Un projet vidéo dans l’enseignement spécialisé

Philippe Masse est enseignant dans l’enseignement spécialisé depuis plus de trente ans au Foya à Anderlues. Il utilise activement la vidéo dans une approche du français, essentiellement comme accès à l’expression orale. Il a participé avec sa classe à la Semaine de Créativité Contre le Racisme en 2009 en présentant le court-métrage « Pourquoi tant de N ? ».


Je travaille dans l’enseignement spécialisé depuis déjà plus de trente ans, et, très vite, j’ai été mis face à des classes d’élèves non-lecteurs. Je suis prof de français donc une partie de mon travail était l’apprentissage de la lecture. À côté de cela, une grande partie du travail était consacrée à tout ce qui est oral : réception, transmission, expression orale. J’ai donc dû partir de documents qui n’étaient pas écrits. J’ai pris des bandes dessinées, des publicités, des photos, des peintures, mais aussi des documents animés : des extraits de films, des reportages, etc. On a commencé à regarder tout cela avec les élèves et j’ai beaucoup travaillé avec eux le décodage de l’image dans les dix premières années.
Après avoir longuement abordé la réception, nous avions un certain bagage en main et nous avons eu envie de mettre cela en pratique. Avec les élèves, nous avons donc réalisé de petits courts-métrages, vraiment très courts, de 3 ou 4 minutes, où l’on a essayé de mettre en fonction ce que l’on avait appris en décodage de l’image. Par exemple, nous avions appris la plongée et la contre-plongée, pas du tout au point de vue technique, mais plutôt du point de vue du pourquoi. Nous réalisions de petits films avec ces plans, ces cadrages, ces recherches de couleur, des mises en opposition, etc., mais c’était encore un peu décevant, un peu ingrat parce que c’était vraiment de toutes petites choses. Nous nous sommes donc mis en projet de réaliser un véritable court métrage qui allait excéder le quart d’heure.

Avant de vous lancer dans ce projet audiovisuel, aviez-vous des connaissances préalables dans ce domaine ?

J’avais des centres d’intérêts qui m’ont, c’est vrai, poussé vers cela mais pas de véritable connaissance. Travelling, plan américain, etc., je ne connais pas trop. D’ailleurs je n’utilise pas très souvent les termes techniques avec mes élèves. On pratique ces concepts, c’est mieux que de faire de la théorie. Je me suis renseigné dans certains bouquins et j’ai procédé petit à petit.

Vos élèves ont-il quand même accès au côté technique propre à ce type de projet ?

Pour le dernier film que l’on a fait, les élèves n’étaient pas à la caméra, ils étaient au montage. Maintenant, c’est beaucoup plus facile avec les logiciels de montage. Les tous premiers montages que l’on faisait, c’était avec deux magnétoscopes, c’était un petit peu à la hache parce que quand on passait d’un plan à l’autre, il y avait des déperditions de couleurs, ce n’était pas vraiment au point. Ici, c’est le logiciel Magix®, ce n’est pas vraiment compliqué. Et cette année, il y a un de mes élèves de forme 2, donc qui souffre d’un handicap mental modéré, qui s’est acheté un logiciel et qui fait ses petits montages chez lui. Ce sont de petits trucs de famille mais j’ai trouvé cela vraiment chouette.

Les compétences propres à la langue française mises à part, ce projet peut-il être construit dans un cadre interdisciplinaire, voire dans le cadre d’un projet d’établissement ?

Dans l’école, je n’étais pas le seul professeur à participer au projet. Moi, j’étais derrière la caméra mais il y avait toute une série de profs qui m’ont aidé. Dans ce projet-ci de court-métrage un petit peu moins, mais beaucoup plus pour les projets précédents parce qu’il fallait des costumes, il fallait plein de choses donc le prof de couture est intervenu, les profs d’atelier pour tout ce qui était des décors, etc.

Une fois le scénario construit avec les élèves, quelle place laissez-vous à l’imprévu ?

Ici par exemple, il y a plein de séquences qui étaient prévues dans le court-métrage mais qui ont été rejetées, elles étaient dans le storyboard mais ça ne donnait pas grand-chose lors du tournage. Par contre, on a ajouté des éléments, il y a toute une partie d’improvisation, je leur pose des questions et en fonction des réponses qu’ils me donnent, on brode un petit peu là-dessus.

Quels objectifs visez-vous en particulier dans ce genre de projet ?

Pour nos élèves, c’est vraiment une manière de s’exprimer. On ne les écoute pas vraiment beaucoup, ça donne aussi toute une perspective quand on veut travailler l’esprit critique. Une fois qu’ils ont fait le film, ils ont peut-être un autre regard par rapport aux films qu’on va leur présenter. Ça n’a pas du tout changé leurs goûts cinématographiques mais ils ont quand même une autre approche du vécu du cinéma. Ce genre de travail amène à de nombreux objectifs, ce n’est pas uniquement raconter une histoire, tout le côté pédagogique qui se trouve autour a son importance. Pour moi d’ailleurs, cela prime à la limite plus que le côté artistique, c’est tellement riche comme projet ! C’est pour cette raison qu’il ne faut pas s’arrêter, même si l’on n’a pas forcément quelque chose d’intéressant à dire ! En plus les élèves sont vraiment très contents de ce qu’ils ont produit et ça, c’est super valorisant pour eux.

Propos recueillis par Jean-Paul Vitry

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