Parler d’actualité aux jeunes : la RTBF face à « la génération Z »

Souvent traités en parent pauvre des médias d’information, les adolescents sont rarement considérés comme le public cible à atteindre. Et pour cause, raconter l’actualité aux adolescents n’est pas une mince affaire : quelle tonalité adopter et où diffuser le contenu ? Quels médias proposer pour que le public jeune s’y retrouve ? Sur cette question, le média Tarmac de la RTBF parait intéressant : d’abord parce qu’il s’agit d’une des rares initiatives de ce type dans le paysage médiatique en Belgique francophone. Ensuite parce que Tarmac, quand il cherche à atteindre les jeunes, dit quelque chose des habitudes médiatiques de ce public.

Mis en ligne le 29 juin 2017, le média Tarmac [1]] a pour projet de s’adresser aux jeunes de 15 à 25 ans. À travers une programmation qui intègre musique hip-hop, culture urbaine, humour, gaming et actualité (l’information représente 30% au sein de Tarmac), le média veut s’adresser et fédérer un public jeune au sens large (même si les jeunes issus de la diversité restent une de leur cible principale). Le projet est de développer les contenus à travers différents réseaux sociaux [2] (Youtube, Facebook, Instagram, Snapchat), application (Tarmac disponible sur le Play Store) et un site Internet. Tarmac n’est donc pas un programme télévisé mais un pure player, un éditeur qui ne diffuse que des contenus disponibles en ligne. En partant d’une rencontre faite avec Thomas Duprel, [3] directeur de Tarmac, il est intéressant de voir comment ce média cherche à atteindre son public.

Fish where fishes are [4]  : aller à la pêche aux adolescents

Ce qui pourrait être pris comme un adage marketing très commercial pose en fait une question intéressante : où et comment parler d’actualité aux jeunes [5]] ? Cela suppose d’en savoir un minimum sur les usages médiatiques des jeunes : d’une part, quels sont les espaces qu’ils consultent pour s’informer ? (quelle(s) plateforme(s) ?, quel(s) réseau(x) social(aux) ?, etc.) D’autre part, quels sont les formats/formes qu’ils apprécient particulièrement ?

Concernant les plateformes, en partant du constat que les jeunes sont friands d’applications mobiles, les éditeurs de Tarmac ont tout d’abord misé sur une application à télécharger sur smartphone. Cependant, en décembre 2018, cette stratégie est remise en cause : « Quand on a créé le média, pour la RTBF, il était évident qu’il fallait créer une application car tous les jeunes sont sur des applis. Mais aujourd’hui, on s’est rendu compte qu’il fallait faire le deuil de notre propre site web et application mobile en repensant la stratégie. Oui, tous les jeunes sont sur des applications sauf qu’ils sont sur TikTok, Instagram et Facebook mais ils ne vont peut-être pas télécharger ton application spécifiquement.  » Au vu de cette prise de conscience, l’idée est donc de garder l’application mobile [6] mais d’alimenter les différents réseaux sociaux supposés fréquentés par la jeune génération. La logique médiatique n’est donc plus d’alimenter un média (une chaine de télé ou une application) mais plutôt de diffuser des contenus sur des plateformes extérieures à ses propres canaux de diffusion. Les contenus Tarmac cherchent alors à intégrer les fils d’actualité des réseaux sociaux des jeunes. L’objectif est que les jeunes croisent des contenus du média sur les espaces en ligne qu’ils fréquentent.

Pour Tarmac, l’avenir se situe sur Youtube, Instagram et Snapchat. Il s’agit là de plateformes qui permettent d’amener de l’information et pas juste des contenus récréatifs. Par exemple TikTok [7] est une application très fréquentée par les jeunes mais qui ne permet pas, dans son format (très court et nerveux), de faire du contenu d’information.

Dans cette logique, alimenter différentes plateformes ne revient pas à prendre un même contenu et à le diffuser sur chaque réseau social de manière uniforme. Il y a une certaine logique à respecter et un réseau social n’est pas l’autre. Le travail du média est donc de créer des formats qui conviennent pour chacun. Par exemple, à propos d’Instagram : « Le problème c’est qu’il faut des produits dédiés par plateforme. Instagram, c’est la communication par l’image, c’est la plateforme des photographes. Tes contenus, au niveau de la forme, la couleur, tout doit être impeccable. Ton format est dédié à cela : il faut avoir des contenus propres à Instagram. » Il en va de même pour chaque plateforme qui développe chacune son univers. C’est probablement le prix à payer pour toucher des jeunes qui consomment différents formats au sein d’une variété de plateformes.

Chaque format doit lui-même être pensé en termes de mise en forme. Par exemple sur la question de la longueur et du décrochage de l’attention des jeunes : « On connait les longueurs des vidéos. En fait, en analysant avec les Analytics Youtube et Facebook, tu as ce qu’on appelle la rétention. Tu vois que la moyenne d’accroche sur une vidéo va décliner à 2 minutes. C’est la moyenne. Si tu as une vidéo de 8 minutes qui a été vue jusqu’à 2 minutes, c’est déjà pas mal. Les jeunes, Ils checkent le début et hop, ils passent à la suivante. » Il y a donc des contraintes de formats qui s’imposent à l’éditeur s’il veut que son public accroche au contenu. Aussi, les jeunes adhèrent plus facilement au contenu dans des formats qu’ils connaissent : Story, formats courts et rapide mais réguliers…Dans cette logique Tarmac propose quotidiennement une capsule nommée Izi News. Cette émission est un programme d’actualités et tendances de quelques minutes qui connait son succès surtout sur Youtube.

Entre actualité et Youtuber : Izi News

Proche des formats Youtuber, Izi News propose d’aborder un sujet d’actualité (art, mode, people, politique…) en quelques minutes en face caméra. Ce que veut faire Anne-Sarah, c’est de proposer un éclaircissement sur des phénomènes qui peuvent concerner les jeunes sur différents sujets (people, politique, buzz…). Cette diversité de sujets abordés semble essentielle pour ne pas ennuyer les jeunes : « IZI News va plus parler d’artistes que du gouvernement. On n’a pas envie que cela devienne le JT de tous les jours, vu par Tarmac. On doit continuer à rester sur une vague qui est plus légère. On va parler d’un rappeur qui va entrer en prison, puis on va te parler du blackface, sujet plus intemporel. C’est surtout elle qui repère un sujet sur lequel elle se sent prête à parler. Cette ligne doit brasser large dans les sujets et d’aller un peu dans tous les registres. »

Capture d’écran Youtube d’une vidéo IZI News, mise en ligne le 22 novembre 2018 (vidéo à 576 000 vues en janvier 2019)

Mais ce mélange entre information et divertissement n’est-il pas aussi le reflet d’une culture jeune qui serait par essence un mélange entre ces registres [8] ? « Car pour s’adresser aux jeunes, il faut, je pense les divertir et les faire délirer. Après, on peut apprendre aux jeunes par le divertissement. » Par ailleurs, aux yeux des adolescents, ce qui est essentiel n’est pas tant la garantie de l’information que la relation que le jeune peut avoir avec le présentateur et sa communauté : « La relation entre les jeunes et la personne qui présente, c’est la base. Ils [les jeunes], ne viennent pas que pour s’informer. Ils viennent parce qu’ils sont dans une communauté et viennent parce qu’il y a une personne qui a un ton bien à elle et une personnalité dans la présentation. C’est le cas pour tous les Youtuber, ils vivent de leur communauté. » Dans cette optique, l’importance, c’est la tonalité du programme, la complicité et la communauté entre la présentatrice et le public. Créer cette relation entre présentatrice et public est un indice fort d’appartenance avec une communauté est une caractéristique « jeune » dans la manière de consommer [9]] l’actualité.

Jongler entre Youtuber, communauté, information et divertissement

Il s’agit donc d’arriver à créer un univers qui fasse sens auprès des jeunes, où ils retrouvent la personnalité des Youtuber. Aussi la fréquence des nouveaux contenus est également importante : « Ce qui fait l’engagement, aussi, c’est la régularité. Un IZI, on doit en faire un par jour. Et les gens l’attendent, les gens disent "ah, tu nous as manqué", il y a un rapport à l’humain. Sur Youtube on s’identifie à une personne, le côté Média [image de marque] est très difficile. » Mais pour l’éditeur qui fait de l’information, la création d’une communauté n’est pas suffisante. Il doit aussi assurer la fiabilité de ses contenus.

La garantie d’un contenu journalistique de qualité reste une priorité de la rédaction du service public. Afin de garantir cette qualité : « des journalistes sont là pour valider les sources et assurer la dimension factuelle [10]. Car à la base Abdel [11] ou Anne-Sarah ne sont pas journalistes. Eux, viennent avec leur bagou, leur approche critique, leur personnalité, leur tonalité, c’est l’esprit de Youtube. Leur franc-parler va toucher le public et c’est ça qui va fonctionner chez les jeunes. » Il y a carte libre sur l’intention, mais avec relecture d’un journaliste. Le résultat se situe bien entre la crédibilité journalistique, la liberté de ton et la personnalité de l’animateur.

Reste à voir si ces vidéos arrivent à toucher tous les jeunes et s’ils les comprennent comme des contenus d’information ou comme du divertissement (ou les deux). Il serait intéressant de voir s’ils maitrisent les codes de lecture de ces vidéos : différencier le fait du commentaire, la tonalité, s’approprier un minimum les éléments d’actualité avancés, décrypter les mèmes utilisés... Dit autrement, ces programmes peuvent être des objets d’éducation aux médias qui demandent (ou permettent) un accompagnement éducatif : comment les comprendre, identifier leurs forces et faiblesses.

Se sentir concerné par l’actualité qui circule et les médias

Si l’exemple de Tarmac n’est pas forcément connu du grand public, il est quand même intéressant de voir que des éditeurs cherchent à raconter l’actualité à des adolescents sans pour autant prendre une tonalité éducative ou scolaire. Si la formule ne convaincra probablement pas tout le monde, il est intéressant de voir un média faire l’effort de s’approprier les codes d’une culture jeune pour aller leur parler et faire communauté avec eux. Aussi le fait qu’un média accepte de développer des contenus en dehors de son propre canal de diffusion est à relever. Car quand Tarmac fait le deuil de son site ou de son application pour alimenter des réseaux sociaux, il met la priorité sur le fait de toucher son public quitte à mettre dans l’ombre son support de diffusion. Une attitude intéressante à observer (et pourquoi pas servir d’exemples de format pour d’autres médias) et qui pourrait faire cas d’école dans la manière dont le journalisme cherche à faire sens auprès du public plus jeune. Car finalement, un des problèmes aujourd’hui n’est-il pas d’avoir, au sein d’une société, des adolescents qui n’arrivent pas à se sentir concernés et à se réunir autour d’un média d’information ?

Martin Culot

[1https://www.rtbf.be/tarmac/ [consultée le 21 janvier 2019

[2A ce jour (22 janvier 2019) : 130000 abonnés sur Youtube, 48000 abonnés Facebook, 9000 abonnés sur Instagram.

[3Entretien réalisé le 12 décembre 2018 dans le studio de Tarmac (RTBF Bruxelles).

[4Ce qui pourrait se traduire littéralement par « aller pêcher où les poissons se trouvent ».

[5A noter que dans le nouvel environnement médiatique, la RTBF se pose la question pour tous les publics : https://www.rtbf.be/info/inside/detail_allez-vous-commenter-cet-article-ou-comment-la-redaction-de-la-rtbf-compose-avec-le-geant-facebook?id=10128335 [consultée le 28 janvier 2019

[6Encore présente sur le Play Store le ce 10 janvier 2019, téléchargée à plus de 10.000 fois.

[7« TikTok, elle, est dédiée à la création et au partage de courtes vidéos musicales. Les utilisateurs se filment face caméra faisant du play-back ou des chorégraphies. De nombreuses applications concurrentes existent dans les domaines du karaoké, du « lip sync » ou « play-back » comme Triller, Dubsmash, Funimate. » Source : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/05/comprendre-tik-tok-l-application-preferee-des-ados-fans-de-play-back_5365205_4408996.html

[8Différentes études tendent aller le démontrer. Par exemple : Observatoire des pratiques numériques des Adolescents en Normandie, rapport 2017, CEMEA. En ligne : https://enfants-medias.cemea.asso.fr/IMG/pdf/Observatoire_Cemea_Normandie_2017_V25_sept.pdf [consultée le 28 janvier 2019]

[9MEDIATYPE, journalisme en mutation, 24 janvier 2016 en ligne : https://mediatype.be/2016/01/24/medias-informations-jeunes-malentendu-ina-afp/ [consultée le 28 janvier 2019

[10Le fait de se situer à la RTBF permet également d’avoir accès aux dépêches d’agences et à une structure de l’information.

[11Le Youtuber/humoriste Abdel a tenu une émission Abdel en live pendant 1 an et demi sur la chaine de Tarmac. Dans une vidéo mise en ligne le 26 décembre 2018, l’animateur Abdel annonce la fin de sa collaboration avec Tarmac (https://www.youtube.com/watch?v=rMcuozJNQVQ). Les émissions sont encore en ligne mais la playlist Abdel en Live ne sera plus alimentée.

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