Quand l’infaux fait divers…ion

Que recherchent donc ceux qui publient de la fausse information sur le net ! Beaucoup d’internautes intellectuels consciencieux, diront que c’est du plus mauvais goût ! Semer ainsi la confusion discrédite tout le web ! Si aujourd’hui chacun peut devenir auteur mais que l’on ne respecte pas une certaine déontologie, il n’y a plus qu’à tirer la prise ! A moins que justement, cette situation bizarre ne provoque un électrochoc intéressant. Une piste d’Éducation aux Médias ?

De tout temps, il y a eu des farceurs et des menteurs et, avec Internet, il semble qu’ils aient trouvé LE média de masse pour arroser en tout sens. Imitant les codes traditionnels des sites de presse en ligne, ces sites loufoques maîtrisent l’art de la parodie et sèment volontairement la confusion chez les lecteurs ! Un univers d’un genre (littéraire) particulier à ne pas confondre toutefois avec la « complosphère » comme certains la nomment [1], ces sites qui prétendent informer les gens et qui voudraient remplacer les journaux d’informations par leurs propres et uniques sources d’informations partisanes. Résultat, ceux-là manipulent les gens, désinforment et intoxiquent ceux qui cherchent des informations sur le net. Mais ici, on parle d’autres choses : des sites d’infaux.

A l’évidence, la recherche documentaire réclame aujourd’hui de l’internaute, une approche critique qui relève sensiblement de l’enquête policière. En effet, il ne s’agit pas comme quand on sollicite une bibliothèque, de seulement localiser des ressources qui afficheraient un label de sérieux du fait d’avoir été publiées par telle ou telle maison d’édition ayant pignon sur rue. Non, aujourd’hui le net, qui fut à ses débuts, le prolongement de cette vaste bibliothèque mondiale, s’est progressivement muté en une agora aux propos pas toujours très contrôlés. Chercher de l’info en ligne, aujourd’hui s’apparente donc à une recherche d’enquête, à de la prospection journalistique ou encore à de l’exégèse médiatique… une herméneutique qui ne peut se contenter d’avaliser le contenu sous prétexte qu’il a été formaté pour son public. L’interrogateur du web doit se montrer exigeant, réclamant à chaque fois des attestations multiples de ce qu’il découvre libellé dans une première formulation ! Des attestations signées par des auteurs authentifiés et crédibles. De sorte que, finalement, la conviction s’installe : voilà bien des propos crédibles énoncés par des personnes fiables dans un contexte de pure information (Ce qui ne réduira pas pour autant le risque d’erreur à zéro… et la nécessité, alors, d’un rectificatif en bonne et due forme).

On le constatera, le web connaît aujourd’hui des développements assez perturbants. Des sites qui se présentent comme dédiés à l’information déclinent en fait des parodies journalistiques qui ont toutes les caractéristiques du genre, mais qui n’ont aucunement l’intention de nous proposer un « récit du réel [2] ». D’où ce commentaire d’Ettore Rizza, journaliste : «  On aurait presque envie d’y croire. Style neutre, maîtrise des techniques (et des tics) journalistiques, sens de la citation, attaques et chutes élaborées. Du pur pastiche rédigé dans les règles de l’art. Le site Web lui-même ressemble à s’y méprendre à celui de grands médias [3] ».

En fait, on nage plutôt en plein délire et on s’amuse beaucoup… à condition d’avoir bien perçu que tout était à entendre au second degré. Or visiblement, c’est là que certains se méprennent, tombent dans le panneau et n’hésitent pas non plus à embarquer plus d’un dans leur chute, en transférant le message avec force commentaires crédules et souvent offusqués. Car il faut bien le reconnaître, les propos imaginaires flirtent volontiers avec l’invraisemblable, voire le contestable… Et comme souvent alors, en matière d’humour, plus c’est gros… plus ça passe ! [4]

Prenons donc quelques exemples pour faire comprendre l’ampleur du phénomène « Infaux ». Des exemples qui nous serviront aussi d’études de cas nous permettant de comprendre le mécanisme caché et partant, de tirer l’enseignement que nous pressentons en matière d’Education aux Médias.

Commençons par la nouvelle du jour sur le Gorafi, parodie du Figaro [5], et qui publie ce 19 mars 2015 : « Tunis – BFM et iTélé s’excusent pour avoir donné des localisations des otages bien trop imprécises  ». Le propos est intéressant, car il monte en épingle une réalité qui a fait l’objet de commentaires critiques tout récemment. On se souvient du traitement médiatique des attentats liés à Charlie Hebdo. Une de nos analyses [6] revenait sur le sujet en pointant la nécessaire prise de distance plutôt que la retransmission « tout en direct ». Il avait été reproché aux médias de fournir de façon assez irresponsable des renseignements pouvant influer gravement sur le cours des événements. Pour faire bref : la communication du dispositif policier et des informations hautement confidentielles comme la présence de personnes dans les bâtiments faisant l’objet d’une attaque terroriste toujours en cours. On le voit, le Gorafi revient sur un sujet sensible et rappelle un point de déontologie journalistique essentiel, en recourant à la parodie subversive. Un développement qui invite à la réflexion, non seulement du côté des acteurs médiatiques, mais aussi du côté des lecteurs que l’on peut quelque peu éduquer en leur faisant se poser les bonnes questions. Par exemple : qu’attendez-vous de vos médias d’information en ce genre de situation ? Quels sont les critères de traitement d’un fait (dramatique) d’actualité comme celui-là ? Jusqu’où comprenez-vous qu’il n’est sans doute pas adéquat de tout révéler à l’antenne, minute après minute ; le droit d’être informé étant concurrencé par d’autres prérogatives liées à la sécurité des individus, au respect de la vie privée et du droit à l’image… pour ne citer que quelques pistes de réflexion en matière de déontologie.

Autre exemple, cet article intitulé « Il remplaçait les magazines dans les salles d’attentes des médecins par des exemplaires récents [7] ». Cette prose a tout du Fait divers. On rapporte une anecdote sans grand intérêt à l’échelle de la planète, mais qui campe par un récit court, le type de société dans laquelle nous vivons. A chacun d’y accorder l’attention qu’il juge légitime et d’en tirer un enseignement pour son quotidien, s’il le décide. En l’occurrence ici, l’auteur condamne une pratique largement répandue dans les salles d’attente des cabinets médicaux, qui consiste à mettre à disposition des patients désoeuvrés de la littérature sans plus grand intérêt. Soit parce que leur actualité est complètement dépassée, soit parce qu’il représente une publication de niche qui, ne se vendant pas très bien, se retrouve dans des lots que des distributeurs refilent sans scrupules aux professions libérales, elles-mêmes pas toujours très regardantes. L’article est donc une manière humoristique de faire passer un message à la corporation : « Tant qu’à nous mettre de la lecture à disposition, ne nous prenez pas pour des imbéciles. Faites de bons choix !  ». Certes, un journal dit sérieux, aurait pu traiter le même sujet en réalisant une interview de médecin ou en investiguant auprès des distributeurs de magazines spécialisés dans la fourniture des salles d’attentes… et produire un article de fond très standard. Le choix de le faire en recourant à l’ironie est une manière subversive de piquer la curiosité du lecteur, envahi par trop d’infos [8] ! Et le formatage qui emprunte les codes de la presse écrite permet, lui, de surprendre et de fixer l’attention du lecteur… un des passages obligé de l’écriture journalistique.

L’intérêt de ces sites est donc de coller à l’actualité et de proposer une réflexion derrière l’humour. Ainsi, ce reportage évoquant le « décès du plus vieil être humain gardé en captivité dans un zoo [9] ». Dès le titre, on perçoit immédiatement le caractère parodique (non ?) et l’on pressent la morale que l’auteur veut faire passer : l’espèce humaine, pas plus que les autres (animales) n’a sa place en captivité. Mais, partant de cette clé de lecture, (l’homme est un animal certes intelligent, mais un animal tout de même), on développe l’info en toute bonne logique journalistique. Ce que l’on décrirait de la captivité d’un grand primate est décliné ici à propos d’un couple de septantenaires que la captivité aurait offert en spectacle aux visiteurs d’un zoo. Cela ressemble à s’y méprendre à un papier paru sur le décès d’un gorille ou d’un panda…. La morale est là : « Ne faisons pas aux animaux ce que nous n’aimerions pas que l’on nous fasse  ». On peut être d’accord ou trouver le propos excessif… mais le traitement journalistique appliqué à ce nouveau mammifère, l’humain, soulève une question et invite à la réflexion. Un des rôles de la presse, n’est-il pas ?

Ce qui est dérangeant dans la forme d’expression choisie ici, c’est la confusion qu’elle sème : Info ou intox ! Il faut être introduit un minimum au sujet traité pour identifier le second degré car, pour le reste, le genre journalistique est respecté dans ses codes [10] et pourrait faire passer inaperçu le traitement ironique des faits. Mais si cela renforce la difficulté du décodage, c’est aussi là que se niche l’intérêt de la formule. A la condition toutefois de fournir, sans qu’il faille être diplômé en journalisme et détenteur de capacités d’écritures web, le moyen de démêler le vrai du faux [11].

L’apprentissage de la lecture critique d’une expression médiatique est souvent abordée par des démarches dites de déconstruction/reconstruction. S’approprier le genre d’un média peut se faire, dans un premier temps, par une déconstruction des éléments qui le structurent. Identifier les composants, pouvoir les nommer, en comprendre le rôle dans la stratégie de communication, en percevoir les effets sur le consommateur médiatique est une première partie du travail. Et, dans un second temps, il est alors efficace de proposer à celui qui s’initie à la communication médiatique de tenter de composer lui-même des messages correctement formatés.

En ce sens, apprendre à rédiger un reportage, une interview, un billet en respectant les codes de genre peut se faire sur des infos bidon. C’est là, dans un premier temps, un simple exercice scolaire. Mais si l’exercice se poursuit par la diffusion en ligne, on va plus loin dans la mise en forme. A la capacité de rédiger, s’ajoute la compétence de publier en contexte véritable. Certes, le risque de confusion est là… mais l’honnêteté justifiera alors qu’un signal simple soit donné pour que le lecteur puisse s’y retrouver.

Quand le quotidien namurois, l’Avenir, offre à Xavier Diskeuve un espace sur son site de presse en ligne, les éléments de discrimination entre info et infaux sont clairs. La baseline de la rubrique s’intitule : « Croyez-le si vous voulez  ». Le surtitre est généralement « Faux billet  », « La main dans le fake » ou la mention « Infaux  ». Un cachet estampille la photo de l’article : « Fake - Croyez-le si vous voulez  » et l’adresse url du site est www.avenir.net/extra/pas-net. Si avec ça, le lecteur ne perçoit pas le stratagème… on touche au ridicule !

Quand le Gorafi, APFPresque ou La nouvelle observatrice développent tout un site pour ne publier que de l’infaux… ils prennent la peine de livrer dans un « A propos » la nature de leur intention éditoriale. Encore faut-il que le lecteur ait la présence d’esprit de se renseigner ! Mais c’est justement là que l’Education aux Médias est ravie de l’opportunité qui se présente. En effet, tout lecteur critique doit se poser un minimum de questions quand il est en recherche d’information. Que l’on soit sur des sites d’infaux ou sur d’autres. La première question étant d’identifier l’auteur du propos qui s’offre à lui par médias interposés, et de prendre en compte la teneur du propos, la ligne éditoriale qui est développée. Et si, à tout le moins, ce questionnement ne reçoit pas les réponses appropriées par une fouille de l’interface du site… le recoupement de l’information, via d’autres sites, devrait être le second geste de rigueur critique à mettre en œuvre.

Ceci n’est pas sans rappeler la situation de confusion que déclencha la diffusion de l’émission « Bye, Bye, Belgium » que la RTBf avait orchestrée avec la complicité de François Debrigode, le présentateur officiel, embarqué dans une (fausse) émission spéciale dans le studio même du JT ». La critique avait été féroce pour dénoncer le caractère pernicieux de la mise en scène jouant avec les insignes de la crédibilité de l’info de service public [12]. Pourtant, à l’heure de la diffusion, le simple basculement sur la chaîne concurrente permettait d’opérer la démystification immédiate de la stratégie de communication parodique choisie pour frapper les esprits. Cela n’était pas prendre en traître le lecteur, pourvu que celui-ci fasse preuve de la plus élémentaire des vérifications… une mission qui lui incombe en toute situation de consommation d’info, que le média soit officiel ou de statut contestable.

Avec les sites d’infaux, on est dans le même registre. On prêche le faux pour dire le vrai, certes, mais on fournit aussi au lecteur attentif, les clés d’interprétation du genre littéraire auquel on le confronte [13]. Certes, une alphabétisation à ces codes de la communication médiatique est alors nécessaire… mais on se réjouira de ce que cet apprentissage ne sera pas mis en avant pour démystifier prioritairement des publications humoristiques comme celles que nous venons d’évoquer, mais bien pour s’approprier les codes des supports d’infirmations que nous sollicitons au quotidien pour nous tenir au courant de ce qui se passe dans le monde et, en conséquence, poser des choix citoyens responsables, favorables au vivre ensemble et à la résolution des problèmes de nos sociétés contemporaines.

C’est alors que le lecteur médiatique sera compétent pour intervenir de façon autonome dans un débat comme celui que nous rapportions dans l’analyse dédiée au tout récent « World Press Award » ayant décerné un prix à des photos composition prétendant être du reportage d’information sur Charleroi.

En effet, «  Dans cette course effrénée du partage, du savoir tout, tout de suite. Ne faudrait-il pas prendre le temps de lire peut-être moins, mais mieux ? L’heure n’est-elle pas à la prudence, à l’exercice de la critique, au réveil de la conscience ? Pour ne pas faire de nos cerveaux, des serveurs semblables à ceux de Facebook, des endroits de stockage énergivore et sans âme [14] ». Une mission d’Education aux Médias, en somme.

Michel Berhin, Chargé de mission en Education aux médias

[2Ce terme est à rapprocher de ce que l’Education aux Médias nomme « représentations médiatiques du réel » et non réalité.

[4Remarquons toutefois que la parodie doit rivaliser avec une réalité elle-même déstabilisante. A titre d’exemple, ceci : « Retourne d’où tu viens » : téléréalité polémique sur une chaîne flamande : http://www.lavenir.net/cnt/dmf20150323_00622066 : Info ou intox ?

[5Qui sont-ils : http://www.legorafi.fr/about/

[6Mettre ici l’url de l’analyse consacrée à Charlie Hebdo

[8Est-ce l’émergence d’un nouveau genre : « Désormais, l’information ne se suffit plus. Elle a besoin du divertissement pour être lue, intégrée et même relativisée. Sans doute parce que l’actualité a atteint un degré de saturation de notre environnement  ». Et l’article de parler d’Infotainment. http://www.huffingtonpost.fr/fabrice-d-almeida/analyse-le-gorafi_b_4635566.html

[10Remarquons en passant que le même exercice d’identification des codes pouvant aller jusqu’à leur mise en œuvre dans de nouveaux récits publiés est possible à propos d’un autre genre littéraire comme celui de la rumeur, par exemple.

[11Et c’est en prenant le risque de nous répéter que nous repréciserons que c’est cela qui fait la différence entre les sites d’infaux et la complosphère qui, elle, se donne pour de la vraie information

[12Pour un rappel des événements, on pourra lire : http://www.uclouvain.be/354324.html

[13Ceci n’est donc pas à comparer avec la démarche que nous qualifiions de tricherie pédagogique dans le chef d’un enseignant prêchant le faux pour le vrai… dans un contexte très différent (mettre un lien avec l’affaire du pourrisseur du web)

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