Les sociostyles, pour toucher le public-cible
Les études du style de vie sont issues du constat que les variables sociodémographiques traditionnelles étaient devenues insuffisantes pour comprendre le comportement du consommateur. Il fallait donc inventer autre chose. C’est Bertrand Cathelat qui a ouvert la voie dans les années 70, mettant au point les sociostyles. Depuis lors, la méthode n’a cessé de se développer.
Partant de l’analyse qu’une segmentation de la société, et plus particulièrement des consommateurs, basée sur l’âge, le sexe, la structure familiale ou le revenu… avait perdu sa pertinence, le Centre de communication avancée (CCA), dirigé par Bertrand CATHELAT, a mis au point une catégorisation qui regroupe les individus ayant des comportements, des conditions de vie et des opinions similaires. Les sociostyles ont donc proposé une photographie du monde social par une méthode empirique, sans aucune hypothèse préalable. On peut constater par ailleurs que les sociostyles recoupent souvent les autres catégories sociales.
Les sociostyles sont plus utilisés que la sociologie universitaire par les décideurs. Avec un effet pervers : ce type de méthode de fonctionnement par enquête devient, à son tour, une excellente façon pour un cabinet de consultants d’accroître sa notoriété ou son image de marque auprès des annonceurs. Les sociostyles sont à la mode, tendent à être appliqués à des domaines très divers, jusqu’à l’œnologie ! Vous en trouverez beaucoup sur Internet, sous toutes les formes. Ce sont les Barbapapa des décideurs.
Pour les chercheurs du CCA (Centre de communication avancée), la population française peut être répartie en cinq grandes « mentalités » : on distingue ainsi égocentrés, décalés, activistes, matérialistes et rigoristes.
– Les décalés (17,3% de la population observée) sont les plus ouverts au changement, aventureux et dynamiques : ils consomment ce du neuf, du hors-norme. Du rigolo. Intello-individualistes, ils ne sont pas narcissiques. Car certains cultivent le non-look, ou le pseudo-ringard. Leurs aspirations sont spirituelles davantage que corporelles. Ils achètent difficilement des bien classiques ou alors il faut que ceux-ci aient une approche décalée. La meilleure stratégie pour les approcher repose sur la provocation.. La communication ne joue pas le concret. Ce qui compte ce n’est pas le produit, mais les étapes, les règles du jeu. Ce qui fait que la prise en compte de l’environnement du produit, les moyens d’y accéder par des jeux de rôles, est une stratégie possible. La communication doit dissimuler toute forme de standardisation. Pas la peine de mettre en scène le sérieux, l’utile, la renommée de l’annonceur, la performance du produit. Ça ne les intéresse pas.
– Les rigoristes (20,1%) sont caractérisés par leur rigueur et leur conservatisme. La famille est le pilier de leurs normes. Attachés aux valeurs morales, ils consomment « classique ». Ils achètent des biens durables, fonctionnels, respectables. Les rigoristes ont un statut social élevé mais ils ne cherchent pas à le montrer. Le produit doit être au service d’un savoir-vivre. Une voiture doit être solide, une barre chocolatée contenir du lait pour les enfants. Ils sont économes, car plutôt rétifs au plaisir gratuit. Il s’agit donc de communiquer sur la nature fonctionnelle des produits achetés. Pas la peine de recourir à la séduction, au spectacle, à l’humour, ça ne marche pas. Le dispositif communicationnel doit argumenter. La publicité grave pour eux des valeurs intemporelles, indémodables. Le cautionnement du produit par une figure faisant autorité est des stratégies les plus efficaces. Toutefois, comme ils ne sont guère sensibles à la publicité, une simple information à leur destination suffira. Très classiques, on pourra toujours mettre en scène le mariage, la famille, le pouvoir patriarcal aux produits qu’on essaie de leur vendre.
– Les égocentrés (22,5%) sont les plus attachés à la jouissance matérielle. Très sensibles à leur image, ils sacrifient beaucoup pour elle. Et parfois n’importe comment, dans les hypermarchés, par le biais de la VPC, dans les magasins haut de gamme. Ils consomment aussi beaucoup de services, de loisirs (restaurants, vacances, sports). Ce sont des serials consumers, Ils optent pour des produits spectaculaires, à la mode, à la valeur frime ajoutée. Pour leur voiture, ils craquent pour les enjoliveurs les carrosseries tape à l’œil. Ils affichent les marques. Leurs moyens sont limités ? Peu importe. Ils sont tellement sensibles aux signes extérieurs, qu’il est difficile pour les publicitaires de ne pas les satisfaire. La publicité est même pour eux une fin en soi. Son message est bâti sur le mode de la séduction et l’incitation : les produits sont des symboles de réussite. Sociale ou personnelle (amour, forme, sport). La publicité cherche à les protéger de la réalité, retarde l’échéance de l’évidence du quotidien. Construits selon la logique du vidéo clip (images fortes, couleurs vives, montages nerveux, violence des contrastes, rapide enchaînement des séquences), les spots publicitaires ne leur laissent pas le temps de réfléchir. Superficiels, ils se nourrissent des images du bonheur hollywoodien.
– Les matérialistes (26,8%) n’aiment pas le changement. Ils consomment modérément et fonctionnel (la lessive ça sert à faire disparaître les tâches). Tout ce qui est bon pour la santé, la l’auto, les enfants est bon pour eux. Ils font des économies, ne prennent pas de risques, ils épargnent tranquillement. Ils préfèrent acheter dans les commerces où ils ont leurs habitudes et de plus en plus dans les supermarchés bon marché. La pub doit les sécuriser, leur présenter un produit de façon banale. La création publicitaire, ce n’est pas pour eux. Pas de provoc’ ni de pris e de tête. Ou alors il faut être inspiré par le quotidien. Leur idole ménagère est ce macho rassurant de monsieur Propre . Le produit doit faire ses preuves, des scientifiques en blouse blanche lui auront fait subir les pires tests, et bien évidemment les résultats sont visibles. Quand ce ne sont pas des scientifiques, ce sont des personnages proches d’eux Une grand’mère, ça fait du bon café, un travailleur, ça a des pellicules. L’humour peut être utilisé, mais au premier degré.
– Les activistes (13,3%) ce sont des adultes d’âge moyen, des cadres qui vivent si possible dans le centre ville (là où ça bouge). Ils aiment le travail, prendre des risques. Ils apprécient le haut de gamme, le standing, les vacances exceptionnelles, récusent la consommation de masse. Consommer leur permet de se distinguer de ce qui est médiocre (Loréal, parce que tu le vaux bien). Les objets consommés sont pour eux des objets de reconnaissance, le moyen incontournable pour faire partie des vainqueurs (bel appart’, basket dernier cri pour se promener au parc, voitures de société). Il faut donc mettre le paquet sur l’emballage, la représentation, le décorum, tout ce qui survalorisera un produit déjà survalorisé par la marque, la technique, l’utilité, le prestige : ils font partie des rares élus, ils ont une info en avant première, ce sont des clients privilégiés. Pas de discours trop longs, ils aiment l’efficacité (le temps c’est de l’argent), l’esthétique fonctionnelle et valorisante.
Les sociostyles ne sont pas figés. Dépendant d’une société qui évolue sans cesse, il faut en redéfinir constamment les contours. C’est ainsi que le CCA définit pour 2005-2008 des catégories retravaillées :
– Etre soi, ou l’électron libre : 28 % des Français
Insaisissables, ils jouent les caméléons en découpant leur vie en tranches et en cachant leur vraie personnalité. Dans certains cas, ils prendront le produit minimum, dans d’autres, où ils se sentent motivés, ils opteront pour le haut de gamme.
– Profiter, ou la résistance matérialiste : 23 %
Ils ne souhaitent pas s’adapter mais s’enferment pour se défendre et veulent profiter de chaque plaisir quotidien, de façon matérialiste. C’est un groupe porteur pour la consommation, en particulier pour ce qui concerne le foyer.
– Exister, ou la « médiamorphose » : 21 %
Face à une vie qui n’a pas de sens, il faut être star ou rien, dans la lignée de la téléréalité. Pas très riches, ce sont des jeunes mais ils vont vieillir. Impulsifs et infidèles, ils aiment les produits qui se voient et ont une consommation ostentatoire.
– Etre juste, ou le réarmement dogmatique : 16 %
Ces conservateurs représentaient autrefois plutôt 5 à 6 % de la population. Ils ont un fort pouvoir financier, sont attirés par les marques qui ont certes un savoir-faire historique, mais surtout une éthique, et savent raconter leur philosophie.
– Baliser, ou le formatage : 12 %
Face à un monde compliqué, ils se montrent calculateurs. Très exigeants, ils comparent, lisent les textes techniques et les informations sur les emballages. Ils apprécient les produits qui ont fait leurs preuves, demandent des garanties et de l’assistance.
Cette segmentation, qui a ses limites, illustre cependant bien la façon dont les publicitaires cherchent à segmenter les publics qu’ils visent. Peu importe donc qu’une campagne marketing choque une partie du public si elle séduit le segment visé. Au contraire : on en parlera dans la presse, renforçant ainsi la notoriété du produit tout en valorisant le public visé qui s’y reconnaîtra.
Yves Collard et Paul de Theux
10 mars 2007