Les assureurs vous protègent-ils des dangers d’internet ?

C’est bien là le fondement de leur métier : vous assurer contre des risques de la vie. La foudre ou le feu, les inondations, les accidents de voiture, les défaillances de la santé, le décès inopiné, voire même plus incidemment votre irresponsabilité. Mais remarquez alors que l’assurance n’évite pas le sinistre. Au mieux, elle envisage de vous rétablir dans votre bon droit ou de vous indemniser des dommages subis. Et si la prévention était une meilleure stratégie encore ? Prévenir plutôt que guérir, en quelque sorte…

Ce serait leur faire de la publicité que de citer ces quelques compagnies pas encore très nombreuses qui ont approché ce nouveau marché des « risques de l’Internet  ». Mais elles sont maintenant quelques unes à avoir flairé le filon… C’est généralement dans le cadre d’une police globale de protection de vos proches contre les risques de la vie quotidienne que l’on découvre une couverture de certaines situations liées aux usages des technologies et surtout des réseaux. Nous nous contenterons donc de les évoquer de façon indifférenciée… pour tenter de comprendre leur vision des risques encourus par leurs clients et leur stratégie de défense de vos intérêts.

« Un accident est vite arrivé et les conséquences peuvent changer votre vie  ». Vous pensez bien sûr aux accidents assez classiques d’une vie exposée à toute une série de préjudices dans la réalité du quotidien… Mais, si on veut être complet, la dimension virtuelle de ce qui se vit sur Internet doit aussi être prise en considération. Car, fort de ce qu’on y développe comme activités bien réelles (diffuser du contenu intellectuel en prenant la parole ou en publiant du matériel photographique ou vidéo, faire des rencontres et s’engager, acheter en ligne…) la liste des dommages que l’on pourrait provoquer ou subir aurait alors tendance à s’allonger. Et c’est opportun d’y réfléchir en termes de stratégies car, selon les statistiques, «  98 % des familles belges déclarent qu’Internet fait partie de leur quotidien  ». Aussi, sans attendre que vous perdiez la santé, votre travail ou finalement votre vie… les compagnies d’assurance évoquent avec vous des dommages divers, moraux ou économiques… de sorte à envisager les solutions pour « vous prémunir et vous permettre de surfer en toute sécurité ».

Le piège est dans la souris

Utilisateurs de l’Internet, réalisez-vous en effet qu’il est aisé d’atteindre à votre e-réputation ? Calomnie et diffamation ne datent pas de l’apparition des réseaux sociaux, mais il faut reconnaître que les outils technologiques d’aujourd’hui simplifient le processus et amplifient les effets. Quoi de plus simple de médire à propos de quelqu’un à destination de la planète entière, de joindre une photo volée et choisie pour son caractère tendancieux… Et hop… vous voilà dans de sales draps… Certes, en droit de vous défendre, car la diffamation est punie par la loi ; et parce que le droit à l’image vous permettra d’introduire immédiatement une plainte. Encore faut-il supporter les conséquences de la publication diffamatoire. Comme un accident qui occasionnerait une infirmité, même partielle, on peut demander indemnisation… la réparation, elle, sera toujours relative.

Utilisateurs de l’Internet, réalisez-vous que, sans devoir faire preuve de compétences avancées qui relèveraient du hacking informatique, des internautes lambda sont aujourd’hui en mesure d’atteindre à votre vie privée et à la confidentialité de vos données à caractère personnel. Sans doute est-ce une imprudence de votre part qui aura permis à un indiscret de prendre connaissance de vos paramètres d’identification… mais cette imprudence ouvre la porte à pas mal d’intrusions dommageables. Plus personne n’est aujourd’hui à l’abri d’une usurpation d’identité, une fois dévoilée vos données d’identification dans les systèmes informatiques. Et les moyens de paiement en ligne ? Certes, les commerçants du net vous assurent qu’ils ont opté pour des interfaces sécurisées (c’est ce que signifie notamment le « s » dans le protocole « https»)… Pourtant, régulièrement, les médias nous rapportent le récit de situations où le système a été piégé. Et vous vous demandez alors peut-être comment cela se passe pour le préjudicié ? Concernant les achats en ligne… comment se fait la transposition d’une situation déjà pas toujours simple à gérer quand on est physiquement dans un magasin, à cette situation dite d’e-commerce ? Comment défend-t-on ses droits de consommateur quand il n’y a même plus de boutique où aller réclamer en cas de non livraison, de malfaçon ou de panne ? Comment exprimer sa volonté de renoncer à son achat dans les délais légaux ?

On le perçoit bien, ces situations nouvelles ont tendance à se multiplier et à désarçonner les débutants du net. A entendre les compagnies qui proposent ces services, « 84 % des Belges pensent avoir des difficultés à faire valoir leurs droits en cas d’usurpation de leur identité et craignent en outre les mauvaises surprises lors d’achat en ligne  ». Une assistance serait bien nécessaire et, en cas de dérapage, la garantie d’une indemnisation, rassurante.

Assistance limitée

Alors, regardons de plus près le type d’interventions proposées par les compagnies. Nous nous apercevrons qu’elle ne font pas de publicité mensongère, mais que l’assistance promise a ses limites. Le client sera-t-il finalement satisfait de ce cadre d’intervention minimaliste. A-t-il lieu de se sentir « protégé » ? Chacun jugera.

Etant donnés les nombreux préjudices susceptibles d’être rencontrés, le monde des assurances a envisagé une gamme de produits de type indemnitaire. Vous avez subi un dommage ? Vous serez indemnisé à hauteur d’un tort établi qui peut s’exprimer dans certains cas, par une incapacité (momentanée ou permanente) mais aussi par des préjudices physiques, moraux ou économiques. L’accident, le sinistre est constaté. Il n’a donc pas été évité. On mesure les dommages subis et on estime la hauteur de la réparation. Si la chose est aisée à comprendre dans le cas d’un préjudice physique (atteinte à votre intégrité, votre santé, votre propriété…) comment les compagnies transposent-elles aux usages online ?

Selon elles, « l’indemnisation est complète ». Le beau slogan ! Une assistance juridique par téléphone vous permet d’abord d’identifier si vous êtes lésés et quelle procédure mettre en œuvre pour faire opposition au processus, ou pour déposer plainte et réclamer que justice soit rendue. Pour faire aboutir cette procédure, s’il s’avère qu’une démarche en conciliation n’est pas possible avec le responsable du tort, un accompagnement juridique vous sera proposé pour une assistance en justice. Le service envisagé va même plus loin quand il garantit la prise en charge des frais de nettoyage (ou de noyage) d’informations vous concernant publiées sur le Net et qui atteindraient à votre e-réputation. Voilà donc un nouveau métier qui apparaît sur le marché de la protection… a posteriori : nettoyeur du Net.

Réparer

On le voit donc bien, il s’agit bien d’une assistance qui intervient après sinistre pour vous aider à faire valoir vos droits et à obtenir éventuellement réparation. Dans ce cas, le mal est fait… et on essaye tant bien que mal d’intervenir pour en atténuer les conséquences… voire pour obtenir réparation et indemnisation. Fallait-il cependant que l’on en arrive là ? Reconnaissons-le, les compagnies ne sont pas mensongère puisqu’elles disent clairement qu’elles seront là pour vous aider à réparer ce qui n’a pas été évité, à savoir la part des risques liés aux usages de plus en plus nombreux des technologies et des réseaux.

Ce faisant, les assurances sont en adéquation avec cette métaphore des « autoroutes de la communication » par laquelle on désigne les usages technologiques d’aujourd’hui. Emprunter fréquemment ces infrastructures entraîne inévitablement un risque plus élevé que celui qui ne circule pas. Cette part de risque est assumée chaque jour par des utilisateurs qui voient plus d’avantages à circuler qu’à rester chez soi. Ces personnes admettent que le risque zéro n’existe pas. Simplement, elles ont appris à circuler de façon responsable, de sorte à contenir les risques dans une proportion admissible. Il reste que l’accident est toujours une catastrophe pour celui qui en est victime…. Et si les assurances peuvent en atténuer les effets en identifiant les responsabilités des acteurs et en définissant des clés d’indemnisation, on aura fait œuvre de justice solidaire… les conducteurs chanceux cotisant globalement au bénéfice des conducteurs malchanceux. C’est sur ce schéma de la solidarité organisée que fonctionne le système de sécurité sociale (allocations sociales, de chômage…) et les assurances privées (assurances vie, de responsabilité civile, de dégâts locatifs…).

Mais tout le monde s’accordera à dire qu’il vaut mieux éviter les accidents, tant que faire se peut. Et une conduite responsable et défensive est sans doute une compétence qui s’acquiert par un certain nombre d’heures d’écolage. Le fruit d’une éducation aux médias et à la pratique médiatique.

Ce n’est pas moi…

Une chose est pourtant à remarquer dans le discours proposé par les assureurs : ils mettent le focus sur un aspect des rapports interpersonnels en ligne : le point de vue de la victime. Ils ne commentent que peu la possibilité que l’assuré soit le responsable du sinistre, qu’il soit celui qui occasionne le tort à autrui. En ce sens, nous sommes bien en présence d’un produit à caractère indemnitaire –c’est bien écrit- et le focus est donc celui de la protection offerte. Une protection qui, toutefois, se limite à l’aide complémentaire « comblant les vides de couvertures du marché  ».

En d’autres mots, on va vous aider, mais c’est à vous de déposer plainte. On va vous assister, mais on vous conseille d’abord de tenter la négociation. En cas d’échec de toutes ces procédures, un spécialiste tentera le grand nettoyage… mais le caractère limité de la promesse est perceptible… à défaut de nettoyage réussi, on fera ce qui est possible pour « noyer l’info dérangeante ». Enfin, il faut malgré tout reconnaître cet aspect positif de la couverture assurance : une indemnité sera payée « en l’absence de règlement du litige, son montant dépendant de la situation et de la garantie  ».

Cette police d’assurance est-elle une couverture efficace ? Chacun se fera son avis… Mise au cœur d’un contrat de « global assurance de protection de vie privée », elle constitue à coup sûr un argument marketing bien dans l’air du temps. Reste que si l’accident pouvait être évité, on gagnerait en efficacité.

Au cœur de la circulation automobile, comme sur les autoroutes de l’information, conduire de façon défensive, c’est d’abord prendre les devants pour tenir à distance les obstacles et anticiper le comportement des autres utilisateurs. Cela passe par une identification de ce qui constitue un danger. C’est une compétence qui s’acquiert au fur et à mesure d’heures de conduite assistée, en bénéficiant de conseils avisés.

Couvrez-vous !

Concernant la circulation automobile, la couverture des risques par une assurance est une obligation, car les dangers sont trop évidents pour ne pas prémunir l’automobiliste contre lui-même et face aux autres. Ces « autres » qu’il peut agresser tout autant que d’en être lui-même la victime. La société civile reconnaît par là que les risques font bien partie des usages et qu’il faut garantir une certaine protection des victimes en organisant la reconnaissance des droits des utilisateurs et leur indemnisation en cas de sinistre.

En matière d’usage médiatique, ce que la société civile prévoit, c’est une Education aux médias, dans le cadre du parcours scolaire notamment. La protection envisagée dépend du degré de compréhension du jeu médiatique dans lequel on est embarqué et de la capacité à utiliser ces supports d’expression de façon citoyenne. C’est une protection basée sur un savoir-faire et un savoir-être qui mobilise la vigilance et la responsabilité de l’utilisateur médiatique à tout instant.

Reconnaissons-le, le danger peut aussi venir de la « trop grande assurance » qui découlerait de la fausse impression que l’on aurait d’être en sécurité. Croire qu’une couverture établit une garantie est sans doute un leurre. La connaissance du terrain, des pratiques des autres utilisateurs et des outils servant à la communication sont sans doute des atouts majeurs dans la mise en place d’une utilisation médiatique responsable, active et citoyenne.

Cela dit, concernant ces compagnies d’assurance, il ne s’agit pas de publicité mensongère ni de produits inefficaces. La juste perception des choses réclamerait toutefois de nuancer le terme : ce produit « PROTÈGE » vos proches contre les risques de la vie quotidienne… Tout au plus envisage-t-il d’INDEMNISER des conséquences subies lors d’un sinistre.

Michel Berhin

Média Animation

Septembre 2013

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