Zeitgeist : le doute anxiolytique
Vous faites peut-être partie des millions d’internautes qui ont déjà vu le film Zeitgeist, sur les tout aussi nombreux blogs ou sites qui y font référence. Un phénomène incontestable pour un documentaire disponible sur Internet. Diffusé en dehors de tout canal classique, comment expliquer que Zeitgeist fasse un malheur, présenté souvent comme « THE film à voir » … ?
Pour la flottille de ringards qui ne l’ont pas encore vu, Zeitgeist : The Movie est un film dit documentaire américain réalisé en 2007 par Peter Joseph. Son propos dénonce un certain nombre de vérités établies et leur exploitation par une minorité dominante. Zeitgeist déconstruit trois principes identifiés comme des « mythes » sur lesquels reposent la culture actuelle des Etats-Unis. Premier pilier : la religion (“The Greatest Story Ever Told”), dans un chapitre qui met en évidence les similitudes entre le christianisme, les religions païennes et les divinités égyptiennes. Le deuxième pilier, les événements du 11 septembre (“All The World’s A Stage”) critique la version officielle des attentats de l’automne 2001. Enfin, le denier pilier soumis à l’analyse repose sur l’histoire de la création des Banques centrales et leurs liens avec les cartels financiers, “the men behind the curtain” (ceux qui tirent les ficelles en coulisses).
A cet égard, Zeitgeist n’est pas un OMNI (objet médiatique non identifié), même si son propos est à la mode. Il est contemporain d’autres films mettant en cause les grandes idéologies, comme Loose Change 2 décrit par certains blogueurs comme « un réquisitoire très efficace contre la plus grande manipulation médiatique à ce jour : le 11 septembre 2001 » [1]. Ou encore 911 Mysteries, avançant une nouvelle fois que les attaques terroristes n’étaient pas le fait d’attentats fomentés par des islamistes, mais résultent d’une série d’évènements planifiés par l’administration américaine. Dans un tout autre registe, rappelons-nous le succès lointain des 43 épisodes de la série télé « Les Envahisseurs » (The Invaders, 1967-1968) dans lesquels le héros, David Vincent, est persuadé que les extraterrestres sont parmi nous, qu’on nous dissimule bien des choses sur ces envahisseurs dont on veut nous cacher la présence. Ou encore, les divers documents [2] sur l’affaire de Roswell (la prétendue dissimulation d’un crash d’un OVNI aux Etats-Unis), l’accusation de canular (baptisé Moonhoax) du programme Apollo selon laquelle les vaisseaux américains n’auraient jamais aluni et qu’il s’agirait d’une mise en scène réalisée sur Terre.
Il ne nous appartient pas de démonter les mécanismes formels propagandistes des livres, films, ou autres documents qui soutiennent ces thèses, mais d’avancer quelques hypothèses pouvant en justifier le succès. Bref, « on nous ment » est un slogan qui a traversé les décennies. Mais pourquoi, aujourd’hui, encore ?
Je doute, donc je pense
Ces différents succès médiatiques mettent en évidence la perte de confiance du citoyen dans les institutions structurant sens et compréhension du monde qui l’entoure. La science en fait partie, comme la religion, les gouvernements, les systèmes bancaires ou financiers. L’information diffusée par les médias officiels aussi : comme d’autres, ils nous proposent un prêt à penser dont les jeunes ont appris à se méfier. C’est le philosophe Jean-François Lyotard qui a lancé le concept à la fin des années 70. Il l’avait résumé en une formule : « la défaillance des grands récits ». Les médias officiels seraient en quelque sorte des « média-parents » délivrant une information jugée univoque, autoritaire et manipulatrice. Ainsi, chaque année, le quotidien "La Croix" publie un "baromètre de confiance dans les médias" [3] . L’enquête réalisée par TNS Sofrès apporte des éléments pour l’ensemble de la population mais aussi par tranche d’âge. On peut dégager quelques éléments significatifs chez les 18-24 ans.
À la question posée : À propos des nouvelles que vous lisez sur Internet, est-ce que vous vous dites plutôt : " les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme Internet les montre " les 18-24 ans répondent oui à 49% (contre 31% pour l’ensemble de la population). Une différence significative et radicale concerne les sans opinions : 17% chez les 18-24 ans et 47% pour l’ensemble de la population.
De manière générale, pour tous les utilisateurs de médias, la cote de confiance de la télé dégringole de 15 points, à 45%. C’est la première fois depuis la création du baromètre en 1987 que la défiance l’emporte : selon cette enquête, la télé ne rend pas compte de la réalité pour 54% des répondants. La radio reste le média de référence, mais sa cote chute de 66 à 55%. La presse écrite perd 11 points et tombe à 45%. Les journalistes ont une image détestable. Ils ne résistent pas aux pressions des partis politiques et du pouvoir pour 62% des personnes interrogées, pas plus qu’ils ne résistent, pour 59%, aux sirènes de l’argent.
J’ai peur, donc je doute
Dans notre société qui exige de ses membres transparence et contrôle, les individus se méfient de ce qui fournit une opinion globale, surtout à propos d’événements opaques, angoissants ou potentiellement mystérieux, qui imposent une lecture supposée fondée sur une croyance, plus ou tout autant que sur la connaissance. Dans « Les Temps hypermodernes », Gilles Lipovetsky souligne à quel point depuis le milieu des années 80, les contraintes réapparaissent sur le devant de la scène. La peur domine face à la marchandisation proliférante, aux dérégulations économiques, au réchauffement de la planète, à la précarisation du travail, au chômage, au déchaînement technoscientifique dont les effets sont autant aussi de promesses que de périls.
Je doute, donc on nous ment
On peut penser que la multiplication des documents récusant les vérités établies alimente un sentiment général de mise en question de « ce qui n’est plus à démontrer ». Dans un article du Monde Diplomatique [4] , Alexander Cockburn, situé à gauche de l’échiquier politique américain, analyse les thèses conspirationnistes à propos des attentats du 11 septembre. Selon l’auteur, d’un point de vue politique, ces croyances se retrouvent plutôt chez les extrêmes : dans la gauche radicale comme dans la droite populiste. Elle témoignerait " d’une forme d’hébètement devant la puissance américaine, alors même que celle-ci échoue dans des entreprises bien moins herculéennes que l’éventuelle réalisation (puis la dissimulation) d’un tel complot ".
Je doute, donc je vous fais douter
Les théories du complot à propos du 11 septembre 2001 entendent démonter les thèses officielles dites fausses et trompeuses relayées par les médias de masse. Selon ces théories [5]. , l’administration Bush aurait participé d’une manière ou d’une autre à ces attentats. Elle aurait empêché le déroulement d’une enquête indépendante. Certains journalistes, scientifiques, militaires, entendus par de simples citoyens [6] propagent leurs doutes, quelques auteurs et scientifiques tentent d’établir la justesse de leurs contre-expertises. Les explications alternatives vont du « laisser-faire » des autorités américaines vis-à-vis des terroristes à l’implication directe d’une partie de l’administration Bush.
Le succès de Zeitgeist et des autres tient également au support de sa diffusion : principalement les blogs. espaces sociaux communautaires sur Internet, et les sites de mise en ligne. Fonctionnant sous le régime de la communauté d’intérêt, les blogs sont partagés par des internautes qui ont l’impression de faire partie d’une micro-société fermée, on dirait élitaire ou élitiste, qui, en propageant ce film, peuvent éprouver la sensation de faire partie du groupe des « élus », de ceux qui savent ce que la masse anonyme - et à éduquer - ne sait pas.
La communication à sens unique, le “un vers tous”, cède de plus en plus la place à l’interactivité, au “tous vers tous”. Chacun peut livrer sur Internet ses commentaires, ses informations, vraies ou fausses, sans médiateur, sans filtre et sans contrôle, diffuser ce qui lui plaît, Les journalistes amateurs y foisonnent. C’est un nouveau rapport à la réalité : le plaisir de découvrir d’une autre manière ce que l’on vient de voir à la télé ou dans d’autres médias officiels. L’évolution technique à l’œuvre dans le Web est celle d’une démocratisation sans précédent des outils de production et de diffusion de l’information. Au citoyen qui a son mot à dire ou quelque chose à montrer, la multiplication des sites de diffusion gratuites donne une audience potentiellement illimitée. Cette évolution augmente la capacité de chacun à rendre public ce qui l’interpelle.
Je doute … donc je doute
David Vincent était seul à savoir que les envahisseurs sont parmi nous. Les blogueurs qui ont vu Zeitgeist ne sont pas tous dupes des limites du document, à l’instar du blogueur Christian Vanasse : « Après quelques recherches assez simples, on découvre qu’il y a au moins autant d’inexactitudes et de faussetés dans ce film que dans les enquêtes officielles sur le 11 septembre. Sauf que... Zeitgeist comporte un élément de plus que les versions officielles. Et il est de taille. Il nous suggère de douter. Douter même de ce que l’on vient de voir. Ce qui n’est jamais précisé dans les versions officielles. [7] » L’important n’est pas le vrai ou le faux, la réalité ou la fiction. L’important est de faire partie d’une expérience communautaire, d’un état spectatoriel partagé avec une communauté invisible ayant en commun le doute sur les vérités établies, le même Christian Vanasse précisant dans le même article : « En fait, je voulais depuis un moment déjà, entamer une discussion sur ce film, dont les hyperliens parsèment la blogosphère. Zeitgeist par ici, Zeitgeist par là. T’as pas vu ? Regarde ça. Écœurant man. Ça dit toutte ! La Vérité, le Grand Complot, les banques, la guerre le 11 septembre. TOUTTE. [8] »
Le silence des médias
Faut-il dès lors s’étonner du faible écho récolté par Zeitgeist dans les médias officiels ? Médias officiels et médias alternatifs évoluent dans deux mondes différents : les médias officiels relèvent encore d’une pensée « moderne » : le même savoir partagé par tout le monde, à partir d’une source unique confirmée officiellement sur base de la science, sur base de la loi. Les médias alternatifs récusent le modèle du savoir unique, proposent régulièrement un bricolage individualisé des dogmes scientifiques, légaux ou religieux. On entre ici dans la réalisation parfaite du monde post-moderne, davantage individualiste et communautaire qu’univoque et massifié.
Évolution technique, évolution sociologique, évolution économique : La troisième évolution en cours voit la transition d’une information payante et limitée à une information gratuite et illimitée. Le basculement du volume informatif du journal vers Internet rend l’information à la fois instantanée et accessible à tous, pour le plus grand bien d’une société plus égale et mieux informée. Internet grignote le secret d’Etat, les images « interdites » sont publiées sur YouTube. Dans ce « Web social et citoyen », chacun voit un média où l’information est plurielle et plus transparente.
Mais l’essor économique d’Internet peut se révéler problématique sur le plan de la crédibilité de l’information. Dans l’immédiateté, la pédagogie se dissout. Le coup de gueule s’entend davantage, laissant béer la porte qui ouvre vers la désinformation et la propagande. La génération Internet devra peut-être réapprendre à repérer les sources d’information fiables, à choisir l’explication, même orientée ou subjective. Et faire confiance aux journalistes.
Yves Collard
Décembre 2008
[2] Parmi lesquels Korff, Kal K, The Roswell UFO Crash - What They Don’t Want You to Know. Buffalo : Prometheus, 1997.
[3] La Croix, 22/01/2008, http://www.la-croix.com/documents/doc.jsp?docId=2326730&rubId=47604
[4] Alexander Cockburn, Le complot du 11 Septembre n’aura pas lieu, dans « le Monde Diplomatique », décembre 2006, disponible sur http://www.monde-diplomatique.fr/2006/12/COCKBURN/14270
[5] Visiter à cet égard le site http://www.reopen911.info/, de l’ « Association francophone d’information sur le 11 septembre 2001 », florilège de liens, dossiers et divers documents de désinformation sur le 11 septembre 2001. Ou encore, http://www.syti.net/AttentatsUS2.html
[6] « Je n’ai pas vu le documentaire dont tu parles et je ne remets pas en cause l’avis de tes amis, mais par contre j’ai quand même des yeux et des oreilles pour me faire ma propre opinion sans être influencé par des sources extérieures. Jusqu’à récemment, je ne mettais pas du tout en doute la cause officielle. C’est la démonstration sur les démolitions contrôlées qui m’ont mis la puce à l’oreille et le cas de l’avion invisible dans le Pentagone me semble encore plus flagrant. Je connais aussi des experts en géopolitiques, dont Guillaume Dasquié qui est un ami d’enfance. Il est d’un avis totalement opposé à celui de tes experts. Pour ma part, je préfère me baser sur mes petites recherches plutôt que l’opinion d’autrui. Je te conseille la lecture de quelques-uns des centaines de témoignages tout à fait pertinents qui sont publiés dans le site Patriots Questions. Ces gens ne sont pas experts en géopolitiques, mais aviateurs, ingénieurs, témoins, victimes, etc. Tous réfutent la thèse officielle et ils n’ont pas le profil type du partisan de la théorie du complot. Il n’y a pas non plus à remettre en doute le film de Michael Moore à propos des liens entre Bush et les Ben Laden ». Laurent Bourrelly le 26 mai, 2008 à 1:24, « Attentats du 11 septembre, complot ou pas, http://www.adicie.com/archives/219
[7] Christian Vanasse, http://vanasse.branchez-vous.com/2008/02/zeitgeist_et_le_grand_mensonge.html
[8] Christian Vanasse, ibidem.