Participation et presse de proximité ? Mon cher souci….
La participation citoyenne dans les médias serait-elle plus présente dans les médias de proximité, comme la presse régionale ? Une hypothèse qui nécessite de décrypter la notion de proximité et les divers niveaux qu’elle recouvre, ainsi que les opportunités de participation qu’elle autorise. Mais la notion de participation est elle-même floue… Inventaire de questions et réflexions.
Des proximités
Parler de public de proximité ou de presse de proximité suppose tout d’abord de voir ce que cette proximité peut recouvrir. Cette proximité peut être temporelle. Elle sera relative au rythme de parution, à la concordance avec l’actualité.
Elle peut être géographique. Elle sera relative à un territoire donné, plus ou moins délimité : local (quartier / commune / agglomération de communes, …), régional (territoire géographique, province, …). En Belgique, la plupart des quotidiens déclinent leurs éditions sur base régionale [1] ; la presse gratuite régionale (toutes boîtes) se décline également en versions locales sur un territoire d’une ou plusieurs communes [2] ; et de leur côté, les Télévisions locales sont au nombre de 12 en Communauté française [3].
La proximité peut aussi être affective ou d’intérêts : les magazines de mode, les magazines féminins, les magazines TV, les magazines sportifs, ….trouveront un public qui centre son intérêt sur un aspect particulier de son identité, de ses loisirs, de ses hobbies, …
Enfin, la proximité peut être sociale : comme la presse professionnelle, syndicale ou mutuelliste. (Ex : Le sillon belge – l’hebdomadaire des campagnes , Tirage CIM2007 : 24.600 exemplaires).
L’apport des médias numériques a permis à de nombreux supports médiatiques d’accroître leur proximité temporelle (jusque là surtout réservée à la presse quotidienne et audio-visuelle).
Les proximités géographique / ou thématiques (affective et /ou sociale) sont davantage relatives à l’espace : je peux me reconnaître comme faisant partie d’un groupe avec ses caractéristiques propres. Pour ce groupe, la presse de proximité jouera un rôle de renforcement du sentiment ou de la volonté d’appartenance.
Des attentes
Si une presse de proximité existe, c’est qu’elle répond à des attentes particulières.
Face à une information « brute » des médias généralistes (une info qui nous touche moins directement… ce qui ne veut pas dire qu’elle ne nous émeut pas… Ex : tremblement de terre d’Haïti), la presse de proximité tentera d’offrir une information qui génère de l’échange, de l’interaction.
Au niveau géographique, la presse de proximité va s’intéresser à la vie locale, aux problèmes quotidiens : aménagement du territoire, circulation, vie politique locale, vie culturelle et sportive, agenda d’activités, échos des institutions locales (associations, écoles, …), économie locale (commerces et entreprises, marché immobilier, …), …
Au niveau thématique : la segmentation des publics va donner lieu à une offre hyper diversifiée où chacun trouvera bien le média spécialisé qui rencontrera son centre d’intérêts.
Des opportunités « d’interaction »
L’offre d’échange et d’interaction va constituer un argument de vente certain. Sous diverses formes, les opportunités proposées aux lecteurs/auditeurs de « participer » vont se multiplier, dans un souci affirmé de « proposer à l’utilisateur de se rapprocher de son média ».
Les médias écrits proposeront ainsi des concours, des rubriques « courriers des lecteurs », ou encore parfois, la sélection de lecteurs pour participer à l’interview d’une personnalité, …
L’apparition des moyens numériques permet aussi de renforcer des formules de participation : un chat en direct avec un invité de la rédaction d’un quotidien ; un chat vidéo ; des questions (envoyées par mail ou SMS) publiées en direct lors d’un débat télévisé ; …
Dans cet univers d’opportunités, la formule la plus accessible aujourd’hui est sans doute le dépôt de réactions ou commentaires. Tous les médias proposent aujourd’hui de laisser des commentaires au bas des articles et reportages publiés sur leur site Internet. Le bouton « réagissez » est devenu commun. (Ex ci-dessous : Gazette de Liège).
Mais d’autres formules, plus limitées existent aussi : l’interaction avec le journaliste (lorsque sa signature comprend son adresse mail) ; la sollicitation de sujets et d’articles encouragée par certaines rédactions ; voire même l’interaction directe via un chat lors d’une réunion de rédaction (Ex : Rue89/France).
Enfin, dans ce tour d’horizon, mentionnons également les pages « débats » / « forum » / « opinions ». Moins accessibles au grand public que les pages « courriers des lecteurs », ces rubriques donneront davantage la parole à des « plumes » ou des « personnalités » (en fonction de leur représentativité ou notoriété).
Dans ces diverses opportunités d’interaction, faisons l’hypothèse que c’est davantage le critère de la proximité temporelle qui renforce cette participation, plutôt que le critère géographique de proximité… L’impression de ré-agir directement - renforcée par la visibilité presque immédiate de la parution en ligne de ma réaction - concrétise ce sentiment de participation.
Des limites
Interaction et nouvelles technologies
Dans la course à l’audience et aux techniques « dernier cri » pour renforcer l’offre d’interaction, les médias ne cessent de développer de nouvelles opportunités. Les dernières offres proposées par les médias traditionnels sont toutes orientées vers le renforcement de la capacité du public d’interagir rapidement. Les nouvelles applications numériques pour retrouver son quotidien sur iPhone ou sur iPad n’ont pas directement de lien avec la proximité géographique, mais plutôt temporelle. Ce n’est donc pas le caractère régional d’un média qui suffira pour déterminer son attrait, même s’il bénéficiera sans doute - comme les autres - de ces nouvelles opportunités.
Média régional et groupe national
Bien souvent, les médias régionaux n’ont pas nécessairement les moyens de développer toutes ces opportunités d’interaction/participation à leur niveau à eux. Ces moyens se situent à l’échelle « nationale » d’un groupe de presse à vocation régionale. Ainsi, par exemple, un concours proposé par tel média à vocation régionale est le même dans toutes les éditions du groupe. Et bien souvent, la rubrique « Courrier des lecteurs » est, elle aussi, « nationale ».
Interaction et marketing
Il faut cependant garder à l’esprit qu’au travers de ces interactions, les médias qui les mettent en œuvre visent aussi un autre objectif : celui d’augmenter le trafic sur leurs sites respectifs, ce qui n’est pas sans rapport avec une volonté de se positionner dans le marché publicitaire… L’apparition de « sondages » est à cet égard un signe. Ils visent à donner de pseudo-tendances d’opinion sur un sujet d’actualité pour savoir ce que les lecteurs pensent… On doutera cependant bien souvent de la réelle pertinence de ce type d’opportunité… voire de l’intérêt des sujets proposés !
De l’interaction à la participation ?
Faisons également une autre hypothèse : en favorisant ce type d’interactivité, les médias surfent aussi sur la vague dominante où tout le monde veut ré-agir et ne plus être cantonné dans un rôle de récepteur, mais devenir également producteur…
La communication unidirectionnelle ferait place à une communication interactive.
Mais, à bien y regarder, ces différentes formes « d’interaction » sont souvent de simples ré-actions, vis-à-vis du producteur ou entre usagers. L’interactivité qui en résulte n’est que la modalité sous la forme de laquelle s’exprime l’avis « en réaction ». Dans cette « participation sur le contenu produit », on se situe davantage dans une participation à-postériori, et on aura rarement une participation qui visera l’implication dans la conception d’un produit.
Certes les nouvelles technologies de la communication accélèrent la vitesse de circulation des flux d’information ; mais dans l’analyse des pratiques d’interaction soulevées ici, elles ne changent pas fondamentalement les statuts des acteurs en présence, ni le rapport qu’ils entretiennent (producteur <> consommateur).
Dans cette course à l’interactivité, il convient aussi de souligner :
– que nous sommes aussi passés d’une expression d’opinions et d’analyses argumentées à une communication faite de juxtaposition d’avis.
– que cette expression est majoritairement individuelle et ne traduit pas une dynamique de participation collective.
– que des dérapages sont souvent possibles : sur les forums de sites de beaucoup de médias, certains messages ou commentaires (publiés sous des pseudonymes) sont parfois ouvertement racistes, sexistes ou violents [4].
Participer aux contenus
Au-delà de ces opportunités d’interaction, il y a sans doute des formes moins périphériques de participation…
Mais les expériences de réelle participation restent rares.
Deux exemples importants issus de la presse quotidienne méritent d’être cités. Ils font malheureusement partie du… passé.
Mené par « Le Soir », le projet SWARADO visait la réalisation d’un supplément quotidien réservé aux jeunes lecteurs. A partir d’un concours, deux classes de secondaire étaient associées à la rédaction de ce SWARADO, durant deux semaines : choix éditoriaux, reportages, interviews, critiques, sélections des illustrations, rédaction des articles. L’expérience a été menée jusqu’en 2008.
Le second exemple fut mené par le groupe Vers l’Avenir : Journalistes d’un jour. Lancé en 1988 par le quotidien Vers l’Avenir, « J1J » mobilisait jusqu’à 6.000 jeunes durant une semaine pour réaliser un véritable quotidien (« L’Avenir wallon »), dans toutes les éditions régionales du groupe. Le projet s’était ensuite étendu en Flandre, puis avait tissé quelques partenariats à l’étranger, avant de s’éteindre.
Dans un autre volet « participatif », citons également les expériences « enquêtes de satisfaction » auprès d’échantillons de lecteurs qui visent à capter un feed-back du lectorat. Sous forme de questionnaires ou de groupes de discussion, ces enquêtes ont d’abord un objectif de marketing.
Le processus participatif sur les contenus n’est donc pas la priorité des producteurs de médias, a fortiori régionaux. À côté de l’investissement humain et financier que l’encadrement participatif requiert, sans doute y voient-ils aussi des risques de manipulation par quelques citoyens ou groupes organisés, ou encore le risque de « prise de position » dans un environnement médiatique très formaté et consensuel.
Une participation structurelle ?
Une deuxième forme de participation concerne la participation structurelle. Ici, l’enjeu est le média et sa politique : sa programmation, ses choix stratégiques, son administration.
Quelques timides initiatives émergent pour favoriser cette participation.
En France, quelques médias disposent d’une Société de lecteurs (Le Monde, Marianne, le Nouvel Observateur, …). A côté du soutien éditorial, ces sociétés ou association « les amis de… » poursuivent aussi un but de soutien financier par la levée de fonds, …
Sur un mode plus structuré plusieurs organes consultatifs officiels ou fédération professionnelles peuvent également jouer un rôle de régulation, d’arbitrage, voire de sanction. Ces organes sont cependant souvent réservé à des professionnels ou à des représentants de secteurs constitués (culturels, sociaux, académiques, ….). Il s’agit donc d’une participation par délégation interposée.
Par ailleurs, des critères de composition des organes décisionnels de certains médias ont été définis, notamment pour les médias publics. Ainsi en est-il de la composition du Conseil d’Administration de la RTBF par exemple, où une clé de répartition politique est appliquée.
Dans le secteur des médias issus du tissu associatif (reconnus et financés par les pouvoirs publics), l’exemple le plus clair est celui des Télévisons locales, régies par le Décret de 2003 :
« Le décret fixe essentiellement des exigences au niveau de la composition du Conseil d’Administration de la TVL. Ce Conseil doit être composé pour moitié au moins de représentants du secteur associatif et du secteur culturel. Par ailleurs, il ne peut être composé pour plus de sa moitié de mandataires publics, tels que visés à l’article 1er du décret du 5 avril 1993 relatif à la dépolitisation des structures et organismes culturels ». (Fédération des TV Locales)
Et la presse régionale là-dedans ?
Alors qu’elle dispose d’atouts et d’opportunités intéressants, la presse régionale ne semble pas se caractériser par une participation plus intense que le reste des médias.
Dans le domaine privé, il faut reconnaître que les leviers décisionnels ne sont pas toujours régionaux. Le plus souvent la presse quotidienne régionale dépend de groupes de presse transrégionaux. Et la presse gratuite régionale n’échappe pas à cette concentration.
Dès lors, les choix éditoriaux et les moyens à mettre en œuvre échappent sans doute au niveau local.
Si des expériences concrètes de participation citoyenne peuvent être observées, ne serait-ce pas d’abord dans des médias « privés », « non commerciaux » et dont les pouvoirs organisateurs ou subsidiants favorisent ou exigent cette dimension participative et citoyenne ?
Dans le secteur des radios d’expression : citons l’exemple de quelques radios qui, dans la grille de leurs programmes, confient des émissions à des groupes de citoyens et/ou des associations.
Radio RUN, à Namur, confie les émissions du samedi matin au Centre d’Action Interculturelle, qui collabore avec des personnes et des associations issues de la diversité : congolais, marocains, …
A Bruxelles, Radio Panik fait de même avec diverses communautés.
Dans le secteur des Télés locales, Télé Bruxelles permet à Télé Matonge d’émettre plusieurs heures par semaine dans sa grille de programmes. À Liège : « Canal ouvert » sur RTC Télé Liège donne la parole aux citoyens pour proposer de réaliser des sujets…
Comme on le voit, le chantier participatif, au travers des médias d’information, reste largement ouvert…
Stephan GRAWEZ
Mars 2011
Ce texte a fait l’objet d’une communication dans le cadre de l’atelier « Le public de proximité : quelles attentes ? Quelle participation ? Quelle formation ? » organisé au cours du colloque « La presse régionale : enjeux et perspectives » - Haute Ecole de la Province de Liège – 14 décembre 2010.
[1] Deux exemples : le groupe L’Avenir produit 8 éditions régionales ; le Groupe Sud Presse produit 6 éditions régionales
[2] Deux grandes régies se partagent les éditions de la presse régionale gratuite : Corelio http://www.passe-partout.be/DistribEditions.aspx?lang=FR et Vlan (http://www.vlan.be)
[3] Fédération des TV locales : http://www.inforegions.be/
[4] Ces dérapages obligent parfois les éditeurs à réagir : comme cette mise au point courageuse sur le site lavenir.net : http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20110203_031