relations aux images et les bouleversements psychiques et sociaux entraînés par les TIC.
[2] Résilience : capacité d’une personne à affronter les situations difficiles de la vie