Parce que l’éducation aux médias s’ancre dans une éducation globale préalable
Usages des médias et relation éducative parents/enfants
Elles sont nombreuses les enquêtes menées auprès des jeunes internautes, pour identifier les risques qu’ils encourent en naviguant sur la toile. Que ces documents proviennent d’associations de parents ou d’organismes de défenses des droits des consommateurs, on peut surtout y lire d’abord la crainte des adultes de ne pas remplir correctement leur devoir de parents. Encore faut-il savoir de quoi on parle quand il s’agit des médias d’aujourd’hui, et surtout choisir les valeurs à promouvoir, une tâche antérieure aux activités d’EAM à proprement parler.
Le rôle d’éducateur et de parents ne s’apprend pas à l’école. Dommage diront certains ! Chacun part donc des situations de terrain… se rappelle sa propre jeunesse et se réfère aussi au témoignage des pairs devenus parents à leur tour. Dans ce désert de référents labellisés, la peur de mal faire paralyse ou, au contraire, pousse au train. De plus, le peu de temps disponible que laisse la vie professionnelle confine souvent cette prise en charge éducative, l’EAM, aux situations limites qui révèlent l’urgence d’intervenir. Mais le manque de recul est dès lors évident… on s’abandonne alors à la lecture stéréotypée que fournissent ces situations de crise et l’on est friand d’avis tranchés et de recettes toutes faites pour se sortir d’embarras.
Dans ce contexte, la pédagogie par la peur ("Où est Arthur ?" [1] ) ou celles qui procèdent par l’évitement (filtrage, hotline…) sont des stratégies faciles. A l’examen toutefois, celles-ci se révèlent trop superficielles pour atteindre un résultat positif sur le long terme. Seule l’Education aux Médias se donne pour mission de travailler le terrain bien avant que ne se présentent les situations de crise, et autant de fois qu’il est possible… en dehors de celles-ci. Avec le développement incessant des technologies, cette démarche éducative réclame de plus en plus une bonne connaissance des procédés techniques mis en œuvre. Comment navigue-t-on sur le net ? Quels sont les principes d’une recherche documentaire avancée en s’aidant des annuaires et des moteurs ? Comment identifier la source d’un document publié en ligne ? Quel est son degré de fiabilité ? A qui attribuer les multiples composantes d’un document s’il résulte d’une écriture collaborative ? Par exemple, dans un article de Wikipédia, où trouver ces renseignements ? Et si l’on sort du cadre documentaire pour aborder d’autres situations médiatiques comme les réseaux sociaux, les questions techniques continuent de nous assaillir : comment configurer un profil Facebook pour assurer un maximum de confidentialité à des propos que l’on voudrait privés. Quelle différence faire entre le profil d’une personne, le profil d’un groupe thématique et la Page d’une entreprise, d’une association ou d’une marque commerciale ? Ou encore savoir la différence qu’il y a à utiliser un logiciel résidant de messagerie, type Outlook, ou un service en ligne, façon Yahoo, Hotmail, Gmail….
Les éléments techniques
Comprendre le BackOffice, les coulisses techniques de ces usages est une composante de l’Education aux Médias. Ce l’était d’ailleurs déjà quand on se penchait sur les médias classiques : comprendre le rôle d’une agence de presse, d’un correspondant local, d’une réunion de rédaction, et les caractéristiques de l’écriture journalistique pour apprécier la valeur d’un article de journal… Pressentir l’impact de l’heure de bouclage sur le temps dont dispose le journaliste pour écrire son papier pour un quotidien. Condition de travail très différente de son collègue qui publie dans un périodique mensuel ou trimestriel ou de leur homologue qui, lui, poste en ligne, à flux tendu… avec quel recul critique ? Ou encore, en télé, s’intéresser au nombre et à la disposition des caméras sur un plateau de tournage pour comprendre la mise à l’écran d’une émission. Identifier par exemple si c’est du vrai direct ou un programme tourné à la façon du direct mais diffusé en différé. Car ceci peut expliquer cela… Comprendre, par exemple, jusqu’où la scénarisation et les techniques de montage entrent en scène pour construire une séquence télévisuelle ou cinématographique.
Les usages
Mais au delà des aspects techniques, il y a aussi les usages et leur impact sur les personnes. L’Education aux Médias se tracasse aussi de mesurer en quoi les aspects techniques et technologiques interfèrent dans la relation interpersonnelle et notamment dans la communication. Le caractère synchrone ou asynchrone d’une technologie par exemple, peut changer lourdement le type de communication qui s’installe entre les personnes. Ainsi, une réflexion qui s’élabore dans un forum en ligne (asynchrone) prendra une autre tournure qu’un débat dans un salon de discussion en temps réel (Chat – synchrone donc). Combien de situations de communication aussi qui devraient se trouver améliorées du fait de l’usage de technologies plus performantes et qui en sont également/malgré tout perturbées. Ainsi, le mail qui est sensé être plus pratique et même plus efficace que le courrier postal… Mais combien d’erreurs, de manquements, de maladresses, d’impairs commis avec ce bel outil ! Par erreur de manipulation, par méconnaissance des conséquences de certains choix techniques, par mauvais paramétrage de sa machine… La perspective éducative est donc bien une alphabétisation, non seulement à la technologie, mais aussi aux usages et à leurs conséquences, bonnes… très souvent et aussi mauvaises… parfois, sur la communication interpersonnelle.
Il y a donc déjà tout un travail d’information et aussi surtout de formation qui trouve sa légitimité sous l’appellation « Education aux médias ». Or, fort souvent encore, perçoit-on chez les demandeurs d’un accompagnement dans ce domaine, la conviction que les dérapages de la communication par les technologies trouveront leur remède dans une meilleure connaissance du volet technologique de nos pratiques et donc par une meilleure appropriation de celles-ci. Loin de nous de vouloir les décourager d’entreprendre des efforts en ce sens… C’est notre conviction aussi qu’il faut s’y appliquer. Mais une réalité est sans doute absente de cette manière d’envisager l’alphabétisation numérique, la media litteracy : le fait que celle-ci s’ancre dans une éducation globale préalable.
En effet, pour chaque travers dans les usages et dans l’impact préjudiciable des technologies de communication, on peut déceler des attitudes profondes, des manières de se comporter qui induisent le mésusage et provoquent la dérive, voire l’accident. Souvent, dans ces cas, le formateur en Education aux Médias doit-il alors rappeler que certains principes éducatifs sont préalables à l’appropriation des usages performants des technologies. Et que leur absence, hélas, peut ouvrir la porte à ces risques que tous déplorent. Prenons quelques exemples pour illustrer le propos.
Patience et longueur de temps...
Le premier cas de figure met en exergue l’usage du très répandu téléphone portable. Quoi de plus simple que de convenir de quelque chose entre des personnes, via le téléphone ? Or, observons un peu plus finement les pratiques de plus en plus fréquentes des utilisateurs de GSM. Prendre un arrangement (une décision, par exemple…) est quelque chose qui se mûrit. En effet, en prenant contact avec son interlocuteur, il va falloir lui donner un topo clair : évoquer avec lui les orientations possibles et les avantages et inconvénients d’opter pour telle ou telle piste de résolution. Si on prend la peine de réfléchir préalablement à ce que l’on voudrait communiquer, un seul appel téléphonique devrait suffire pour que la décision tombe. Or, ce que l’on constate, c’est que l’usage du portable a modifié les pratiques. On envoie d’abord un SMS plutôt que d’appeler –ça coûte moins cher-. Mais en 160 caractères, il n’est pas possible de décrire les avantages et inconvénients de diverses résolutions possibles de la décision à débattre. S’en suit une série de nouveaux envois qui avancent plus ou moins efficacement des éléments de résolution. Procédant ainsi, il n’est pas sûr que le coût total des communications soit moindre qu’un seul appel vocal bien négocié. Mais cela importe peu, semble-t-il. La question est-elle seulement venue à l’esprit de l’intéressé ? Peu probable, car ce n’est plus dans l’air du temps… Ce qui est dans le vent, c’est d’user des quotas de SMS offerts dans un pack d’abonnement –ou gratuits suite à des promotions pour téléchargements successifs auprès de l’opérateur-. Peu importe que cela ne soit finalement pas des plus performants. C’est tendance et donc, on s’y adonne volontiers. Soit ! Mais là où on nous dit parfois que les jeunes « du fait de leur pratique abondante des jeux vidéos, sont des personnes qui savent prendre des décisions rapides et en grand nombre »… on formulera une nette réserve : 5 ou 6 SMS parfois pour se fixer un RDV, ou se dire mutuellement « que l’on s’y prépare, que l’on est en train de s’y rendre, que l’on ne s’y voit pas une fois arrivés sur place… et enfin se dire « Oui, ca y est, retourne-toi, je suis juste là dans ton dos ! Tu me vois… ? Regarde, je te fais signe ! » ce n’est pas une pratique performante et économe.
...Font plus que force, ni que rage… technologiques
Qu’est-ce qui est en cause dans cette situation qui n’est certes pas dramatique et ne constitue donc pas un cas limite, ni un « danger Internet » ! C’est le fait qu’avec un portable et des forfaits d’appel démesurés, on peut désormais prendre autrui en otage en l’importunant 5 ou 6 fois au lieu d’une seule. C’est le fait qu’une fois la décision prise de se rencontrer, on a encore besoin de se rassurer que l’autre n’a pas oublié, qu’il sera bien là où il a dit qu’il serait, qu’il a besoin de savoir que je me suis mis en route… A moins que ce soit plutôt moi qui doive être rassuré : « N’as-tu pas finalement changé d’avis ? » Multiplié par le nombre de correspondants journaliers… on voit ce que cela peut donner. Non seulement au téléphone, mais aussi dans l’envoi impulsif de mails peu réfléchis. Or, on le sait, trop d’infos tue l’info… ne fut-ce que par le temps nécessaire pour traiter toutes ces sollicitations.
En quoi consiste alors l’Education aux médias dans ce cas de figure ? Sans doute pas d’abord dans l’explication du fonctionnement du GSM. C’est d’ailleurs souvent auprès des jeunes que les parents se font expliquer le maniement de leur propre console. Déjà plus dans une réflexion critique sur les pratiques commerciales qui offrent des forfaits d’appel pour vous pousser à consommer toujours plus de façon irréfléchie et à induire chez chacun un patron de comportement qui s’accommode volontiers de ces pratiques de plus en plus intrusives dans votre vie privée. Qui ose dire en effet, qu’il a fermé pour un moment son GSM avec l’envie d’être « non-joignable » ? Crime de lèse majesté assuré aux yeux de tous ses contacts. Mais la vraie Education aux Médias réclame alors surtout une éducation globale préalable qui inculquera une manière correcte de communiquer avec autrui. La correction dans ce cas, étant de réfléchir avant d’appeler, de respecter autrui en lui faisant gagner le temps d’une explication des tenants et aboutissants des diverses pistes de résolutions de la chose à débattre. Voire de lui écrire plutôt que de l’appeler pour exposer la situation, si elle est complexe et qu’elle réclame une prise de distance et du temps pour mûrir une réponse en pesant le pour et le contre des arguments avancés. Mais cela n’est pas aussi tendance, car mûrir une réflexion, c’est prendre du temps. Ecrire en expliquant le détail de sa demande, cela demande aussi du recul et un certain effort de rigueur. Enfin, laisser le temps de réflexion nécessaire, c’est se mettre soi-même en position d’inconfort : devoir patienter ! Or la tendance, c’est d’aller vite, de cliquer et d’obtenir le résultat escompté. Voilà où se trouve souvent la conséquence de cette capacité développée dans les jeux vidéo, d’être très rapides : devenir sans doute de plus en plus impatients. Tout et tout de suite, sans effort sur soi-même si c’est possible… voilà un penchant contemporain contre lequel il faut combattre. Mais proposer ce genre d’attitude éducative est plus long à expliquer et à légitimer que de dénoncer par exemple la pornographie sur le net et de réclamer à corps et à cris, et par des propositions de lois tapageuses, l’interdiction d’accès de ces sites aux mineurs. D’autant que, quand on s’aperçoit des penchants pris par notre jeunesse, on se dit que finalement, on aurait dû agir bien plus tôt qu’en situation de crise, pour orienter autrement les habitus de ces ados. En fait, l’éducateur aux médias, sur base d’un exemple comme celui-ci, ramènera finalement les adultes à une réflexion sur les vertus que constituent la tempérance, la patience, le respect d’autrui, l’effort sur soi-même. Des valeurs éducatives qui se mettent en place déjà bien avant l’apprentissage de la manipulation d’une souris ou d’un clavier numérique. Des valeurs éducatives qui semblent n’avoir que peu de lien avec l’Education aux Médias, certes, mais qui sont malgré tout susceptibles d’habiter positivement les pratiques médiatiques.
Pour vivre heureux...
Un autre exemple est à situer dans l’usage des réseaux sociaux si souvent décriés et pourtant bien utiles à tous ceux qui, dès aujourd’hui mais plus encore demain, devront développer des compétences de construction de leur identité numérique. L’affichage des photos personnelles sur une page Facebook. C’est devenu un grand classique de la mise en garde telle que les médias la proposent : « Faites attention à l’exposition des souvenirs de vos soirées trop arrosées sur votre profil Facebook. Votre réputation numérique vous poursuivra tout au long de votre vie. Ne vous étonnez pas que, lors d’un entretien d’embauche, un futur employeur vous interroge sur telle ou telle photo ou propos publié et où vous n’êtes pas à votre avantage ». Est-ce là de l’Education aux Médias ? Certes, une mise en garde qui joue sur la corde sensible de la peur que tout un chacun peut avoir que son passé d’adolescent exubérant resurgisse à un moment inapproprié. Peut-être certains y seront-ils sensibles de façon primaire. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’il est inopportun de publier. Parlant des photos, on peut conclure que les clichés salaces sont évidemment à proscrire. Mais pratiquer de la sorte n’attire pas l’attention sur le fait que tout cliché dit quelque chose de ma personne et que toute représentation doit donc être appréciée à sa juste valeur avant publication. De plus, insister sur le caractère privé ou public (via le bon réglage des paramètres de confidentialité) de la publication de photos ne met pas en avant le fait que tout cliché publié numériquement, même à des intimes, peut très facilement être dupliqué et re-posté en libre accès à tout moment par un indélicat parmi ses proches. La vraie réflexion éducative n’est donc pas dans les réglages de l’interface Facebook qu’il est pourtant bien utile aussi d’enseigner. Ni non plus seulement dans l’éveil critique d’un internaute encore naïf quand il croit que publication privée restera privée. La véritable consigne éducative à distiller depuis le plus jeune âge, c’est qu’il vaut mieux éviter d’être jamais en situation préjudiciable, car l’évocation de celle-ci pourra toujours être rapportée par quelqu’un qui ne vous veut pas nécessairement du bien. Sur Internet certes, mais aussi verbalement, au détour d’une simple conversation.
...Vivons modéré
Educativement, ce n’est donc pas d’abord un problème de photos scabreuses, mais bien plutôt de mode de vie. Faire preuve de modération, de respect du sens commun, de sobriété, de discrétion, d’excellence… cela s’apprend d’abord au jour le jour dans la vie réelle et cela se décline aussi, plus tard, dans les pratiques en ligne. Mais avant tout parce qu’on en a fait un habitus et non parce qu’une séquence pédagogique dramatisante aura fait peur en agitant des menaces douteuses.
Car en fait, on est sur Internet comme on a appris à être dans la vie de tous les jours : prudent ou impulsif, réfléchi ou casse-cou, courtois ou « rentre-dedans ». On le constate tous les jours, non seulement chez les jeunes, mais aussi chez les aînés. A la différence près que les technologies démultiplient souvent l’ampleur des effets.
Eros, eros, petit patapon
Un troisième exemple ? Attaquons nous à quelque chose d’un peu plus corsé : la pornographie en ligne. S’il est bien un sujet qui fait pousser les hauts cris et justifie des plans d’action « safer internet »… c’est bien celui-là ! Et hélas, très souvent -trop souvent même- des opérateurs qui se réclament de l’Education aux Médias n’envisagent que des techniques d’évitement. Des logiciels de filtrage, des hotlines de dépôt de plainte, des stratégies de législation anti accès, des batteries de sanctions pour les fraudeurs. Mais cela ne marche pas ! Les filtres s’enlèvent, les fraudeurs développent toute leur créativité pour échapper aux repérage, aux sanctions… et finalement les enfants sont tout de même confrontés -volontairement ou non- à ce que l’on dénonce en tentant de le garder hors de portée et surtout hors de propos. Car ces stratégies d’évitement du risque visent surtout l’évitement de devoir en parler avec la jeunesse ! Alors, posons une fois de plus la question : Qu’est-ce que l’Education aux Médias a à voir avec cette problématique ? S’il s’agissait d’expliquer aux parents comment filtrer efficacement les sites au contenu préjudiciable et que cela marche, ce serait facile. Les commerciaux pourraient même s’en occuper. Les éducateurs en seraient dispensés. Mais ce n’est pas le cas. Alors, une autre approche commencera par expliquer « ce qui se passe quand ça se passe ». Pourquoi, quand j’effectue une recherche documentaire sérieuse, parmi les résultats ou dans les publicités annexées, se trouvent des propositions roses ? Tout a une explication, et c’est bien à l’éducateur aux médias d’en aborder les éléments de compréhension. Passer du temps à expliquer le principe des « tags » ou « mots-clés » qui identifient les pages html référencées par les moteurs. Expliquer le scannage effectué sur les termes principaux qui figurent au cœur des mails que vous envoyez, et qui révèlent vos centres d’intérêt. Expliquer la technique des « cookies » qui élaborent progressivement votre profil d’internaute lequel sera ensuite pisté par les démarches commerciales publicitaires des entreprises auxquelles votre identité numérique de consommateur aura été revendue. Tout cela met des mots sur « ce qui se passe quand ça se passe ». Cela rend les choses compréhensibles, raisonnables… Cela dédramatise dans une certaine mesure, puisque le jeune (mais aussi l’adulte) peut comprendre qu’il n’est pas nécessairement fautif de tout ce qui surgit à l’écran… Mais cela ne garantit pas du tout l’évitement de la confrontation, il est vrai. Mais c’est au moins, une démarche qui a l’honnêteté d’avouer sa limite : elle explique les choses et elle permet de faire des choix réfléchis quand le surgissement des écrans inopportuns se produit. Mais au nom de quoi va-t-on arbitrer plus pareille situation ? C’est là, à nouveau, que l’Education aux Médias déclare s’ancrer dans une éducation globale préalable bien nécessaire. Que suis-je en mesure de raconter à mes parents quand ce genre de situation survient ? Est-ce qu’un débat concernant ces écrans peut trouver place dans une approche de la sexualité dont on a déjà préalablement parlé en famille ? Est-ce que l’attitude parentale sera accueillante quelle que soit la situation, ou alors le jeune a-t-il déjà vécu des expériences familiales de non accueil, pire d’accusation et de jugement, qui le pousseront désormais au refoulement ou au mensonge ? Rien n’est véritablement nouveau avec Internet… mais l’expérience technologique va sans aucun doute être un nouveau terrain d’activation des vécus familiaux tels qu’on a pris l’habitude de les vivre. Si l’on devait malgré tout tenter une comparaison, il est clair que les nouvelles technologies posent bien plus tôt des questions que l’on pouvait ne traiter que plus tardivement dans l’éducation des générations qui n’étaient pas été confrontées à cette profusion d’images déboulant sur les écrans. Cela amène à de nouvelles responsabilités, du côté des éducateurs et des parents… et à de nouvelles responsabilités du côté des enfants. Le monde moderne, dit-on avance d’un siècle tous les dix ans ! A certains égards, c’est une réalité objective qui réclame une éducation plus rapide, sur des concepts parmi les plus fondamentaux. C’est un fait avec lequel il faut apprendre à vivre. L’ignorer serait préjudiciable aux jeunes qui doivent nous succéder.
Le dernier pour la route
Parmi les dérapages sur les routes de l’information, il est un grand classique : la rumeur et les arnaques [2] qui circulent dans les boîtes mail. Certes, une approche critique de ces situations doit-elle évoquer l’existence de sites qui se sont donnés comme mission de répertorier ces troublions et d’éveiller la vigilance des internautes quelque peu naïfs [3] … Mais justement, … Est-ce d’abord une question d’habileté technique que de déceler ce genre de supercherie ? Rien ne ressemble plus à un mail qu’un autre mail. Mais une fois qu’il a été adressé, une fois, deux fois, trois fois à des dizaines et des dizaines de destinataires en listes visibles dans l’en-tête du message… et que l’on vous invite à faire de même, cela devrait déjà titiller votre sens critique. Rumeur ?
Au marché des arnaques en ligne, il y a ces messages qui vous promettent des gains énormes et faciles… (par tirage au sort –oui, justement vous-, par la participation à jeux de hasard mais aussi par complicité de fraude –les lettres nigérianes [4]). Il y a ces rumeurs qui concernent des cas de disparition (avérées ou non, on peut déjà se poser la question) mais pour lesquelles surtout, on vous invite à agir d’une façon naïve mais totalement inappropriée (vérifier l’info auprès d’un organisme… dont le central téléphonique se trouve tout d’un coup importuné sans arrêt, et parfois pour des mois, voire des années), ou encore ces peurs que l’on répand à propos de situations dont vous pourriez être la victime (virus informatiques, transmission de maladies…) et qui instrumentent une vraie prise de risque celle-là… du fait de votre naïveté à suivre les consignes proposées (supprimer un fichier informatique pourtant bien nécessaire à votre ordi, par exemple). Il y a les solutions miracles (connaissez-vous l’omelette anti-brûlures ?) et les désinformations pseudo médicales (le citron guérisseur de cancer) ou franco racistes (Un Français sur quatre serait musulman)… Au delà des aspects techniques (bloquer une adresse importune, filtrer vos messages, dénoncer le spam…), ou de la déontologie de bon aloi (on ne destine pas un message à tout son carnet d’adresse si ce n’est en mode non visible – en utilisant le champ cci : copie conforme incognito), l’Education aux Médias mail renvoie inévitablement vers l’éducation globale préalable, non seulement pour rendre sa place au bon sens, mais pour en appeler à des valeurs éprouvées : sens de l’effort, rejet de toute explication simpliste qui dispense de prendre ses responsabilités, de tout sectarisme et de tout racisme, réalisme de bon aloi, sens critique face à tout approche jouant sur la pitié, l’ignorance, les peurs ou misant au contraire sur le bon droit d’une élite (de préférence celle dont vous pourriez vous revendiquer), la chance, etc.
Comme on le voit, les « il n’y a qu’à » simplistes que l’on entend souvent énoncer dans la vie de tous les jours ont leur pendant dans l’approche technologique. Ce sont les solutions à l’emporte-pièce qui consistent à installer des logiciels, cliquer sur des boutons, régler des paramètres… L’efficacité sur le long terme est souvent bien au delà des trucs et ficelles, dans une véritable compréhension des réalités en jeu, dans la perception de leurs conséquences sur les acteurs, mais finalement aussi dans l’adhésion ferme et indéfectible à certaines valeurs desquelles rien, pas même l’évolution des technologies et leurs boutons-miracles, ne doit nous détourner.
Toute explication qui, nous proposant des solutions simplistes fussent-elles technologiques, dispenseraient de réfléchir, devrait éveiller doublement notre vigilance.
Michel Berhin
Octobre 2011
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[1] Ce spot vidéo alerte particulièrement les parents sur les problèmes de « rencontres et discussions avec des inconnus » et l’excès de temps passé à jouer à des jeux vidéos notamment, tout en incitant les parents à activer un filtre de contrôle parental
[2] On évoque aussi cette réalité en utilisant l’anglicisme : hoax
[3] Citons, par exemple http://www.hoaxbuster.com/