L’affaire de tous ?
Médias et participation citoyenne
En matière de médias - comme dans d’autres sphères de la société - la participation est à la mode.
Certains médias en font un argument de promotion dans la concurrence ardue qu’ils se livrent.
Mais s’agit-il d’une réelle participation citoyenne ? Ou d’autre chose ?
La participation en tout cas ne se décrète pas… Et même si elle peut émerger à des occasions spécifiques, ne reste-t-elle pas souvent "périphérique" … ?
Peu de recherches ou d’études analysent aujourd’hui cette question de la participation citoyenne et des médias. Pour notre réflexion, abordons quatre axes :
1. la question des acteurs en présence
2. les paradoxes de la participation
3. participation ou interactivité ?
4. la question des médias alternatifs ou collaboratifs, …
Acteurs en présence
La participation suppose des acteurs qui interagissent… et qui se situent face à des enjeux communs. En matière de médias, le binôme traditionnel producteur – consommateur reste une clé d’analyse pertinente, même si elle évolue considérablement. En regard des éditeurs et des journalistes qui dominent le marché traditionnel des médias, existerait-il un espace de citoyenneté qui jouerait la carte de la participation ? Un espace de citoyenneté au double visage : composé, d’une part, d’individus se positionnant sans doute d’abord comme usager – consommateur ; et d’autre part, d’associations aux attentes plus précises ?
Construire une réelle dynamique de participation supposerait – pour ces divers acteurs - de comprendre leurs logiques et leurs attentes respectives. Lesquelles peuvent être contradictoires ... !
Les producteurs de médias ont une finalité centrale, ils offrent un projet éditorial, un projet de communication. C’est souvent un projet économique, dont la viabilité peut être très précaire, notamment dans le domaine de la presse quotidienne. [1]
C’est donc un monde soumis globalement aux règles de la concurrence, que ce soit entre groupes de presse ; ou entre types de supports médiatiques. C’est aussi un monde qui va défendre une image de neutralité, d’impartialité, de précision, d’indépendance (en tout cas dans le sens où le journaliste est censé être extérieur à la réalité relatée).
Les citoyens, eux, constituent sans doute une catégorie hétéroclite… Une chose les réunit : jamais, les citoyens n’ont eu autant d’offres de communication et de médias, autant de possibilités de s’informer.
La capacité d’exercer leur choix est réelle, dans tous les supports : presse écrite (quotidiens, magazines en tous genres, …) ; radios et télévisions (publiques et privées, de réseaux commerciaux , « semi-publics » ou associatifs ; nationales, locales ou communautaires).
A ceci s’ajoute les offres liées aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui pour ces médias traditionnels créent un phénomène de transmédiatisation [2],
Même s’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette transmédiatisation sur la qualité de l’info et sur le pluralisme de l’info, ces offres semblent pouvoir satisfaire les attentes des usagers : leur besoin humain de relations, et leur besoin social de communication publique.
Mais dans leur grande majorité, les citoyens ne sont-ils pas d’abord des sujets-consommateurs plutôt que des acteurs participatifs… ? Et qui, comme tous consommateurs, détiennent à tout le moins le pouvoir de donner ou retirer leur confiance à tel ou tel produit, fusse-t-il médiatique.
Les associations. Le monde associatif ou la société civile organisée est une autre nébuleuse… où les acteurs ont un objet principal : défendre un projet culturel, social, politique, philanthropique, environnemental, … Ce projet, elles vont essayer de le socialiser, de le faire connaître, de le développer. Elles vont donc communiquer, développer des stratégies de persuasion, d’adhésion, de fidélisation, …. Leur finalité est tout autre que les médias. Ici, la communication sera un moyen mis au service d’une finalité particulière.
Pour se distinguer les unes par rapport aux autres (dans un contexte de concurrence qui n’est pas seulement économique), elles vont afficher des valeurs. Leur image sera donc celles d’associations orientées, partisanes, voire propagandistes. Et elles trouveront toujours que les médias n’en font pas assez …pour être caisse de résonnance de leurs préoccupations… Les associations disposant de moyens suffisants développeront également leur propre stratégie de communication (… et de marketing) comme producteurs.
Les paradoxes de la participation
Avec des attentes aussi particulières selon le lieu qui est le leur, ces acteurs peuvent-ils s’entendre sur un projet de participation ? Ou bien la participation ne serait-elle que de l’interactivité au service d’une stratégie de marketing… ?
Le contexte dans lequel évoluent ces acteurs est mouvant. Relevons deux paradoxes.
Le premier paradoxe (classique) est l’opposition entre la centralisation des enjeux et la décentralisation subjective.
Cette centralisation des enjeux prend différentes formes. Les médias n’ont pas échappé à la globalisation économique : les groupes de presse sont souvent aussi des empires économiques, aux activités diversifiées, et où les médias peuvent parfois n’être qu’une activité périphérique. La concentration a affaibli la diversité et le pluralisme. Enfin, comme d’autres secteurs, les médias peuvent subir des délocalisations des lieux de décision ou des outils de production.
Ce contexte semble antinomique au regard des possibilités de participation : plus les lieux de décision s’éloignent, moins la participation citoyenne pourrait s’exercer… Et même des médias de « proximité » ou des médias « locaux » (comme les toutes-boîtes ou les radios « libres ») ont subi cette globalisation en s’organisant autour de régies [3].
Du côté de la décentralisation subjective, on peut relever deux éléments illustratifs. L’offre médiatique s’est adaptée en diversifiant les produits (en créant des attentes ou en y répondant). Cette diversification a renforcé le phénomène de la segmentation des publics et des niches (sans toutefois relever l’enjeu d’un véritable pluralisme…). Et ici, la proximité thématique a-t-elle sans doute supplanté la proximité géographique…
Par ailleurs, les nouvelles opportunités technologiques ont modifié le rapport traditionnel entre les médias émetteurs et les citoyens-consommateurs-récepteurs. La communication unidirectionnelle fait place à une communication interactive.
Tout irait donc bien dans le meilleur des mondes médiatiques ? Ce serait sans compter avec un second paradoxe, illustré par Serge Proulx [4] qui secoue le cocotier médiatique dans le livre « Vers une citoyenneté simulée » qu’il a coordonné. Il met en évidence l’accroissement du flux médiatique et l’augmentation du transfert des messages (soit un fait d’ordre technique) et son impact sur la nature des relations entre médias, citoyens et société (soit un fait d’ordre social).
Dans notre société hyper médiatisée, l’individu est bombardé de signes par rapport auxquels il lui est difficile « de donner de manière autonome des significations ». Pour que ces informations soient intégrées dans sa conscience, l’individu va développer « des pratiques d’affirmation identitaire », via des pôles d’appartenance (sexuelle, générationnelle, …), des sous-cultures, ou des communautés proches.
Ensuite, Serge Proulx critique la notion de « public actif ». Son hypothèse est que cette notion de « public actif » est ambiguë parce qu’elle ne repose que sur la survalorisation de la capacité de choix du citoyen. Il s’interroge ainsi : « la capacité de choix du sujet-consommateur n’est-elle pas une manière de l’intégrer dans un système médiatique sans remettre en cause les rapports de force qui y sont à l’œuvre ? ».
Elargie à la société et à l’enjeu de la citoyenneté, son analyse pourrait paraître démobilisatrice…
Car la participation ne se joue plus sur le terrain de la place publique réelle...
Dans le même ouvrage, Gary Gumpert et Susan J. Drucker [5] distinguent les « places publiques réelles » et les « places publiques médiatisées » qui doivent elles-mêmes être divisées en deux catégories », les « places publiques simulées » et les « places publiques virtuelles »
Dans l’espace public simulé, la fragmentation identitaire se retournerait finalement contre la citoyenneté globale, elle renforcerait la désinstitutionalisation de nos sociétés.
Réfugié dans sa niche, l’individu ne perd-il pas son identité sociale ? Car l’identité se construit dans le rapport à l’altérité et non pas sur le seul consensus d’une communauté, d’une sous-culture, …
Dans ce contexte, la question qui nous occupe devient alors : Comment construire une citoyenneté active lorsque la place publique réelle cède le pas à une place publique médiatisée ?
Participation ou interactivité ?
Même si le vocable de participation reste un concept flou, on peut schématiquement identifier deux types de participation : la participation sur le contenu produit et la participation structurelle [6].
Lorsque l’on aborde la question de la « participation sur le contenu produit », l’enjeu est le produit médiatique en lui-même. De nombreuses formules de « participation » existent dans divers médias : les invités sur un plateau pour un débat TV ou radio, les invités de la rédaction d’un quotidien, les réactions ou les questions des auditeurs à un invité (téléphone, SMS, mails, …), le courrier des lecteurs, les pages « débats » dans les quotidiens, les Forums de discussion ou les Blogs, ….
Ces différentes formes de « participation » sont souvent de simples ré-actions, vis-à-vis du producteur ou entre usagers. L’interactivité qui en résulte n’est que la modalité sous la forme de laquelle s’exprime l’avis « en réaction ».
Dans cette « participation sur le contenu produit », on se situe davantage dans une participation à-postériori [7], et on aura rarement une participation qui visera l’implication dans la conception d’un produit.
Certes quelques expériences existent ici et là, mais restent rares. Les comités d’usagers sont des expériences rares, et l’implication reste expérimentale dans des domaines assez spécifiques [8]. Et si le souci de participation est réel, ces exemples montrent toutefois que la démarche s’apparente davantage à une logique de « médias au service de la citoyenneté », plutôt qu’à une réelle implication des citoyens dans les médias…
Le renforcement d’une réelle participation supposerait de faire le choix de favoriser une orientation sur le processus participatif plutôt que sur le produit… Une démarche exigeante qui imposerait également de réfléchir au formatage des produits. La course à l’audience a modifié les pratiques médiatiques (il faut faire bref, écrire court, …) laissant peu de place pour la réflexion, l’analyse, la démonstration argumentée.
Le souci d’ouverture pour faire participer et donner une place aux usagers-citoyens est sans aucun doute confronté aux risques de manipulation, de démagogie de la part de citoyens ou de groupes organisés, …
Mais il est sans doute aussi tributaire d’une stratégie de marketing qui nivelle les produits plutôt que de les diversifier. Car donner la parole aux citoyens , c’est courir le risque de la confrontation, de la place publique réelle, … et cela risquerait d’indisposer certains annonceurs publicitaires…
La deuxième forme de participation que l’on peut schématiser concerne la participation structurelle.
Ici, l’enjeu est le média et sa politique : sa programmation, ses choix stratégiques, son administration.
Quelques timides initiatives émergent pour favoriser cette participation.
En lien direct avec tel ou tel média, l’on peut songer aux « Sociétés des lecteurs », qui se créent souvent lorsque l’existence même d’un média est en jeu, principalement au niveau financier. Ainsi des médias comme l’hebdomadaire « Marianne » ont été recapitalisés par leurs lecteurs ; ou des associations « Les amis de… » se sont crées autour de titres comme « Le Monde Diplomatique », « L’Humanité », …
De manière indirecte - comme vis-à-vis externe aux médias - certaines associations tentent de jouer un rôle d’interpellation de la société ou de décideurs sur l’enjeu des médias.
En Belgique, il faut mentionner la disparition de l’Association des Téléspectateurs Actifs (ATA) qui tentait de constituer un lieu d’interpellation. Plus récemment, un mouvement d’éducation permanente (non spécialisé dans les médias) s’est lancé dans une campagne « Notre cerveau n’est pas à vendre » sur la place de la publicité à la télévision… mais de telles initiatives citoyennes restent confidentielles … [9] .
En France, l’association « Les pieds dans le PAF » s’est donné comme objectif la défense du service public.
Pour tenter un panorama complet d’expériences de participation, il faudrait encore signaler des lieux formels comme des organes consultatifs officiels ou des fédérations professionnelles qui peuvent aussi jouer un rôle de régulation, d’arbitrages, voire de sanction, … Ces organes interviennent en réparation, sur base d’une contestation ou de litiges. Mais ce sont souvent des lieux réservés aux professionnels, aux experts et parfois à des délégués d’autres organes représentatifs [10]
Et les rares citoyens qui y siègeraient doivent faire valoir une expérience dans le domaine des médias.
Enfin, de rares initiatives de « conseils de presse » existent en Suisse et au Québec… Au Québec, c’est par un appel public que le « conseil de presse » est composé. Mais ce conseil est conscient du fait que les « désignés » ne représentent pas la réalité de la stratification sociale de la population…
Qu’elles soient en lien direct avec un média, ou plus « globale », ces formes de participation comportent certaines limites. A la question de la représentativité des citoyens et des modalités de leur sélection, s’ajoutent celle de la représentativité des associations (souvent de petits groupes de pression, des lobbies, …), et celle du réel pouvoir donné à ces citoyens ou ces associations…
La question des médias alternatifs, collaboratifs
Si notre analyse s’est concentrée sur les médias traditionnels, offrant d’une démarche d’information située dans un cadre « journalistique », avec un projet éditorial « professionnel », …il est indéniable que d’autres médias – qualifiés d’alternatifs, de collaboratifs - ont vu leur explosion possible grâce au développement d’Internet.
La participation active des usagers semble y être un atout… Certains parlent même de « journalisme citoyen ».
Il conviendra donc d’analyser le type de participation qui s’y fait jour pour vérifier l’hypothèse que les formes les plus explicites de participation structurelle conviennent davantage à des médias restreints, communautaires, associatifs [11]
Qu’elle soit traditionnelle ou collaborative, la démarche médiatique fait face à un enjeu fondamental : restaurer la confiance et la crédibilité des médias par des lieux d’échanges est un objectif important, pour sauvegarder des espaces médiatiques démocratiques, pluralistes, offrant des contenus de qualité.
Stephan GRAWEZ
30 juin 2008
[1] Ainsi en France, dans les 20 dernières années, le Figaro a perdu près de 100.000 lecteurs, le Monde, près de 80.000, Libération, près de 60.000..
[2] Où chaque média joue le multimédia en ajoutant d’autres offres à son offre « historique » : les quotidiens intègrent un site Internet, lequel permet de poadcaster des interviews et permet de visionner des vidéos (voir notamment www.lalibre.be ou www.lesoir.be , ou encore www.actu24.be) . Telle télévision invite à poursuivre l’actualité (surtout en texte et images) sur son site. Telle émission d’info de la radio dispose des caméras pour être suivi sur le net (www.matinpremiere.be). Chaque média joue également la carte de l’interactivité via des blogs où l’usager peut ré-agir…
[3] En Belgique francophone, la presse régionale gratuite (toutes-boîtes locaux) est désormais majoritairement aux mains de deux grandes régies : « Vlan » - Rossel/Roularta Media Group » et « Passe-partout » - groupe Corelio.
[4] PROULX Serge et VITALIS André (sous la direction de), « Vers une citoyenneté simulée. Médias, réseaux et mondialisation ». Ed Apogée. 1999.
[5] voir : « Y a-t-il une place dans le village global ? », GUMPERT Gary et DRUCKER Susan J. in « Vers une citoyenneté simulée. Médias, réseaux et mondialisation ». Ed Apogée. 1999.
[6] Sur la participation, voir notamment : « Médias et citoyens – sur la même longueur d’onde ». Fondation Roi Baudouin. 2002.
[7] Plusieurs de ces formes de participation peuvent aussi relever d’une stratégie de gestion du « feedback », stratégie qui peut aussi se prolonger par des enquêtes marketing.
[8] Voir par exemple la Fondation France Télévision (www.francetelevisions.fr) qui promeut « une démarche à la fois profondément citoyenne mais aussi de proximité avec les téléspectateurs ainsi qu’avec les mondes culturel et associatif ». Voir aussi www.capcanal.com , une chaîne de télévision consacrée à l’éducation et à la connaissance, initiée par la mairie de Lyon. Même si le souci de participation est réel, ces exemples montrent toutefois que la démarche s’apparente davantage à une logique de « médias au service de la citoyenneté », plutôt qu’à une réelle implication.
[9] Le succès de la pétition « La pub, je zappe » est faible : 1.200 signatures d’après leur site web http://www.cerveaupasavendre.be/Action-carte-postale-Petition-La
[10] On se situe d’ailleurs davantage sur le mode de la représentation et de la délégation plutôt que sur le mode de la participation citoyenne..
[11] Une analyse spécifique sera publiée sur ce sujet..