Mathieu Volpe : « Je recherche d’abord l’humain et pas la thématique »
Dans chacun de ses films, Mathieu Volpe propose une rencontre intime avec ses personnages. Dans Une Jeunesse Italienne, c’est l’histoire d’amour entre Soukourou travaillant en Italie et Nasire restée au Burkina Faso qui ouvre la porte à une réflexion plus large. Son cinéma s’inspire d’expériences personnelles et de rencontres qui l’ont confronté aux enjeux de l’exil et du lien que l’on entretient avec ses racines. Mais sa démarche créative s’appuie aussi sur un cheminement personnel confrontant les clichés et présupposés qui émergent quand un « homme blanc réalise un film en Afrique ».
De père italien et de mère belge, Mathieu Volpe a grandi dans le sud de l’Italie, avant de s’installer en Belgique pour étudier le cinéma. Lui, qui ne se destinait pas spécialement à la réalisation de documentaires, a été happé dans ce monde un peu par la force des choses. Retour sur une succession d’évènements et de rencontres ayant forgé la filmographie et la vision qu’il porte sur des thématiques chères au festival.
Les hasards de la vie…
En commençant ses études à l’IAD, Mathieu Volpe n’avait jamais vraiment pensé au documentaire. En dernière année, alors que tou·tes les étudiant·es se ruent sur la réalisation de fictions, il propose un projet de documentaire. « C’est un peu le projet de l’échec (rires). Je n’ai pas eu la fiction mais mon projet documentaire est passé. J’ai adoré faire ça. C’était un truc un peu barré. On est parti deux semaines dans le sud de l’Italie pour filmer des ruines sur lesquelles on a mis une voix off un peu à la Marguerite Duras, on s’est vraiment éclaté. » Un projet qu’il qualifie comme étant le plus personnel qu’il ait mené, puisque ce récit est ancré dans son vécu, ses origines. À l’IAD, la découverte de plein de films et d’approches, la liberté d’essayer favorisée par la modestie des enjeux financiers lui ont permis d’identifier ce dont il avait envie de parler, et de l’ancrer dans sa démarche documentaire. « Je me suis rendu compte qu’il y avait certaines thématiques qui m’habitaient, qui me touchaient plus. Et faire du documentaire te permet de rencontrer des gens qui ont beaucoup plus de choses intéressantes à raconter que toi. »
Provoquer la rencontre et s’en remettre parfois au hasard, c’est ainsi que Mathieu Volpe a construit sa filmographie. C’est, par exemple, le comédien faisant la voix off dans son court-métrage de fin d’études qui l’ouvre aux questions de la migration, en lui proposant de photographier les répétitions d’un spectacle sur cette thématique. À la demande d’une ONG, il se rend dans les Pouilles, sa région d’origine, réputée pour ses cultures de tomates accueillant de nombreux saisonniers d’Afrique Subsaharienne pendant l’été. Mathieu se confronte avec sidération à l’ignorance des Italiens sur la vie de ces cinq mille voisins avec qui ils ne se mélangent pas du tout, et qui vivent dans un bidonville. L’année suivante, il retourne dans les Pouilles pendant deux mois, lui, sa caméra Super 8 et son appareil photo argentique. Il y réalise le court-métrage Notre Territoire, sorti en 2019, qui raconte la vie dans ce bidonville. C’est également dans ce bidonville qu’il rencontre la famille de Soukourou, avec qui il s’est lié d’amitié : une amitié qui les mènera à réaliser ensemble le film Une Jeunesse Italienne. « C’est fondamental pour moi de raconter des histoires qui sont à hauteur d’humains, pas sur une thématique, mais vraiment avec des personnages. Un peu comme dans le documentaire, où finalement, c’est une histoire d’amour à distance. Et le court-métrage, c’est plus une histoire de deuil. » Des sujets auxquels chacun·e peut être confronté·e, mais que le film inscrit dans la réalité des parcours de migration. La fiction qu’il prépare actuellement s’inspire également de la vie dans ce bidonville.
Un scénario écrit à quatre mains
Lors de la diffusion du film dans les festivals de cinéma, Mathieu est confronté à l’image du « blanc qui va faire des films en Afrique ». « Une personne qui n’avait pas vraiment vu mon travail m’a dit “je pense que tu dois vraiment changer de sujet parce que vous les Belges vous avez fait tellement de mal à l’Afrique et c’est plus possible pour vous de continuer à travailler en Afrique”. Alors que c’était une personne blanche qui me disait ça. » Une problématique dont Mathieu Volpe a conscience, mais qui ne s’est pas posée avec son équipe, tant elle était implantée dans la famille de Soukourou. En travaillant de façon très transparente avec les personnes impliquées, en communiquant sur ce qui est fait, en collaborant de manière étroite, le film évite le piège du cliché misérabiliste de l’Afrique, trop longtemps reproduit par certains documentaires sur l’Afrique réalisés par des Européens dans les années nonante. « Le quotidien peut être très dur, mais il y a aussi quelque chose de merveilleux dans chaque parcours humain. » Ce projet a démarré par une demande de la part de Soukourou : que Mathieu vienne filmer son mariage au Burkina.
Dès le début, la communauté autour de lui était au courant qu’un film était tourné, et la collaboration s’est naturellement mise en place. Le tournage a duré quatre ans (avec le coronavirus). Rester longuement sur place, que ce soit en Italie ou au Burkina, a permis à Mathieu et à son co-équipier de passer énormément de temps avec les gens sans les filmer, en vivant le quotidien à leurs côtés. Après un certain temps sur place, ils discutaient avec les protagonistes pour identifier ce qu’il était intéressant ou non de collecter pour le film. Le scénario fut donc écrit à quatre : Mathieu, son cadreur, Soukourou ainsi que sa femme Nasire. Pour le réalisateur, cette méthode a permis d’offrir plus de justesse au propos. Ce qui importait avant tout, c’était l’expérience « autour » du film. Il arrivait ainsi que sur une journée ils ne filment que dix minutes, alors que le reste du temps était dédié à la vie quotidienne, le fait d’être avec les gens, avec des ami·es.
Une histoire à portée universelle
Après la sortie en salle d’Une Jeunesse Italienne, l’histoire singulière de Soukourou et sa femme a pu entrer en écho avec les expériences de publics variés, lors de projections en scolaire et en province, d’événements thématiques… Pour Mathieu, c’est à travers ces échanges que le film a révélé sa dimension universelle : « Dans les retours qu’on a reçus, il y avait beaucoup de personnes non issues de l’immigration qui disaient, “c’est dingue parce que c’est exactement la même histoire que mon grand-père a vécue quand il est venu en Belgique”. On a fait une projection au Maroc, et quelqu’un a dit, “c’est exactement ce que moi j’ai vécu avec ma femme”. (…). Je pense que le film a réussi à dépasser un peu le local d’Italie/Burkina pour aller vers quelque chose de plus universel. Finalement ces mécanismes d’exclusion, de difficulté de se construire quand on a les pieds dans un pays et la tête dans l’autre, sont là depuis la nuit des temps, dès qu’il y a eu la première migration. C’était très touchant pour moi parce qu’au final, l’histoire d’un jeune immigré burkinabé peut résonner avec l’histoire d’un jeune immigré italien qui est arrivé en Belgique dans les années 50-60 ».
Dans Une Jeunesse Italienne, si Soukourou souhaite se marier pour rentrer au pays, sa compagne entrevoit, elle, la possibilité d’un départ pour l’Europe. Avec les enjeux de la migration comme toile de fond, définitivement, plus aucun récit de vie ne semble banal. Les histoires qui nous transportent le plus sont souvent incarnées par des personnages avec lesquels nous pouvons entrer en résonance. Pour y parvenir, Mathieu Volpe se joue des codes du documentaire et de la fiction afin de rendre possible la transformation de ces gens « normaux » en « personnages de films ».
Guillaume Didriche
Mathieu Volpe sera présent à la séance de clôture du festival À Films Ouverts en tant que président du jury qui se chargera de dévoiler les résultats du Concours de courts métrages. Une jeunesse italienne est nommé pour le Magritte 2024 du meilleur documentaire. Il développe également L’or rouge, son premier long-métrage de fiction, produit par les frères Dardenne.
Photo de couverture : Mathieu Volpe - par Massimo Pedrazzini