De la plume à la souris !
Médias participatifs et citoyens
Les NTIC ont permis l’émergence de nouvelles pratiques en matière d’information et de diffusion de contenus. De nouveaux concepts voient le jour : médias participatifs, journalisme citoyen, audience active, médias alternatifs, ….
Dans cette nébuleuse de pratiques et de courants : comment fonctionnent ces nouvelles pratiques qui se veulent participatives ? De leur côté, les médias traditionnels doivent-ils craindre pour leur avenir ?
Agoravox, Rue89, Oh My News, … (pour citer les plus connus) sont-ils les médias de demain ? Ou ne sont-ils que l’expression d’une mode encouragée par les NTIC ? Avec Internet et l’apparition du Web 2, nous sommes entrés dans la communication de « tous vers tous ». Finie la communication du « un vers tous », à sens presque unique des médias traditionnels. Théoriquement donc, chacun a aujourd’hui les mêmes chances de communiquer vers d’autres.
Plusieurs éléments ont permis cette évolution. Si la production de contenus est aujourd’hui largement répandue, elle n’aurait pas été possible sans l’accès à des outils jusqu’ici réservés à des professionnels (conception et édition de supports écrits, accès à des moteurs de recherche, abonnement à des services de dépêches en ligne, …). Et ces outils ont favorisé des modes d’expression qu’un journal écrit à du mal à intégrer : l’audio et la vidéo (et si les quotidiens ou les newsmagazines les ont intégrés, c’est en créant en parallèle leurs propres sites Internet).
Dans cette évolution, les particuliers ont aujourd’hui accès à l’édition, la distribution et la diffusion sans plus passer par des intermédiaires. Finie la lourde logistique d’un média écrit traditionnel qui doit assurer l’impression, le transport et la distribution vers les points de vente et, enfin, la récupération des invendus…
Mais à ces éléments « objectivables », il faut aussi ajouter une critique que les médias participatifs ou citoyens adressent aux médias traditionnels : ces derniers ont accumulé un déficit d’image. A côté des critiques sur le manque d’indépendance des journalistes [1], les médias traditionnels seraient trop formatés et ne seraient pas assez libres, ni assez proches de la réalité …
Formules diverses
Mais que recouvrent ces nouveaux médias ? [2]. Des réalités et des initiatives fort différentes l’une de l’autre.
L’originalité tient sans doute davantage à la formule (et à l’accessibilité que les NTIC autorisent aujourd’hui) plutôt qu’au caractère « alternatif ». Des médias alternatifs et critiques par rapport au système médiatique, il y en a toujours eu : soit qu’ils rivalisaient sur le même terrain du support écrit (journaux associatifs, de quartier, revues politiques, …), soit qu’ils testaient des expériences de radios libres (un genre aujourd’hui lui aussi formaté et digéré par le système médiatique).
Les formules, elles, varient, … ainsi que les vocables.
S’il n’y a pas de définition « officielle » de ces nouveaux médias participatifs et citoyens, on peut toutefois tenter d’y voir clair.
Lorsque l’on évoque le terme de « médias citoyens » on pense aisément qu’il s’agit d’une initiative de citoyens ou d’associations, dont le caractère non-professionnel est évident. Par contre, des journalistes professionnels reconvertis – ou un groupe de presse - qui fondent leur nouveau média sont-ils « citoyens » ? On évoquera sans doute davantage le caractère « participatif » de ce média, puisque le souci d’interagir avec les « récepteurs » ou les « utilisateurs » sera souvent mis en avant… Ou bien, la production sera (en tout ou partie) confiée à des « contributeurs ».
Un autre concept est également apparu, celui « d’audience active », qui stipule que le récepteur prend en main son rôle de partenaire dans la communication. Mais ce terme ne se limite pas au contexte des nouveaux médias participatifs.
Pas facile donc de tracer des frontières claires entre ces concepts.
Et puis, ces adjectifs de « participatif » ou de « citoyen » s’appliquent-ils aux média (support) ou au journaliste (statut) ? Ici, la question du statut professionnel ouvrirait de larges débats… Certains proposent de distinguer le terme de « journaliste » (profession reconnue et encadrée) de celui de « capteur d’infos » (personne non professionnelle qui produit de l’information). Ce terme de « capteur d’infos » serait à rapprocher de celui de « citoyen-reporter ».
Ego-ravox ? L’avis et l’opinion
Pour certains observateurs, les médias participatifs ou citoyens sont également apparus dans un contexte de primauté de l’individu sur le collectif. On passerait ainsi d’une forme de journalisme d’opinion à une forme de communication basée sur la recension et la juxtaposition d’avis. Le refus de structures globalisantes et le rejet des institutions touche au refus de systèmes d’explication globaux de la réalité sociale. Dans ce contexte, l’individu chercherait à construire lui-même son modèle de référence, entièrement basé sur le « moi, je ». Moi, je me construis mon information dans mon individualité propre à partir de mon expérience personnelle et de mes références.
Comme système globalisant, les médias traditionnels sont contournés, alors qu’ils offraient justement cette mise en perspective et cette prise de distance par rapport à la réalité pour la « désubjectiviser ».
Avec les médias citoyens [3], nous serions passé d’une pratique de traitement de l’information à une logique d’échange d’infos.
Critiques
Dans ce contexte d’évolution et de relative concurrence entre médias traditionnels et médias participatifs ou citoyens, les critiques fusent de part et d’autre.
A la critique du déclin du pluralisme dans les médias traditionnels, ceux-ci répondent que les médias participatifs défendent une cause ou des points de vue parfois univoques. A la critique de la fiabilité des infos que les médias traditionnels ont de moins en moins le temps de vérifier, ils répondent que les médias participatifs ont peu de garde fous ou de code de déontologie en cette matière et que les fausses infos sont légion, …. A la question de l’indépendance, les journalistes professionnels répondent qu’un blog alimenté par un blogueur payé (sans l’avouer) par une agence de publicité (pratiquant le buzz marketing) dévoie le modèle « participatif » ou « citoyen ».
Et à la critique de la réceptivité, les médias traditionnels demandent en quoi ils seraient moins réceptifs à leurs lecteurs : d’abord, ils publient aussi des courriers,… (certes en formule moins « interactive » que sur un site Internet… ) ; ensuite, leur sites Internet ont ouvert des forums et des blogs, aussi performants que ceux de médias participatifs [4].
Par ailleurs, en termes de formatage, les médias liés au NTIC et à Internet n’évitent pas non plus ce risque. Le référencement (comme le google ranking) crée une hiérarchie des sources, souvent économique. Et la pratique des « rétroliens » crée une hiérarchie de popularité qui peut aussi être fabriquée grâce à un bon marketing…
Enfin, les médias participatifs ou citoyens seraient fort soumis à une forme de rétroactivité. Les informations sont en réaction à un événement, une autre information, … On réagit sur, on parle de, en fonction d’un agenda dicté par l’actualité (principalement issue des médias traditionnels).
Des atouts et des risques
Mais, indéniablement, les médias participatifs ou citoyens en ligne disposent d’atouts. Comme le souligne Séverine Quéro : « ils s’affranchissent de contraintes géographiques et peuvent être largement diffusés ; le coût de production est quasiment nul ; les discussions attachées aux articles leur confèrent une valeur ajoutée ; les informations diffusées sont totalement gratuites ; le contenu est très varié, très rapidement mis à disposition. Ce type de média en ligne développe la culture de l’instantané ; ils proposent un espace d’expression illimité ». [5]
Mais le modèle économique n’est pas totalement à l’abri des échecs, même si les coûts de production sont différents d’un média traditionnel (notamment papier).
Ainsi Allactu.com n’a pas tenu deux ans, et le site est maintenant fermé et « à vendre ».
Le site Bayosphere.com a tenu un an, puis en 2006, son fondateur américain Dan Gillmore l’a transformé en Center for Citizen Media (www.citmedia.org). [6]
Côté succès : Oh My news, d’origine coréen, joue la carte internationale : (http://english.ohmynews.com/)
Au Canada, le site Now Public (basé à Vancouver) a été créé en 2005 (http://www.nowpublic.com/) et se définit comme le « crow powered media » (le média du peuple) ; il a été suivi à Québec en 2006 par l’initiative « Cent papiers », la plateforme québécoise de journalisme citoyen (http://www.centpapiers.com/).
En France, relevons notamment la création d’Agoravox en 2005 (véritable expérience où se rencontrent des milliers de contributeurs), celle de Rue89 en 2007 (http://www.rue89.com) et Mediapart en 2008 (http://www.mediapart.fr). Ces deux dernières expériences ayant été lancée par des journalistes, issus des médias traditionnels, et souhaitant jouer la carte de la participation. [7]
En Belgique, peu d’initiative comparables à Agoravox ou Rue 89 existent. Elles n’ont en tout cas pas la dimension « professionnelle » des expériences françaises. Ce sont des initiatives plutôt « citoyenne », au sens d’initiatives bénévoles, volontaires, voire amateures… Nous avons repéré M4Y (http://www.medium4you.be/), qui revendique sa filiation avec Agoravox (ce site belge est d’ailleurs administré par la même société privée Cybion). Mais le nombre assez limité des collaborateurs et le côté « coup de gueule » en font un site aux relents populistes… S’étonnera-t-on de trouver Rudy Aernoudt (fondateur de Lidé, parti populiste) parmi les administrateurs de la Fondation pour le débat, liée au site M4Y ?
Enfin, signalons http://walloweb.com/ qui, parti d’une initiative individuelle, permet à plusieurs bloggeurs d’alimenter ce site né en 2009.
Avenir
Pour ces diverses expériences de médias citoyens ou participatifs, il est encore tôt pour évaluer si leur viabilité pourra être assurée, notamment sur le plan économique.
Leur qualité rédactionnelle sera un élément central dans leur évolution et leur audience.
Cette qualité ne sera atteinte qu’en offrant une information de qualité et suffisamment professionnelle [8].
Dans le foisonnement des communications disponibles sur Internet, l’internaute devra faire la part des choses : entre, d’une part, des sites à vocation journalistique ; et d’autre part des sites ou des blogs qui diffusent des contenus divers, personnels, subjectifs.
Dans le premier cas, la place des journalistes devrait rester centrale, même si leur rôle est en mutation. Dans l’optique participative, ils devront aussi encadrer, accompagner des contributeurs et valider les contenus, gérer les commentaires. Au risque d’égratigner quelque peu la « spontanéité » citoyenne [9]..
Stephan GRAWEZ
Février 2009.
[1] Un récent sondage, réalisé par TNS Sofres du 2 au 5 janvier 2009, pour le quotidien français « La Croix » révèle que 61 % des personnes interrogées estiment que les journalistes ne sont pas indépendants des partis politiques et du pouvoir. Par ailleurs, 59 % pensent que les journalistes ne sont pas indépendants par rapport aux pressions de l’argent. (Source : www.tns-sofres.com).
[2] Dans cette analyse, nous tenterons de nous attacher aux sites « à vocation journalistique » (même si les distinctions peuvent être vagues - comme pour Wikipedia) ; et non pas aux sites « à contenu » (centres de ressources, sites institutionnels, blogs, …).
[3] Le terme « citoyen » a perdu sons sens premier plus politique, relatif à la cité. Il est aujourd’hui davantage utilisé dans un sens plus individualiste de personne privée, hors institution, ouvert à la solidarité.
[4] Sur la participation citoyenne et les médias traditionnels, voir Stephan GRAWEZ, « Médias et participation citoyenne : l’affaire de tous ? » : http://www.media-animation.be/Medias-et-participation-citoyenne.html
[5] Séverine QUERO, « Les médias citoyens et participatifs » : http://clemi.ac-creteil.fr/interactif/spip.php?article46
[6] Voir l’article de Dominique PIOTET : http://www.atelier.fr/article.php?artid=31424
[7] On peut aussi citer http://www.mediacitoyen.fr/, mais ce site ne semble pas très actualisé… Consulté le 30/12/08, les dernières infos dataient du 18/11/08. Consulté le 18/02/09, la dernière info datait du 29/01/09…
Par contre, C4N (http://www.come4news.com) se présente comme « Le réseau social des reporters citoyens - Le premier site du journalisme citoyen rémunéré.
[8] Pour l’articulation professionnel / démarche participative, voir notamment l’expérience de Anne-Laure Marie, journaliste de RFI qui a mené pour le site web de la radio francophone RFI trois enquêtes participatives en coopération avec les membres de la communauté de l’Atelier des Médias http://atelier.rfi.fr/profiles/blog/list?tag=enqu%C3%AAte+participative
[9] Oh My News propose déjà des cours de journalisme citoyen pour ses contributeurs. En France, le rapport Tessier (La Presse au défi du numérique – Rapport au Ministre de la Culture et de la Communication » - février 2007) préconise notamment de réfléchir à « un statut de journaliste citoyen ». Enfin, l’Université d’Etat du Kentucky a lancé en février 2009 des cours de journalisme gratuits pour « inculquer aux web journalistes citoyens les bases du métier »