Wikipédia, un projet encyclopédique qui a besoin de vous

Créée à l’origine par J. Wales et L. Sanger, deux américains convaincus de l’intérêt des logiciels libres et adeptes de la collaboration bénévole, Wikipédia figure aujourd’hui parmi les 10 sites les plus consultés au monde. Face aux tenants de ce projet collaboratif d’un genre nouveau, les détracteurs sont nombreux. La raison est simple : selon ces derniers, on tenterait quasi là de reproduire « le miracle des singes dactylographes ». Et cela, ils ne sont pas prêts à le croire.

Si vous mettez au clavier d’une machine à écrire –ou aujourd’hui, d’un ordinateur- un singe auquel vous auriez préalablement appris à frapper sur les touches, il n’y a pourtant aucune chance qu’en le laissant s’activer assez longtemps de façon désordonnée, le résultat s’oriente progressivement, en termes de qualité, vers la rédaction d’une encyclopédie à la notoriété reconnue. C’est par un raisonnement pareil que certains philosophes tentent d’infléchir l’explication de la création du monde, quand on la cherche du côté du hasard, pour affirmer à la place la croyance au principe d’une intelligence supérieure qui orienterait l’évolution.

Pour beaucoup d’observateurs, quand on évoque Wikipédia, on n’est pas loin de tenter de reproduire ce même pari illusoire. En effet, le concept wikipédien met en œuvre l’idée selon laquelle en invitant un très grand nombre d’internautes à contribuer dans la mesure de leurs connaissances, à la rédaction d’articles qui seront ensuite corrigés par d’autres encore mieux intentionnés et toujours plus compétents, on arrivera à produire un ouvrage à haute valeur ajoutée, véritable somme de connaissances organisée en encyclopédie collaborative. Le pari s’appuie, il faut le reconnaître, sur un postulat positif fondamental : seuls les esprits compétents parleront de ce qu’ils connaissent, les ignorants et les médisants s’abstenant de tout chambouler en repassant sur les textes. Et donc, pour preuve de la justesse de leur conviction, il est plusieurs détracteurs qui s’esclaffent d’avoir introduit délibérement des erreurs dans le système (voir exemple) et qui ironisent sur l’incapacité de celui-ci à déceler leur vandalisme, ou à le corriger dans des limites de temps décentes, laissant de ce fait les utilisateurs-lecteurs en présence d’énormités inacceptables.

Or « vandalisme », c’est justement là le terme utilisé par les défenseurs du projet qui, pourtant, insistent sur le maintien du libre accès, quand bien même des vandales voudraient sévir. C’est, selon eux, le prix provisoire à payer pour laisser le système ouvert, car c’est cette ouverture qui permettra aussi au projet de s’enrichir, de se contrôler et de se corriger. A terme, les
vandales toujours de loin minoritaires, se fatigueront plus vite que les contributeurs bienveillants. Coûte que coûte, l’ouvrage progressera vers un mieux. N’en déplaise aux pessimistes. Et puisqu’il faut tenir compte de ce vandalisme, le système structurera aussi des moyens de vigilance citoyenne (protection serait ici un mot trop fort) en la personne de wiki-administrateurs, arbitres, patrouilleurs et autres pompiers chargés d’éteindre les flammes entre contributeurs trop vindicatifs.

Face à cette situation antagoniste des pro et des contra, il y a sans doute à reconnaître un certain nombre de réalités à mi-chemin des extrêmes.
Non, aucun ouvrage, si scientifique soit-il, n’est à l’abri d’erreurs ou de manquements. Wikipédia n’y échappe pas non plus. Oui, le système ouvert permet l’insertion de tromperies, et donc la manipulation intellectuelle ou idéologique est possible. Mais le lecteur, utilisateur d’ouvrages, n’a-t-il pas toujours la responsabilité de consulter de façon critique toutes les sources qui sont à sa disposition. Mieux, la possibilité qui lui est donnée ici de contribuer à l’encyclopédie tout autant que d’y prendre de l’information n’éveille-t-elle pas la vigilance intellectuelle et citoyenne de chacun ?

Dès lors, n’y a-t-il pas là pour les esprits en formation, un lieu particulièrement intéressant d’échanges collaboratifs de connaissances qui illustre de façon unique la construction permanente des savoirs ? Si pour évoquer Wikipédia, le concept d’encyclopédie est tant soit peu critiquable, il est malgré tout indéniable qu’il s’agit d’un projet encyclopédique de maturation dans la formulation des connaissances. Car, finalement, ne figurent dans cette encyclopédie, que des notions qui sont déjà acquises par ailleurs et que les contributeurs reformulent de façon personnelle, de sorte à les offrir au monde entier sous licence libre. C’est donc un gigantesque chantier de cogitation et de partage. Ceux qui pensaient que l’encyclopédie autorise l’écriture de tout et n’importe quoi sans contrôle seront intéressés de lire les critères d’admissibilité d’un article et les exigences de « sourçabilité » des notions abordées dans chaque contribution.

Comment cela fonctionne-t-il ?

L’internaute qui découvre Wikipédia le fait généralement parce qu’en réponse à une requête dans un moteur ou un annuaire, celle-ci, très bien référencée se trouve dans les premiers résultats affichés. En cliquant sur le lien, le surfeur arrive sur une page d’article qui correspond généralement au mot-clé recherché.

En fait, la page qui s’offre à la lecture est une liasse de trois couches de textes, chacune accessible par un onglet situé en haut de l’écran : l’article, la page de discussion qui lui est liée et l’historique de composition depuis sa création. L’internaute doit pouvoir lire ces trois informations pour identifier ce qu’il a réellement sous les yeux.

Ce n’est que très rarement, en effet, que l’article en l’état est la production d’un seul auteur. L’historique va donc permettre de se rendre compte de l’évolution progressive de la rédaction de celui-ci. La page historique donne accès à chacun des états successifs du document depuis le jour de sa création, avec accès à chacune des modifications (ajout ou retrait) encourues.

De plus, il est mentionné sur cet historique qui sont les auteurs de ces contributions successives. Un hyperlien placé sur leur pseudo respectif permet d’ailleurs de consulter dans l’instant leur page personnelle d’utilisateur wikipédien. Parfois, la qualité d’une première contribution est telle que la page n’a subi que peu de modifications ou d’apports supplémentaires depuis le premier jour. Et cela ne veut pas toujours dire que la teneur de l’article doit être tenue pour suspecte. Cela dépend de la compétence du contributeur. A vérifier donc par un croisement des sources, dans et hors wikipédia. Mais parfois, le sujet de l’article a été modifié abondamment.

De ce travail conséquent, et des différentes signatures et validations successives, on pourra conclure généralement à un niveau réel de qualité. Pourtant, il arrive que ces modifications successives soient le résultat d’un discours enflammé, tellement passionné parfois, qu’il s’est même changé en « guerre d’éditeurs ». Dans ce cas, c’est la page « Discussion » qui doit généralement en être le champ de bataille. C’est là que l‘on peut lire les couches successives d’interventions, car la page de discussion a, elle aussi, son historique contenant toutes les modifications dont elle a été l’objet. C’est le jeu de la transparence systématique. Au lecteur donc, de se faire une idée sur le degré de fiabilité de l’article. Notamment en recoupant cette source avec les infos contenues dans d’autres sites internet, voire dans d’autres publications papier, le cas échéant.

Mais ce qui n’a pas encore été évoqué, c’est la présence d’un quatrième onglet, au sommet de la page, lequel permet ni plus, ni moins de « Modifier » le contenu de l’article. Qu’il s’agisse d’une modification légère (correction orthographique) ou d’un apport plus substantiel (en termes d’ajout ou de suppression), la chose vous est loisible. Un écran intermédiaire de « prévisualisation » vous permettra de voir ce que donnera votre contribution. Si vous « sauvegardez »… votre version deviendra la nouvelle référence de l’article. Wikipédia le dit sur plusieurs de ses écrans, dès l’accueil des nouveaux utilisateurs : « N’ayez pas peur de faire vos premiers pas ». Si vous commettez des erreurs, d’autres viendront à votre aide, soit pour corriger le travail, soit pour vous expliquer la procédure que vous auriez mieux fait d’utiliser. Ainsi, pour la prochaine fois, vous serez mieux à même de contribuer. Car loin de vous adresser des foudres, on vous encouragera de la sorte à persévérer et enrichir.

La chose étant à ce point aisée, on comprend dès lors que certains nouveaux venus évoquent candidement leur crainte d’avoir mal fait, ou le risque que le système encourt de laisser à tel point le système ouvert. Ainsi, dernièrement exprimé sous la plume d’un utilisateur débutant conscient, mais jusqu’où, de l’approximation de ses propos, on pouvait lire : « Erreur dans les articles [titre] bonjour à tous, je veut vous poser concernant la participation plutot la modification d’un article dans wikipédia. je vien d’ajouter à un article sur robert de niro un film que l’auteur à oublié, il s’agit de "stardust", le probleme ne se pose pas ici, mais dans la facilité de modifier, imaginez que je me trompai, ou que je voulais plaisenter et ajouter n’importe quoi, ce n’est pas avec moi, mais il existe des personnes comme ça...........vous n’avais pas pris le temps de verifier l’information que j’ai ajouté, donc s’il y avait une faute et que quelqu’un lise cet article, les gens vont prendre de fausses informations, ce n’est pas logique non ??????? j’attend votre réponse avec impatiance. »

Faire ses premiers pas de contributeur est donc un parcours long et laborieux qui se complètera judicieusement par la compréhension du système de l’interface. Mais il ne s’agit pas d’avoir tout compris pour démarrer. La connaissance vient en pratiquant. Et la pratique, elle-même, s’appuie sur l’observation du travail des autres, tout autant si pas plus, que de la lecture du manuel d’aide. Celui-ci n’existe d‘ailleurs pas, comme tel, mais est composé d’un certain nombre d’articles répondant à des problèmes précis et que l’on prend la peine de consulter –ou non- au moment de sauter l’obstacle. L’encyclopédie utilisant une syntaxe particulière, vous n’aurez d’autre solution -communément conseillée d’ailleurs- que de piocher des éléments de celle-ci dans les pages des autres contributeurs. C’est la tactique des débuts.

Wiki attitude

Peut-on pronostiquer que le miracle des singes dactylographes aboutira cette fois à un travail de qualité ? Il est sans doute impossible de répondre à la question. Mais une « wiki attitude » peut sans doute être prônée.

Ceux qui n’y croient pas feraient d’abord bien de s’abstenir de jouer les vandales. Leurs contributions fallacieuses ne mettent rien de plus en lumière que la logique du système : c’est un ouvrage résolument ouvert. Momentanément toutefois, elles constituent une malhonnêteté vis-à-vis des apprenants qui sont, eux, à la recherche d’informations fondées.

Ceux qui consultent l’encyclopédie doivent apprendre à faire preuve d’un esprit critique. Consulter un ouvrage de référence doit « donner à penser ». Si certains autres ouvrages livrent un contenu plus labellisé, ils n’en demeurent pas moins, eux aussi, la contribution d’auteurs situés. Au lecteur de faire preuve de vigilance intellectuelle en toute consultation.

Concernant Wikipédia, la sollicitation de l’encyclopédie devrait se compléter d’une approche pratique de la contribution, ne fut-ce que pour intégrer la logique qui prévaut à la composition des articles. « Passer derrière la caméra » permet grandement de comprendre comment sont faits les films ou reportages. S’il s’en suit que l’on ne regarde plus l’écran de la même façon ensuite, on pourra conclure qu’il en sera de même dans la consultation de Wikipédia, après avoir fait quelques pas comme contributeur.

Et pour ceux qui se lanceraient dans l’aventure de la rédaction d’articles, il faut rappeler les deux consignes contenues dans les pages d’aide aux nouveaux arrivants.

Premier conseil : n’hésitez pas. Plutôt que de vous arrêter à la seule correction orthographique de coquilles qui passeraient sous vos yeux, entrer en rédaction plus abondante sur des sujets que vous maîtrisez suffisamment, du fait d’une documentation bien fournie.

Et un second : contribuez selon les critères d’admissibilité des articles, en apportant les éléments nécessaires de validation de vos contenus (sources, références internes et externes). A tout moment, n’oubliez pas que vous vous incorporez à une communauté composée de lecteurs et de contributeurs. N’oubliez jamais que vous écrivez « pour quelqu’un » et que vos apports, si fondamentaux et originaux puissent-ils être, sont là pour être mis en partage, y compris dans une réécriture ou un réaménagement de structure. Gardez à l’esprit que Wikipédia n’est pas votre œuvre, mais un chantier auquel vous apportez modestement votre concours.

En ce sens, n’hésitez pas non plus à entrer en relation avec les autres usagers de wikipédia. Chacun qui s’y inscrit dispose d’une page personnelle de présentation qui comporte un volet « Discussion ». L’historique des articles renvoie par hyperlien aux contributeurs. Pour vous faire des contacts, il vous faudra aussi fréquenter le « Bistrot » virtuel. Et puis, il y a un « Journal des nouveaux arrivants » sur lequel vous pouvez vous présenter plus ponctuellement et des pages de classements des utilisateurs selon divers critères (prénom, trombines, pays, thématiques, domaines de compétences, etc.)

Il n’y aura plus peut-être qu’un pas à faire, alors, pour rencontrer des contributeurs dans la vie réelle. Soit qu’autour d’un projet ou régionalement, vous aurez ressenti l’envie de proposer une rencontre, soit que vous aurez répondu positivement à une invitation postée à la page « Rencontre dans la vie réelle ».

S’il se veut fidèle à « l’esprit de la maison », le lieu de rencontre choisi sera plus proche de l’auberge espagnole que du restaurant labellisé. Mais l’expérience de ce genre d’établissements fait dire à beaucoup que l’on y mange délicieusement bien, et en charmante compagnie. Tout un esprit, en fait !

Wikipédia, finalement, est-ce peut-être un grand jeu de société autour de la construction des savoirs ? Un jeu de rôle grandeur nature ? Qui sait ! C’est en tout cas un projet encyclopédique qui affirme, dès ses prémisses, qu’il a besoin de vous. Un appel à collaborer honnêtement pour une construction toujours renouvelée des connaissances à partager avec le plus grand nombre, dans l’esprit des réseaux sociaux du web 2.0 .


Michel Berhin et Paul de Theux

6 novembre 2007

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