Star Wars 7 : le marketing de la nostalgie
A peine quelques jours après la sortie en salle du film « Star Wars 7 », une pléthore de critiques déferle sur la toile. Tandis que certains se réjouissent de ce tout nouvel épisode, d’autres lui reprochent son côté « rétro ». Les références au premier film de la saga sont en effet nombreuses, tant au niveau du visuel que de l’histoire. Mais ne serait-ce pas là justement une stratégie marketing ? L’article pose la question et tente de comprendre comment la nostalgie peut être utilisée comme stratégie marketing en prenant l’exemple du nouveau film de Disney, « Star Wars : Le Réveil de la Force ».
La construction d’un Empire… des origines de la saga à son rachat par Disney
En 1977, un film bouleverse le cinéma occidental. « La guerre des étoiles » de George Lucas fait un immense tabac et remporte sept Oscars. Rapidement, le film devient l’objet de livres, d’émissions et même d’études universitaires. Une communauté de millions de fans voit le jour et se fascine pour cet univers de science-fiction, sans savoir vraiment comment expliquer cet engouement. Comme le rapporte un article sur le documentaire Arte « Star Wars, les origines d’une saga », « Dark Vador, Luke Skywalker, R2D2 et la princesse Leia deviennent immédiatement des personnages cultes et les nombreux produits dérivés (maquettes de vaisseaux, sabres laser, figurines, etc.) font entrer le 7e art dans l’ère du marketing de masse » [1].
S’enchaineront par la suite cinq autres films pour compléter la saga. Outre les effets spéciaux, le succès de la double trilogie est dû à son inauguration du modèle du blockbuster hollywoodien, « c’est-à-dire un film dont le succès est si grand qu’on le compare à une explosion capable de raser un quartier. […] Le blockbuster tire la plupart de ses recettes de ventes extérieures au film (pop-corn ou figurines entourant le film) » [2]. Cela explique la production importante de produits dérivés. L’achat massif de ces derniers va faire de Star Wars une des plus grandes industries médiatiques, culturelles et commerciales. Nous voyons bien déjà l’enjeu marketing que sous-tend l’exploitation de ces films.
Récemment, le studio de LucasFilm s’est fait racheter par le géant Disney pour la modique somme de 4 milliards de dollars… « En rachetant à Georges Lucas son studio, Disney s’empare de deux franchises mondialement connues, Star Wars et Indiana Jones. Ces dernières viennent compléter le catalogue d’histoires et de personnages du groupe, qu’il décline à volonté, faisant de Disney une industrie culturelle à part entière » [3]. En plus de racheter le studio, Disney nous promet une nouvelle trilogie, dont le premier épisode est sorti en décembre 2015. A la tête de la réalisation, le talentueux J.J. Abrams, qui avait déjà réussi à rajeunir la franchise Star Trek.
Les réactions face à Star Wars 7 sont toutefois mitigées : il ne ressemblerait finalement qu’à un remake du premier film. Les connaisseurs observerons en effet de nombreuses similarités. Ni défauts d’imagination, ni coïncidences, ces échos du passé de la franchise s’inscrivent dans une stratégie marketing particulière, appelée le rétro-marketing.
Le marketing de la nostalgie, ou le rétro-marketing
Le rétro-marketing est une « déclinaison du marketing qui privilégie le passé dans sa démarche ou fait allusion directement ou indirectement à la notion de passé dans sa communication » [4]. Il peut prendre diverses formes dont celle qui nous intéresse le plus est la nostalgie. Celle-ci se définit comme « une réaction affective douce-amère éventuellement associée à une activité cognitive, et qui est éprouvé par un individu lorsqu’un stimulus externe ou interne a pour effet de le transposer dans une période ou un événement issu d’un passé idéalisé, s’inscrivant ou non dans son propre vécu » [5]. Comme toute stratégie marketing, le marketing de la nostalgie provoque des réponses chez ses consommateurs. Il existe trois types de réponses, auxquels sont associés les objectifs de la communication publicitaire [6]. Dans le cas de la nostalgie dans Star Wars 7, elle suscite deux types de réponses en particulier, que nous retrouvons d’ailleurs dans la définition de la nostalgie.
D’une part, la nostalgie peut provoquer une réponse cognitive : cela renvoie à « l’ensemble des informations et des croyances détenues par un individu ou un groupe de personnes ». Le film ne cesse de nous rappeler des événements s’étant déroulés dans la prélogie en calquant son histoire sur celle de l’épisode 4. Son objectif est de nous familiariser avec le scénario pour le rendre plus facilement acceptable. Qui sait ce qu’en auraient pensé les fans si J.J. Abrams avait totalement créé une nouvelle histoire... D’autre part, le film provoque une réponse affective : « cela renvoie au domaine, non plus de la seule connaissance, mais des sentiments, des préférences, des intentions, des jugements favorables ou défavorables vis-à-vis d’une marque ou d’une organisation ». Comme de nombreux produits marketing, le film tente de séduire et de persuader en touchant directement nos sentiments. Nous pouvons illustrer cela facilement par le retour emblématique du trio Han-Leia-Luke ou la musique grandiose de la saga introduisant ses films.
Véritable madeleine de Proust, la nostalgie « se caractérise donc par des aspects positifs - le fait de trouver le bon vieux temps -, et négatifs - l’idée d’irréversibilité du passé » [7]. Elle rappelle des événements passés, idéalisés avec le temps, qui vont pouvoir directement toucher le consommateur. La saga Star Wars constitue une véritable mythologie dans ses histoires à travers la galaxie. Elle a touché une génération entière (nostalgie collective) et de nombreux fans ont grandi avec elle (nostalgie individuelle). Elle est par conséquent déjà empreinte d’une forte nostalgie, que le nouvel épisode convoque.
Star Wars 7, un remake de l’épisode 4 ?
Nous constatons une utilisation assez forte de la nostalgie dans le tout nouveau film Star Wars 7 à travers ses nombreuses références à l’épisode 4. Il fait écho au passé et ce, de trois manières différentes. Premièrement, malgré son contenu relativement différent, le film reprend la structure initiale de l’histoire : pour faire court, il commence sur une planète désertique où s’est réfugié un robot détenteur d’une information capitale et finit sur l’explosion de la « base Starkiller », une nouvelle « Etoile de la mort », attaquée par les chasseurs de la Résistance. Deuxièmement, il est plein d’« easter eggs » [8], de clins d’œil à l’épisode 4 : le jeu d’échecs holographiques, le passage par une « cantina » remplie de créatures bigarrées où se produit un orchestre, l’obtention du sabre laser comme accès au statut de Jedi, etc. Troisièmement, il ramène sur la scène le trio emblématique qui a fondé la première trilogie : le chasseur de primes Han Solo, la princesse Leia et le chevalier jedi Luke Skywalker, sans oublier le guerrier Wookie Chewbacca…
Le film touche ainsi directement aux connaissances du spectateur. Son objectif est de remonter des souvenirs par des stimuli sensoriels, une technique amplement utilisée en marketing par les marques. Nous retrouvons dans Star Wars 7 des stimuli visuels avec les « easter eggs » mais également des stimuli auditifs : « Les musiques qui nous transportent sont en réalité des réarrangements des thèmes que nous connaissions déjà » [9]. John Williams, directeur musical du film, reprend plusieurs musiques qu’il avait autrefois composées pour l’épisode 4 et innove peu au final. L’effet est toutefois bien là : à peine le film se lance-t-il, que nous sommes parcourus de frissons en entendant la musique symbolique de la saga.
Quant aux personnages, ils sont, à quelques détails près, calqués sur ceux les ayant précédés : Rey et Luke Skywalker, Kylo Ren et Dark Vador, BB8 et R2D2. Le film est fondé sur un miroir : toute sa structure est calquée sur l’épisode 4. De quoi, d’un premier abord, décevoir les fans. Et pourtant, le succès est au rendez-vous, et les chiffres peuvent en témoigner : avec près de 2 milliards de dollars de recettes à l’international, le film se place en troisième position après Titanic et Avatar [10]. Aux Etats-Unis, le carton est immense : il devient le film le plus rentable de l’histoire et prend la tête du box office. Le succès est toutefois moindre en Chine, où il figure neuvième. Le film Warcraft connait quant à lui de bien meilleures recettes, étant donné la popularité de la licence auprès des joueurs chinois. Le film Star Wars s’inscrit lui plutôt dans la culture populaire américaine. Cela explique pourquoi la nostalgie a aussi bien fonctionné auprès du public américain. Le film tient par conséquent son succès à l’étonnante prouesse de son nouveau réalisateur, J.J. Abrams, qui a su combiner les nouvelles technologies du numérique aux ingrédients de l’épisode 4. Il a ainsi réalisé ce que nous pouvons appeler de la « rétro-innovation ».
Une prise de risque minimale
Si J.J. Abrams s’est autant basé sur la nostalgie, c’est en réalité pour éviter de prendre des risques. L’objectif était de relancer Disney : « Si l’extension de l’univers Marvel se fait progressivement, on se retrouve avec un navire amiral de moins en moins convaincant à travers les films Avengers… » [11]. L’exploitation de Star Wars est pleine de potentiel grâce aux centaines de scénarios déjà existants dans les livres, comics et animations. Sans nostalgie, les réactions auraient été aussi probablement toutes autres et le scénario aurait pu être critiqué par les fans. J.J. Abrams et le studio ont préféré la prudence, jusqu’à fournir du « fan service » : proposer du contenu superflu dans le but de plaire aux fans.
A l’origine, le nouvel épisode ne devait pas être si rétro mais proposer de toutes nouvelles aventures sans parallèles avec l’épisode 4. Malgré les recommandations de George Lucas, les scénaristes ont repris la structure des films d’origine afin de revenir aux fondamentaux et de faire oublier la prélogie qui divisait les fans. De manière métaphorique, d’ailleurs, J.J. Abrams semble assumer cette démarche en proposant à l’image des vestiges des épisodes anciens : le casque de Dark Vador, les vieux robots, jusqu’à l’héroïne qui survit en pillant les épaves des vieilles batailles spatiales avant d’elle-même embrasser la force.
L’épisode 7 reste bien fidèle à la saga en perpétuant le modèle du blockbuster qu’elle avait elle-même contribué à forger. Star Wars est depuis le début un pure produit de marketing. Le rachat de la franchise par Disney l’a introduite dans la plus grande entreprise de l’entertainment, considérée par Frédéric Martel comme l’emblème de la culture mainstream mondialisée [12]. Le nouveau Star Wars 7 se présente comme un film total, visant le plus grand public possible en misant sur l’engouement des fans de la première heure pour mobiliser les générations plus jeunes. Ou, autrement dit, sur les parents pour embrigader les enfants dans les nombreuses batailles spatiales que Disney nous promet.
Géraldine Wuyckens
Septembre 2016
Stranger Things, les années 80 remixées
La série évènement de l’été 2016 a suscité un accueil enthousiaste du public et des médias. Pourtant, l’histoire d’un groupe d’enfants dans une petite ville de l’Amérique profonde en proie à des évènements fantastiques et horrifiques est-elle à ce point originale ? Que du contraire, le spectateur féru de fiction américaine peut sans peine égrener les œuvres voisines de la série : best-sellers de Stephen King (Ca, Charlie…)¸ films hollywoodiens (Les Goonies, E.T.,…), etc [13]. Stranger Things abonde de références aux productions des années 80-90 : elle distille notamment une musique digne des B.O. de Carpenter, les tubes de l’époque, des références de jeux de rôles sur table et va jusqu’à réemployer Wynona Ryder, actrice emblématique des rôles de teenager de l’époque mais un peu perdue de vue. De ce point de vue, cette série de Netflix est un parfait exercice de retro-marketing qui a réussi à mobiliser la culture pop des spectateurs pour entretenir sa propre notoriété.
[1] DUMONS O., « Star Wars, les origines d’une saga », LeMonde.fr, 2014 http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/01/22/star-wars-les-origines-d-une-saga_4350088_3246.html
[2] MÈMETEAU R., « Pop Culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités », éd. La Découverte, Paris, 2014
[3] Joux A., « Disney acceuille Star Wars dans sa galerie de personnages et … », La revue européenne des médias numériques, N°25 Hiver 2012-2013 http://la-rem.eu/2012/12/21/disney-accueille-star-wars-dans-sa-galerie-de-personnages-et/
[4] Définition tirée du glossaire e-marketing : http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Retro-marketing-238818.htm`
[5] Divard R. Et Robert-Demontrond P., « La nostalgie : un thème récent dans la recherche marketing », 1997, Recherche et Applications en Marketing, p.41.
[6] Lambin J.-J. & de Moerloose C., « Marketing stratégique et opérationnel, Du marketing à l’orientation-marché », 8ème édition, éd. Dunod, Paris, 2012, pp. 119-120
[7] Kessous A. Et Roux E., “Nostalgie : de l’optique consommateurs à celle des marques”, Inseec Research, 2014, p.4, https://recherche.inseec.com/wp-content/uploads/2014/12/DM-V4-wp.pdf
[8] De l’anglais “oeuf de Pâques”, un “easter egg” est une fonctionnalité ou une référence cachée dans un logiciel, un jeu vidéo ou un film. Les programmeurs/artistes/modeurs s’en donnent souvent à coeur joie. (Définition tirée de : http://play-mod.rochmedia.com/que-veut-dire-easter-egg)
[9] Pierre, « Critique : Star Wars le Réveil de la Force », journaldugeek, 2015 http://www.journaldugeek.com/2015/12/16/critique-star-wars-le-reveil-de-la-force/
[10] Chiffres issus de : http://www.boxofficemojo.com
[11] Legrand D., « [Critique geek] Star Wars VII : le réveil de la force du merchandising, et après ? », 2015
http://www.nextinpact.com/news/97678-critique-geek-star-wars-vii-reveil-force-merchandising-et-apres.htm
[12] Martel F., « Mainstream : enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde », éd. Flammarion, 2011
[13] Voir cette vidéo qui compile les nombreuses références de la série : Ulysse Thevenon, References to 70-80’s movies in Stranger Things, août 2016, https://vimeo.com/175929311