Michèle Martin - Quand les publics de SudPresse et du Soir ne reçoivent pas le même message
Quand les médias se copient les uns les autres en craignant que la concurrence ne leur vole leur lectorat, les journalistes ne disposent pas nécessairement du temps nécessaire pour y aller d’un traitement personnel. Mais une fois que l’on dégage quelques heures pour vraiment traiter une info… chacun le fait en fonction de son public et de sa ligne éditoriale. Affichant alors des divergences très nettes. L’épisode « Balade à Knokke de l’affaire Michèle Martin » se prête, à ce titre, à une belle étude de cas.
Dans notre analyse « Michèle Martin - Condamnée à 15 ans par la justice,… et à perpétuité par les médias » [1] (consacrée aux articles du 20 décembre 2012) nous signalions que la plupart des médias de la presse écrite francophone se sont inspirés d’un reportage paru sur les chaînes de télévisions flamandes. Le recul n’était guère possible… Dans l’urgence, les quotidiens reprenaient les faits et gommaient pour ainsi dire l’analyse qui est donnée et qui relativisait ce qui s’est passé. Pour les médias francophones, pas question de conclure qu’il s’agit d’un non événement… puisqu’on va tenter de drainer le lectorat en le relatant. Voilà donc pour les parutions du jeudi 20 décembre 2012.
Mais le lendemain (21 décembre 2012), les rédactions se doivent d’aller un peu plus loin dans l’analyse… et le traitement spécifique.
Commençons par signaler qu’un thème majeur dame le pion à tous les autres sujets : ce 21 décembre, on traite avant tout de la fin du monde.
Fidèle à sa vocation de journal d’alerte info, Metro ne revient plus sur le sujet Martin. La Dernière Heure non plus. L’Avenir, local namurois, pas plus, ce qui est plus étonnant. Ce sont les quotidiens Sudpresse et Le Soir (Groupe Rossel) qui poursuivent le traitement. Ils ont pour se faire, contacté l’entourage de Michèle Martin qui a, cette fois [2], accepté de répondre aux questions. Les traitements des deux journaux se différencient toutefois nettement.
Les dessous de l’affaire ?
SudPresse interviewe Georges Lamotte, le curé retraité de Malonne qui a véhiculé à plusieurs reprises Michèle Martin lors de ses déplacements. On apprend de cet entretien que Martin a changé en 17 ans, et ce qui fait sa nouvelle vie. Quelques confidences qui montrent que des contacts chaleureux se tissent avec un cercle issu principalement, précise le journaliste, « du monde catholique oeuvrant pour le journal local Malonne Première et la confrérie de l’Aumonière de Malonne [3] ». Sans doute, faut-il regretter le tapage autour d’un épisode somme toute banal mais peut-être mal choisi (accepter de se voir offrir les soins d’un coiffeur dans la ville de Knokke, jugée terriblement snob). Cela dit, on apprend que cette sortie n’est pas la première et que jusqu’à ce jour, même lors de trajets en bus, ces déplacements n’ont pas éveillé de commentaires. Prêtre moderne, Georges Lamotte ? Certes, mais ce n’est pas cela qu’il faut retenir, puisque même Mgr Léonard a rendu visite à Michèle Martin en prison.
Un encadré est aussi développé, qui explique de quelles ressources financières Michèle Martin dispose. On cite le minimex (le revenu d’intégration sociale - RIS) vraisemblablement diminué des frais liés aux postes logement et nourriture… puisqu’elle est hébergée chez les sœurs Clarisses. Tout ceci couvre déjà une pleine page (la 2). En page 3, une troisième demi- page continue d’investiguer. « Martin aurait dormi à Knokke ». Le titre est accrocheur mais non développé dans la suite. Par contre, la journaliste dépêchée à Knokke a rencontré trois commerçants ayant eu affaire à Michèle Martin et ses accompagnateurs. Guère de nouveautés à apprendre… [4] si ce n’est, au travers des commentaires de l’un des trois, l’affirmation du caractère « étrange » des accompagnateurs de Michèle Martin, lesquels auront laissé un « souvenir négatif de leur visite ». Un court encadré fait même allusion au fait que le passage de Michèle Martin a des répercutions sur la manière dont Marleen De Cockere, la compagne de Michel Nihoul, se voit aujourd’hui refuser l’accès de son salon d’esthétique…à la demande de l’épouse du bourgmestre Lippens. Une sorte de solidarité des extrêmes, dans l’opposition à Michèle Martin, et qui se trouve résumée dans la légende d’une des photos : « A Knokke, la visite de Michelle Martin n’a pas fait que des heureux, loin de là ».
Choix des mots
Les infos données dans ce premier développement du deuxième jour sont certes d’un genre nouveau puisqu’elles évoquent le témoignage de personnes constituant le réseau de soutien à la réintégration de Michèle Martin. Mais on doit constater que le traitement, notamment en Une, continue d’attiser la sensibilité des opposants à Michèle Martin. Sudpresse entend « dévoiler les secrets de Michelle Martin »… des mots qui jouent sur le secret et le sensationnalisme… Le prêtre de Malonne est appelé « le curé dans sa BMW X3 ». L’association photographique avec celui qui n’apparaît que comme un détail sans importance de l’interview - le très controversé Mgr. Léonard - ajoute au caractère suspicieux de l’entourage Michèle Martin. Une lecture somme toute partisane du dossier.
La vraie info, c’est Léopold Lippens
Si Le Soir était resté on-ne-peut plus sobre, le jeudi 20 décembre 2012… peut-être était-ce aussi pour se donner le temps de mieux traiter l’événement. En effet, ce vendredi 21 décembre 2012, c’est par une pleine page qu’il revient sur le sujet, en abordant trois angles d’attaque. Les propos de Léopold Lippens sont rapportés. Mais comme on en connaissait déjà la teneur, on lui demande de s’expliquer un peu plus. Les propos, à coup sûr, sont issus d’un entretien exclusif avec le journaliste D. Vanoverbeke qui signe. Lippens est « ulcéré ». Il « a cru que son cœur allait cesser de battre, […] il a eu le choc de sa vie. ». Et il s’emporte quand il dit que « Les nazis ne sont pas bienvenus ici. Michelle Martin non plus », un amalgame qui en dit long sur la pensée du « président de la Compagnie du Zoute » dont on sait l’habitude à se comporter en potentat sur ses terres [5]. On peut s’étonner aussi que l’homme « trouve incroyable que Martin puisse être accompagnée (ce qui, vérification faite, n’était pas le cas) de deux assistants tous frais payés par le contribuable », alors que lui-même a bénéficié de gardes du corps quand il fit l’objet de menaces dans l’exercice de ses fonctions [6]. Le caractère primaire de ce politicien se retrouve cyniquement mis en valeur quand il dit « Je crois que la grande majorité des belges pensaient, peut-être comme moi - qui suis un inculte - que Michelle Martin avait été remise en liberté à condition qu’elle séjourne dans le couvent des Clarisses de Malonne et qu’elle y reste ».
Face à ce premier développement sur un tiers de page, Le Soir donne aussi la parole au porte-parole de ceux qui soutiennent la réinsertion de Michèle Martin. Le second article est un commentaire qui s’inspire visiblement de l’article de Sudpresse. La collaboration au sein du Groupe Rossel explique ce doublon. Toutefois, on peut remarquer que la sélection des propos par la rédaction du Soir donne un traitement beaucoup moins polémique que ce qui est proposé au lectorat de Sudpresse. Autre public, autre traitement.
Parole d’expert, enfin…
Troisième niveau d’évocation : l’insertion de la Carte blanche de Marc Uyttendaele intitulée : « Non, Knokke-le-zoute n’est pas un îlot de non-droit qui ne serait fréquenté et fréquentable que par « des gens bien ».
L’avocat et constitutionnaliste bien connu est intraitable avec la bêtise politique des propos du bourgmestre flamand. Sur un ton quelque peu persifleur, il remet à sa place le pseudo suzerain, invitant même Geert Bourgeois, Ministre flamand des affaires intérieures, à lui rappeler les règles d’évidence. Cette carte blanche signe finalement une prise de position éditoriale comme savent le faire les quotidiens quand ils acceptent, au delà de leurs éditoriaux, de laisser s’exprimer des experts…
Nous avions déjà conclu de cette façon sur la manière dont La Libre avait traité les événements du mois d’août [7]. Le fait que la presse s’inscrive comme outil de réflexion démocratique réclame cette qualité de traitement. Les journalistes, s’ils sont poursuivis par l’urgence de la collecte et de la mise en forme des faits se doivent alors de solliciter des avis experts en renfort de leurs analyses personnelles. Etre journaliste, ce n’est pas nécessairement être compétent sur tous les sujets, aptes à leur compréhension, leur présentation vulgarisée et la rédaction de leur commentaire. Mais c’est leur travail alors, d’identifier et de s’adjoindre les renforts compétents sur les sujets qu’ils sont amenés à traiter.
Michel Berhin
Média Animation
Janvier 2013
[2] Pour rappel, une première interview a été donnée à Canal C, en août, au moment de l’annonce de la libération conditionnelle.
[3] Le journaliste ne dit rien de la source qui lui permet cette précision. Il est nécessaire d’indiquer ici qu’un droit de réponse sera demandé par ces deux institutions qui ne se reconnaissent pas dans cette identification confessionnelle
[4] On connaît cette redondance dans les médias (aussi en télévision notamment) qui atteste que lorsque l’on n’a rien de neuf à dire, on se contente de répéter ce que l’on sait déjà. Notamment pour occuper le terrain face à la concurrence.
[5] http://www.lalibre.be/actu/flandre/article/763257/leopold-lippens-les-francophones-sont-encore-les-bienvenus-a-knokke.html
[7] Voir notre analyse « Affaire Michelle Martin : faire à la fois de l’info locale et nationale » http://www.media-animation.be/Affaire-Michelle-Martin-faire-a-la.html