Le podcast, un média transgressif ?
Sujets osés, franc-parler et témoignages intimes… le format podcast n’a pas la langue dans sa poche ! De Arteradio, reine des podcasts insolites, à Slate.fr, en passant par France Culture ou dernièrement la RTBF, Nouvelles Ecoutes et Binge, le podcast aborde de plus en plus régulièrement les questions liées au genre et à l’anti-racisme. Mais pourquoi le format podcast est-il privilégié pour traiter ces thématiques ? Serait-il plus permissif, voire transgressif ? Ou bien serait-ce un des seuls espaces où les minorités se sentent suffisamment en confiance pour développer les sujets qui leur tiennent à cœur ?
Un pod…quoi ?
A l’origine, le terme « podcasting » désigne un moyen de diffusion de fichiers (audio, vidéo ou autres) sur Internet, ces fichiers sont appelés « podcasts ». Par l’entremise d’un abonnement à un flux de données au format RSS, le podcasting permet aux utilisateurs l’écoute immédiate ou le téléchargement automatique d’émissions audio ou vidéo, à destination par exemple de baladeurs numériques ou de smarphones en vue d’une écoute ultérieure. [1] Donc, concrètement, les podcasts auxquels on s’abonne s’ajoutent directement dans notre baladeur ou notre smartphone et se téléchargent automatiquement si on le décide.
Aujourd’hui, le podcast ne désigne plus forcément un abonnement via un flux RSS, mais plutôt un format web sonore qu’on peut écouter en streaming ou télécharger, le plus souvent sur son smartphone, mais aussi sur son ordinateur. Les podcasts sont tantôt des créations uniques, tantôt des séries diffusées de façon plus ou moins régulières. On peut dès lors se demander ce qui différencie le podcast de la radio (les podcasts dont parle cet article sont ceux conçus uniquement pour le web et non pas ceux mis à disposition des auditeurs/trices après une première radiodiffusion).
La principale différence entre les deux médias réside dans la liberté que le format podcast offre tant aux réalisateurs.trices qu’aux auditeurs et auditrices. En effet, comme la plupart des créations web, le podcast permet plus de possibilités de création, que ça soit au niveau de la forme ou du contenu mais aussi de la production. Il n’est pas coincé dans la grille horaire d’une radio et n’a pas non plus autant de pression dans les délais de diffusion. Pour l’auditeur aussi, l’expérience podcast est très différente de la radio : on écoute le podcast que l’on choisit de télécharger, puis une fois qu’il est sur son téléphone, on peut l’écouter quand on le veut et où on le veut. Ce n’est pas un hasard si le podcast s’est développé en même temps que les smartphones : il a fallu attendre que la consommation mobile se généralise pour que le podcast puisse être téléchargé facilement et qu’il rentre véritablement dans les habitudes des consommateurs.
Un média propice à l’intimité ?
Le son est un des seuls médias véritablement immersif. Quand on regarde un film, aussi grand que l’écran puisse être, les bords en seront toujours visibles, tandis que le son immerge complètement dans l’expérience : on ferme les yeux et on ne sait plus si ce qu’on entend provient de nos écouteurs ou de la pièce dans laquelle on se trouve. De plus, le son peut accompagner n’importe où et dans beaucoup de situations au quotidien, que ça soit à l’extérieur ou dans la maison. Il est plus facile de couper des oignons ou de marcher dans la rue en écoutant un podcast qu’en regardant une série, au risque de perdre un doigt ou de rater une marche ! L’écoute d’un podcast est le plus souvent vécue comme une expérience individuelle et intime. On écoute une voix, qui nous parle dans le creux de l’oreille, comme une amie qui se livrerait à nous. Beaucoup de podcasts jouent d’ailleurs sur cette proximité avec l’auditeur en créant des ambiances sonores intimistes, faites de chuchotements, de silences et de confidences.
Un espace pour ceux et celles qui n’ont pas voix au chapitre
Ces derniers mois, on a pu voir émerger en francophonie, et surtout en France, une vague de podcasts avec des thématiques encore peu abordées dans les médias généralistes : genre, féminisme, afro-féminisme, identité raciale… Comme le résument Mélanie Wanga et Clémentine Gallot, journalistes à Libé et 20 minutes, « certains sujets, certaines problématiques n’ont pas encore trouvé leur légitimité dans les médias français. Parler féminisme, anti-racisme, genre, queer, à propos de l’actualité politique comme de la culture pop, ça reste compliqué [2]. » Elles notent cependant une évolution : « on essaie depuis des années de légitimer les questions de genre dans la presse. Avant, personne ne voulait les aborder ("trop clivant, ça fait peur...") et ça n’a changé que depuis peu... Même si rien n’est parfaitement gagné [3]. » Et c’est sans doute ce qui fait le succès du podcast : une capacité à explorer des sujets où la presse grand public reste frileuse…
Mais pourquoi ce média en particulier permet-il d’explorer ces thématiques ? Selon Lucie Rezsohazy, coordinatrice de la cellule Webcréation & Transmédia de RTBF Interactive, « on peut faire une différence entre les podcasts anglo-saxons et les podcasts francophones. Aux Etats-Unis, ils sont très doués dans l’art du storytelling, du montage sonore au fil conducteur qui amène la narration. En France, on est plus dans des conversations où on prend le temps d’approfondir les thématiques. Et c’est pour ça que c’est un terrain de jeux, surtout des femmes : (…) on a enfin le temps de s’exprimer et d’aborder des thématiques qu’on n’abordait pas forcément en radio [4]. » Le podcast offrirait donc un temps de parole que les femmes et les personnes racisées [5] ne trouveraient pas ailleurs. Un temps, où les auteur.e.s sont libres de développer leur pensée sans subir les pressions extérieures ou des interruptions.
Les podcasts pourraient d’ailleurs être comparés sur ce point aux espaces de paroles non-mixtes développés par certaines associations féministes, LGBTQI [6] ou antiracistes. Ces espaces permettent de se retrouver entre personnes faisant face aux mêmes discriminations et constituent une bulle sécurisée et rassurante. Les logiques de domination habituellement à l’œuvre dans la société y sont suspendues le temps d’un podcast, puisque c’est la personne qui parle qui est (en général) aux commandes. Ce besoin de non-mixité est généralement perçu par la société comme un repli communautaire, alors que cette méthode possède un haut potentiel émancipateur lorsqu’elle est envisagée comme un moyen (arriver à plus d’égalité et déconstruire les systèmes de domination) et non une fin [7]. Comme l’explique Christine Delphy, « c’est peut-être parce qu’elle renvoie la société majoritaire à la persistance des discriminations – et dès lors à la nécessité pour les discriminés de se rassembler – qu’elle est si mal accueillie. La non-mixité serait le symptôme d’une réalité que nous voulons croire dépassée et que nous n’acceptons pas de voir [8] ». Et il est vrai que dans les médias grand public, les personnes de sexe féminin et/ou racisées et/ou faisant partie des communautés LGBTQI n’ont pas encore une place de choix (quand elles en ont une). Ces personnes ne sont par exemple pas représentées aux postes de pouvoir des médias. Ce manque de représentation a une grosse influence sur le choix des sujets traités, mais aussi sur la façon dont ils sont traités. Un.e journaliste qui n’est pas au courant des mécanismes de domination subis par une personne risque fortement de les reproduire, sans doute de façon involontaire, dans ses questions d’interviews et dans la manière dont il/elle interprètera les réponses.
Le podcast est un endroit où simplement exister en tant que personne, pour montrer son univers, donner son avis, ses recommandations et ses critiques sur la pop-culture en général ou les médias où on est moins. Mélanie Wanga et Clémentine Gallot expliquent d’ailleurs que la vague du podcast afro est « portée par de jeunes créatifs frustrés de devoir systématiquement se chercher une représentation médiatique outre-Atlantique (…) » et que ce courant s’adresse à tout le monde, puisqu’[il] donne à voir une facette de la France jusque là cachée mais pourtant totalement réelle. Ces émissions informelles mais bourrées de références posent de vraies questions dont les réponses sont multiples et passionnantes. Comment vit-on le fait d’être noir et français ? Le racisme au quotidien, c’est quoi ? Par quels livres ou films peut-on retracer les histoires noires françaises ? En quoi la pop culture afro US est-elle devenue prédominante ? Et le #BlackGirlMagic, c’est quoi ? ». Le podcast est donc une façon de s’affranchir des structures médiatique non-représentatives de la diversité, tout comme les youtubeurs et youtubeuses qui ne rentrent pas dans le moule des médias traditionnels et qui décident de se lancer eux-mêmes dans la réalisation, hors des contraintes télévisuelles (grille horaire, producteur, public généraliste). On ne compte plus les chaînes Youtube consacrées à la critique de la pop-culture et des médias (films, de jeux vidéo, actualité, etc.), mais à la différence des podcasts, l’apparence et la mise en scène sont primordiales, ce qui demande d’ailleurs un effort supplémentaire de lecture aux internautes. Le podcast, au contraire, est beaucoup plus direct puisqu’il ne nécessite pas de compétences pour décoder l’image, il suffit d’écouter la voix. Mais surtout, il offre un certain anonymat à son auteur.e qui peut se libérer du diktat de l’apparence (ce qui n’est pas rien dans une société d’image) et ce qui renforce aussi l’effet de « bulle sécurisée » du podcast où on peut témoigner à l’abri du regard normatif de la société.
2017, année du podcast francophone ?
L’année 2017 a vu émerger une foule de nouveaux podcasts, comme Nous et les autres produit par Slate.fr sur les questions de discriminations, Coming In ou Aimer à 20 ans sur l’homosexualité, les nouvelles émissions (bi)mensuelles d’Arteradio comme Le Tchip (anciennement connu comme Noir is the new black) sur la pop-culture afro, et Un podcast à soi qui traite des questions féministes, ou encore dernièrement Quoi de meuf, la newsletter hebdomadaire de Mélanie Wanga et Clémentine Gallot sur la pop-culture et le féminisme qui s’est transformée en podcast. Côté belge, on n’est pas en reste avec par exemple les podcasts La Claque ou tout récemment C’est tout meuf, produit par la RTBF et qui offre à entendre des conversations sans tabou entre femmes sur des sujets intimes comme la masturbation, la libido ou le porno. Ce dernier exemple démontre l’importance de la bulle sécurisée où la parole se libére : les jeunes femmes qui interviennent dans ce podcast n’auraient sans doute pas été aussi franches en direct ou devant une caméra. C’est tout meuf montre également combien le format podcast se veut proche des gens et souhaite dialoguer avec eux : un groupe Facebook « privé » a été créé pour accompagner les auditeurs/trices dans leur écoute. Ce groupe est voulu comme un espace safe où chacun.e peut partager ses expériences sur les sujets abordés dans le podcast et « échanger avec bienveillance ».
Les boîtes de productions de podcasts aussi semblent avoir poussé comme des champignons en 2017. Lucie Rezsohazy en énumère quelques-unes comme « Binge.audio, Audibles de Amazone, Spotify [qui] s’est aussi mis aux podcasts ou encore Boxsons. En Belgique, il y a aussi (…) un nouveau studio de production créé il y a peu qui s’appelle J’aime bien quand tu parles et qui propose déjà plusieurs émissions. » [9] Cette émergence des boites de production nous laisse espérer voir venir une myriade de nouveaux podcasts rafraichissant dans les prochains mois, mais aussi et surtout l’occasion d’écouter les voix qu’on a peu l’habitude d’entendre sur des sujets importants et qui passent malheureusement sous le radar des grands médias !
Cécile Goffard
Petite histoire de la révolution podcast aux Etats-Unis
Bien que les podcasts existent depuis le début des années 2000, ils n’étaient jamais vraiment rentrés dans les habitudes de consommation. Comme l’explique Silvain Gire, co-fondateur d’Arteradio, ce qui a « véritablement fait émerger l’écoute régulière, c’est l’application Podcasts, installée par défaut sur les iPhones [10]. » Mais la sauce a véritablement pris en 2014 avec le succès de la série Serial aux Etats-Unis qui a lancé la révolution podcast. Dans cette série, la journaliste Sarah Koenig raconte en 10 épisodes son enquête sur un cas de meurtre datant de 1999 dont le jugé coupable a été mis en prison bien qu’il ait toujours clamé son innocence. La journaliste raconte alors tout son parcours d’enquête pour découvrir la vérité sur l’affaire, des interviews de témoins aux avis d’experts en passant par l’étude des cartes du lieu du crime et des vieux rapports de police. Sarah Koenig partage aussi ses doutes et ses soupçons sur l’innocence du meurtrier, ce qui rend le suspens de la série insoutenable. Chaque document consulté pour son enquête est rendu disponible au public sur le site web de la série, engageant les auditeurs/trices à participer à l’enquête et à développer leur théorie sur l’innocence du meurtrier et sur les potentiels véritables coupables. Cette série haletante avait été énormément suivie aux Etats-Unis avec plus 100 millions de téléchargements. A partir de là, de nombreux podcasts ont été réalisés par nos voisins anglophones, jusqu’à ce que la mode se propage doucement dans le monde francophone, avec 2017 comme année véritablement charnière pour les podcasts français et belges.
[1] Wikipedia, Podcasting, https://fr.wikipedia.org/wiki/Podcasting , consulté le 8 décembre 2017
[2] Alice Carabédian, “Quoi de meuf ?” : une newsletter féministe pour se remettre d’aplomb, Les Inrokuptibles, 19/01/2017. Consulté le 8 décembre 2017 sur http://www.lesinrocks.com/2017/01/19/style/quoi-de-meuf-newsletter-feministe-se-remettre-daplomb-2-11903645/
[3] Claire Touzard , Qui êtes-vous, jeunes féministes : Mélanie Wanga et Clémentine Gallot, Grazia, 17/04/2017. Consulté le 8 décembre 2017 sur https://www.grazia.fr/news-et-societe/news/qui-etes-vous-jeunes-feministes-melanie-wanga-et-clementine-gallot-850878
[4] Lucie Rezsohazy, dans l’émission Empreinte Digitale, Pure Fm (RTBF), 15/11/2017. Consulté le 8 décembre 2017 sur https://www.rtbf.be/auvio/detail_empreinte-digitale?id=2277681
[5] Une personne racisée est une personne victime de racisme.
[6] LGBTQI = Lesbienne,gay, bi, trans, queer, intersexe
[7] Edgar Szoc, La non-mixité, outil d’auto-enfermement ou d’auto-émancipation ?, Juin 2017, Bepax. Consulté le 11 décembre sur http://www.bepax.org/files/files/2017-analyse-la-non-mixite-outil-d-auto-enfermement-ou-d-auto-emancipation.pdf
[8] Christine Delphy, La non-mixité, une nécessité politique – Domination, ségrégation et auto-émancipation, exposé oral datant du 8 mai 2006, à l’occasion des cinquante ans du Monde diplomatique et retranscrit sur le site « Les mots sont importants », http://lmsi.net/La-non-mixiteune-necessite. Citée par Edgor Szoc (op. cit.).
[9] Lucie Rezsohazy, dans l’émission Empreinte Digitale, Pure Fm (RTBF), 15/11/2017. Consulté le 8 décembre 2017 sur https://www.rtbf.be/auvio/detail_empreinte-digitale?id=2277681
[10] Mélanie Wanga, BoxSons, Binge Audio, Nouvelles Ecoutes... Va-t-on enfin se mettre aux podcasts ?, 20minutes, 13/02/2017. Consulté le 11 décembre sur http://www.20minutes.fr/culture/2010823-20170213-boxsons-binge-audio-nouvelles-ecoutes-va-enfin-mettre-podcasts