Pour ou contre les jeux vidéo : un clivage parents/enfants récurent
« Je m’inquiète de la violence des jeux vidéo. Mes enfants trouvent normal que quelqu’un soit tué et que le sang gicle ! ». « Certains sont vraiment ‘accros’ aux jeux vidéo. Mon fils a raté sa 1ère année dans l’enseignement supérieur car il jouait toute la nuit ». « Mon aîné joue beaucoup et son petit frère le suit et veut aussi jouer aux jeux vidéo comme lui ».
Comment gérer cet engouement ? » [1]. Vous êtes parent ou éducateur et cela vous parle ? Lisez donc la suite pour vous rassurer et y comprendre quelque chose.
Mario, Lara Croft et moi …
Un jeux vidéo, qu’il soit en ligne ou non et joué sur un ordinateur, une console ou un téléphone portable est avant tout un jeu, un univers ludique auquel la plupart des jeunes aiment se frotter. Les grandes caractéristiques du « jeu » sont les suivantes : le joueur entre dans un univers simulé où il doit prendre des décisions et respecter les règles établies par le système. Il y fait semblant de vivre des situations dont il ne connait pas à l’avance le dénouement et cette activité ne semble pas porter de conséquences directes et immédiates sur sa vie en dehors du jeu. En plus, le joueur éprouve la plupart du temps un certain plaisir à mener ces actions. Certains jeux vidéo (Zelda, GTA, Tom Raider, FIFA, World of Warcraft, Mario, Sims, etc.) font aujourd’hui réellement partie de la culture médiatique, véritables « cultes » d’une génération qui n’est pas toujours aussi jeune qu’on pourrait le penser.
Vu sous cet angle, le jeu vidéo n’a pas l’air inquiétant pour nos têtes blondes. Pourtant des questions persistent quant à leur nature et aux comportements qu’ils pourraient susciter auprès des jeunes adolescents et adultes. Ces questions sont tantôt portées par des observations au sein de la famille, tantôt rapportés par les médias qui nous rappellent que les jeux vidéo peuvent avoir mauvaise presse.
Grand Theft Auto, Doom, Mortal Kombat,...
La question de la violence se pose pour les jeux vidéo comme elle s’est posée dans le passé pour les autres médias (télévision, mangas, bande dessinées, cinéma, romans, etc.). Des études, comme celle de Craig Anderson [2], qui essaient d’établir un lien de cause à effet entre les jeux vidéo et la violence dans la société ont été réfutées par la Cour suprême américaine en 2010 à cause de leur méthodologies biaisées. A l’inverse, certains psychologues observent certains effets thérapeutiques, de défouloirs, de catharsis. Par exemple, les jeux vidéo peuvent avoir un effet apaisant sur les enfants hyperactifs ou minimiser les symptômes dépressifs en maison de retraite. Dans ces deux cas, les conclusions sont difficiles à généraliser car il s’agit d’études de cas précises qui sont menées la plupart du temps dans des « laboratoires » et non dans les contextes de réception habituels et domestiques dans lesquels on joue. Avant d’essayer de comprendre ce qui se passe lorsque l’on joue à un jeu vidéo considéré comme violent, il est important de s’interroger sur ce qui fait ou pourrait faire violence pour le joueur. Est-ce la vue du sang, le fait de « tuer » dans un jeu de guerre, de se battre contre des zombies ou d’être confronté une injustice profonde dans un jeu sur un conflit géopolitique ? En effet, selon la sensibilité de chacun, un même jeu pourra être ressenti de manière différente. Pour certains, un jeu de guerre sera uniquement perçu comme un nombre de pixels sur lesquels on clique systématiquement alors que pour la personne qui l’observe il donne l’impression de tuer des dizaines de soldats ennemis. De manière générale donc, il sera plus intéressant de s’interroger sur le « gameplay » c’est-à-dire la manière dont on joue et non sur le contenu du jeu quand on se pose la question de la violence. Il est également opportun de laisser le temps au joueur de faire redescendre la pression avant de conclure trop rapidement à un effet néfaste, tout comme un sportif a besoin de quelques minute pour relâcher ses nerfs après un match.
Usage problématique
Peut-on devenir « accros » aux jeux vidéo ? Là encore, il faut faire attention aux mots que l’on utilise et éviter de mettre des appellations inexactes sur certains jeunes qui présentent un usage excessif du jeu vidéo. En effet, ils pourraient bien avoir envie de se réfugier derrière cette étiquette d’« accro » alors que la plupart du temps ces comportements sont passagers. L’addiction, la dépendance [3] est le symptôme d’un mal être et les professionnels de la santé mentale préfèrent parler d’usage excessif et non d’addiction. Se réfugier de manière intensive dans l’univers du jeu vidéo est donc la conséquence d’un problème personnel dont souffre le joueur et non la cause de ce problème. Dans de nombreux cas, on observe que les parents font attention au temps que leur enfant passe devant les jeux vidéo et ils s’en effraient facilement. Ils n’ont pas tort mais ils ne doivent pas oublier d’accorder également beaucoup d’attention à ce qu’ils y font et au sens qu’ils donnent à cette activité. Quand on est pris dans un « bon » jeu (qu’il soit vidéo ou non), dans un « bon » récit (que ce soit un film ou un roman) on ne voit pas le temps passer que l’on soit jeune ou non. Si l’on veut gérer le temps du jeu et fixer les limites nécessaires, il vaut mieux laisser aux enfants un nombre de plages horaires qu’ils doivent gérer sur la semaine plutôt que de leur donner 1 heure par jour par exemple. On évitera alors de les frustrer après chaque session.
Il est vrai que certains jeunes adolescents ou adultes vont avoir tendance à s’investir de manière importante dans ces univers virtuels. La plupart du temps, c’est passager et ça correspond à des phases de la construction de l’identité durant lesquelles on a besoin de se couper des parents, des autres, de repousser ses propres limites (le temps, la résistance physique), voire de prendre des risques. Cet usage des jeux vidéo pourra être plus important lors de périodes transitoires (passage des études au premier emploi, période de questionnement, rupture amoureuse, études) qui peuvent varier de quelques semaines à quelques mois. Il existe bien entendu des cas plus extrêmes où les joueurs sont vraiment dans une situation problématique et où une prise en charge psychologique et thérapeutique sera nécessaire mais on estime ces cas de joueurs intensifs à environ 2%. Ces joueurs développent alors les trois symptômes suivants :
- ils se centrent sur le jeu vidéo (même s’ils n’y jouent pas souvent, ils n’arrêtent pas d’y penser, cela devient obsessionnel) ;
- ils délaissent des obligations scolaires, professionnelles, familiales etc. ;
- le jeu vidéo devient une source de conflit irréversible au sein de la sphère familiale, amoureuse, professionnelle.
Ils existe aussi des cas de « hardcore gamers » et de « no-life » [4], mais ils sont encore plus rares heureusement.
Dis moi à quoi tu joues...
Depuis les années ’70, les jeux vidéo font partie de l’univers médiatique « mainstream » de nombreux foyer aux quatre coins du monde. L’usage s’est diversifié grâce à la démocratisation des consoles et jeux vidéo, la multiplication et la simplification des supports mais aussi parce que l’offre s’est élargie à différents publics. Elle s’est tellement élargie qu’aujourd’hui le joueur moyen (en Europe et aux Etats-Unis) a environ 35 ans. Nous sommes bien loin de l’image de l’adolescent ingrat reclus derrière son clavier. La passionné des années ’90 a fait place au consommateur lambda d’aujourd’hui. Nous sommes en effet de plus en plus nombreux à jouer, parfois sans le savoir et parfois même pour apprendre.
Un exemple intéressant à observer est le cas des joueurs de jeux vidéo en ligne. En effet, dans la plupart de ces univers persistants [5], le joueur se met dans la peau d’un avatar. Les joueurs sont en interaction entre eux via ces créatures aux formes diverses qu’ils se construisent pour mener leurs aventures, leur quête. Le joueur peut rechercher différentes choses dans le jeu : explorer un univers, gagner, se faire des amis, gérer une communautés, faire du profit etc. La plupart de ces jeux en ligne sont des lieux de socialisation réels et l’avatar n’est pas construit de manière anodine. En effet, si il ne correspond pas toujours aux caractéristiques physiques de la personne qui est derrière son écran, il possède la plupart du temps les valeurs morales de celui-ci. De nouveau, que l’on soit jeune ou non, on peut investir beaucoup de temps, mais surtout de sens lorsque l’on construit de cette partie de soi qu’on livre sur la toile. Serge Tisseron [6] explique à travers ses ouvrages que la plupart des adolescents joueurs ont l’habitude d’avoir plusieurs avatars. Cela correspondrait aux différentes parties de leur identité qu’ils testent dans le processus de devenir adulte.
Catherine GEEROMS
Octobre 2012
[1] Déclarations recueillies lors de l’étude menée par Média Animation et l’Ufapec « Les enfants du Net et leurs parents. Une recherche-action sur Internet en famille », Décembre 2011.
[2] Craig Anderson, éminent professeur de psychologie à l’Université de l’Iowa et directeur du Centre de l’État de l’Iowa pour l’étude de la violence, est l’auteur principal de cette étude qui fournit une analyse exhaustive de la documentation publiée sur les effets des jeux vidéo violents : Conclusion de l’étude : l’exposition à des jeux vidéo violents cause directement l’augmentation des pensées et des comportements agressifs et diminue les comportements pro-sociaux et empathiques chez les jeunes qui y sont exposés.
[3] La dépendance est définie comme la tolérance à l’augmentation de la prise d’un produit, avec un sevrage qui va être difficile.
[4] « Hardocore gamers » : la pratique du jeu gagne en intensité et va entraîner, par exemple, un déséquilibre dans le cycle veille-sommeil. « No-life » : situations rarissimes dans lesquelles le sujet investit uniquement et exclusivement le jeu et abandonne ses activités scolaires ou professionnelles.
[5] Cela veut dire que le monde virtuel continue à évoluer même si vous, utilisateur, n’êtes plus en ligne.
[6] Serge Tisseron est un psychanalyste français qui travaille sur la construction de l’identité à travers les écrans.