Le business Facebook
Né en 2004, le réseau social Facebook, s’est très vite étendu au grand public. A partir de 2006, il suscite ainsi l’intérêt de tous avec ses 850 millions d’adhérents (décembre 2011). Depuis son succès international, Facebook est devenu un média de masse sollicitant d’énormes fonds publicitaires (s’élevant jusqu’à $ 7,3 milliards en décembre 2011). Son atout ? La récolte de données personnelles : un business qui ne favorise pas toujours la démocratie…
En février 2004, Facebook naît et devient un service offert aux étudiants de l’université d’Harvard (USA), conçu par l’un de ces étudiants lui-même. A l’époque, seuls ces étudiants américains pouvaient s’inscrire au site via leur adresse e-mail fournie par l’université. La plateforme servait alors de communauté étudiante, relativement fermée. Par la suite, Facebook s’est ouvert à d’autres universités (aux universités britanniques en octobre 2005). En septembre 2006, la plateforme en ligne s’ouvre entièrement au public et Facebook comptabilise rapidement des millions d’utilisateurs. Très vite, la plateforme en ligne réalise son potentiel d’expansion. Dès ce moment-là, on aperçoit des bannières publicitaires s’installer peu à peu sur l’interface du site.
Mondialisation culturelle
Lorsqu’un site web commence à être financé par des publicitaires, on peut parler de « business ». Si l’on parle de business, on peut se demander en quoi le site contribue ou non à la liberté d’expression. Dans un sens, il est vrai que le web, et particulièrement le « web 2.0. », peut être considéré comme développant la « démocratie culturelle » en permettant à l’utilisateur de se connecter sur Internet quand il le désire, autant de temps qu’il le désire et sur le site qu’il désire. Le web 2.0., aussi appelé le « web collaboratif », est plus démocratique que le web précédent en ce sens que l’utilisateur construit sa propre culture. Même si Facebook appartient à ce web 2.0. collaboratif (en permettant au membre de Facebook d’interagir avec des gens qu’il choisit, quand il le veut et avec le contenu qu’il veut), nous considérerons Facebook ici comme un « média de masse ». Nous verrons que Facebook, même si présent dans le paysage du web collaboratif et considéré comme un outil de communication interpersonnelle, fonctionne comme tout autre « média de masse ».
Les médias de masse concernent principalement la télévision, la radiodiffusion, la presse écrite, le cinéma, l’affichage et, last but not least, Internet. Facebook, nous le savons est un site Internet, et est un média de masse parce qu’il est produit massivement pour être consommé massivement. « Le modèle type des ‘mass média’ est caractérisé par un petit nombre de producteurs puissants qui créent du contenu qui sera consommé par une audience de masse » [1]. A titre illustratif, nous avons vu que Facebook compte quelque 850 millions d’utilisateurs [2] Le site est disponible dans le monde entier. Il est en tout cas traduit en 70 langues.
Pourquoi considérer Facebook comme un média de masse et quel en serait l’intérêt ? Considérer Facebook comme « mass média » pourrait en fait remettre en question le caractère « démocratique » mis en avant précédemment. Facebook, comme tout autre mass média, concerne en fait très peu d’auteurs qui, indépendamment des utilisateurs, créent et modifient le contenu de base : la plateforme. Il s’agit du système de fonctionnement du site lui-même, des applications et autres outils disponibles ainsi que des bannières publicitaires qui sont placées sur la plateforme. De la même manière qu’une chaine de télévision impose ses programmes, ses publicités, ses animateurs…Facebook imposerait, lui aussi, son contenu. La caractéristique de l’interaction producteur-consommateur concerne un nombre restreint de producteurs qui s’exécutent pour une audience très large. Aux médias « de masse », on pourrait opposer les médias « interpersonnels » (téléphone, e-mail, courrier postal…) qui font interagir deux personnes directement, sans aucun intermédiaire.
Facebook comme mass média
Si l’on parle d’ « intermédiaire », c’est parce que les médias de masse sont en fait soumis à deux audiences. D’une part, le mass média doit séduire son public-cible en créant/diffusant des programmes susceptibles de l’intéresser. Tout média a en effet un public bien déterminé, plus ou moins homogène, qu’il essaie de maintenir à long terme. D’autre part, le mass média doit attirer les publicitaires.
Pour attirer ces publicitaires, le mass média doit avoir une connaissance très précise de son audience. Les entreprises, comme les médias d’ailleurs, créent des produits/services en ayant une idée bien précise de leur public. A travers leurs publicités, elles tentent de s’adresser à ce public et ainsi de l’atteindre/le maintenir dans sa clientèle. Stratégiquement, il implique pour les entreprises de choisir un média minutieusement, qui aidera à entrer en contact avec ce public. Le public visé via les publicités doit donc préférablement être homogène avec celui visé par le média. Une interaction existe réellement entre les deux publics qui visent les médias : « Bien que les consommateurs et les publicitaires sont deux marchés distincts, ils sont très reliés » [3].
L’attrait des publicitaires constitue un enjeu important pour les médias, et très particulièrement pour les médias de masse. Avec leur désir de conquérir le public le plus large, les médias de masse se caractérisent principalement par des objectifs commerciaux. « Parce que certains médias dépendent autant d’eux pour leur survie, les publicitaires sont de loin les clients les plus importants des médias. » [4]. Ainsi, plus le média aura de succès auprès de son public, plus il suscitera l’intérêt des publicitaires. Pour en revenir à Facebook, que nous avons considéré comme un média de masse, il n’y a qu’à en visionner l’interface pour y observer l’abondance de publicités (illustration ci-après).
Le business généré via les publicités, via l’acquisition de données des utilisateurs et via l’amélioration d’image de marque constitue $ 7,3 milliards [5] On peut facilement imaginer que sans publicité, le site peinerait à se développer et à maintenir ses 850 millions de membres connectés.
Facebook, avec ses objectifs de mondialisation, maintient l’utilisateur dans une société de consommation. Imposer des bannières publicitaires à l’utilisateur lors d’un moment de loisir aurait un sens particulièrement stratégique. Plus que d’offrir un service à ses utilisateurs, le réseau social constitue également un service non négligeable aux entreprises.
Données pertinentes à vendre
Si les investissements placés dans Facebook en termes de communication marketing sont si élevés, c’est qu’il génère un beau retour sur investissement. Mais quel est donc le secret de Facebook ? L’atout de Facebook est en fait son instauration d’une grande confiance, massivement partagée. « Il y a un endroit où vous utilisez votre vrai nom, avec en boni votre vraie photo et probablement votre vraie date de naissance : Facebook. » Les autres sites web ne peuvent pas en dire autant : « Partout où vous allez sur le Net, on vous demande de vous créer un compte. Et souvent, vous utilisez un faux nom, alors que le site Internet aimerait bien, pour des raisons commerciales, légales ou simplement de légitimité, avoir votre vrai. » [6] Facebook est une vrai richesse pour la collecte de données : « La quantité, qualité et valeur d’informations fournies est impressionnante aussi : les profils Facebook ne sont pas seulement la plupart du temps identifiés personnellement et de manière unique. Par défaut, ceux-ci présentent aussi l’avantage de pouvoir consulter des informations de contact (incluant adresses et numéros de téléphone personnels) et d’autres informations en plus, rarement disponibles sur d’autres réseaux » [7].
Nous l’avons vu plus haut, les données personnelles du membre ont en fait une valeur marchande. Laisser Facebook intégrer sa vie quotidienne, c’est en quelque sorte en reconnaître les vertus socialisantes. Lorsqu’il se socialise, l’homme a cette tendance à se dévoiler, voire à s’exhiber. Il faut dire qu’une page entière (page de profil) lui est consacrée pour se présenter. Sur cette page, appelée « mur », le membre y mentionne notamment son lieu de vie, sa ville natale, son établissement scolaire ou lieu de travail, ses éventuels diplômes, les langues parlées, sa situation amoureuse, ses liens de parenté avec d’autres membres de Facebook... Il reçoit toute la place nécessaire pour afficher ses préférences culturelles (films, musique, citations, émissions télévisées, jeux), ses centres d’intérêts et pour y placer des albums photo ou vidéo. Son nom et prénom, sa date de naissance complète et son sexe sont même obligatoires à l’inscription.
Le choix de laisser à l’utilisateur une grande place à la présentation de soi ainsi que de lui proposer une vaste palette d’actions possibles (partage de fichiers, jeux, messagerie instantanée, boite interne, création de groupes ou d’événements…) serait tout à fait stratégique : « Plus il est facile pour les gens de joindre et de trouver des points de contacts d’autres utilisateurs du réseau (en fournissant de larges quantités d’informations personnelles et en obtenant équitablement de larges quantités d’informations fournies par les autres), plus l’utilité du réseau sera grande pour les utilisateurs eux-mêmes et par là, plus grande sera la valeur commerciale du réseau pour les propriétaires et managers. » [8] Le pouvoir de Facebook est de mettre à disposition des données très pertinentes aux entreprises qui les réutiliseront pour confronter les utilisateurs à des publicités pertinentes. Ces publicités sont minutieusement adaptées à l’utilisateur, grâce à une analyse de sa personnalité qui en aura été faite au préalable, sur base des données personnelles qu’il aura fournies.
Un frein à la démocratie ?
Permettre à l’utilisateur d’être entièrement libre de contenu, c’est lui permettre une certaine liberté d’expression et par là, contribuer à développer la démocratie. Tout internaute a l’avantage de se connecter sur les sites désirés quand désiré et depuis l’arrivée du web 2.0, de partager les choses désirées avec les gens désirés. Facebook, par exemple, a cet avantage d’être entièrement gratuit, permettant ainsi à tout internaute de s’y inscrire. Nous avons vu que la liberté fournie à l’utilisateur en termes de diffusion de contenus avait un sens particulièrement stratégique. Pourtant, les utilisateurs sont avertis du traitement de leurs données, en s’inscrivant sur le site. Sur la page d’inscription de Facebook, apparait la déclaration : « En cliquant sur Inscription, vous acceptez nos Conditions d’utilisation et vous reconnaissez avoir lu et accepté nos Politiques d’utilisation des données. » [9]
En s’inscrivant au site, l’utilisateur accepte ces conditions qui concernent le traitement de ses données. En cliquant sur « Politique d’utilisation des données », l’utilisateur est renvoyé vers une autre page où il reçoit des informations complémentaires : « Nous utilisons les informations que nous recevons pour les services et les fonctions que nous vous fournissons, à vous et à d’autres utilisateurs, tels que vos amis, les annonceurs qui achètent des publicités sur le site, et les développeurs qui conçoivent les jeux, les applications et les sites Web que vous utilisez. » [10] A titre d’exemple, Facebook mentionne : « pour mesurer ou comprendre l’efficacité des publicités que vous et les autres voient » [11]. Le public est un public averti donc, visiblement, rien de bien grave. D’apparence, l’infraction à sa vie privée ne semble pas être un frein à l’adhésion Facebookienne.
Public averti ou supposé averti ? A travers les « Politiques d’utilisation des données », l’utilisateur est supposé être au courant du traitement de données auquel il a affaire. Mais…prend-il vraiment la peine de lire les conditions attentivement ? A-t-il réellement connaissance du traitement de ses données qui en est fait ? Ou préfère-t-il plutôt fermer les yeux sur cette infraction à la vie privée, afin de laisser place à d’autres priorités (socialisation, distraction…) ?
Certains auteurs observent en tout cas une méconnaissance des intentions commerciales de Facebook (du moins chez les jeunes adultes) : « une mauvaise compréhension ou une ignorance du traitement de données personnelles faite par la compagnie Facebook a souvent été observée » [12]. Le public supposé averti, ne le serait pas totalement. Doit-on par-là blâmer Facebook pour cette « ignorance » de la part des plus concernés ? Facebook fait-il preuve d’un manque de transparence ? Les utilisateurs sont-ils responsables de leur sort ? Qu’il le veuille ou non, le membre de Facebook est systématiquement confronté à des bannières publicitaires dans ses heures de détente. L’utilisateur, même lorsqu’un service lui est fourni gratuitement, reste ici dans cette place de consommateur, qu’on lui attribue avec grâce ou à cause de son approbation vague. Cet environnement de consommation, compensée par un libre échange communicationnel, est-il le signe de liberté d’expression ou de manipulation ? Retrouve-t-on ici une démocratie ou une oligarchie ?
Que l’utilisateur soit conscient ou non que ses données personnelles sont exploitées à des fins commerciales, il reste néanmoins le seul détenteur de sa vie privée. Aucune obligation de s’inscrire à Facebook n’existe. Et une fois sur Facebook, il est le seul maître des informations qu’il livre à autrui. Libre à lui de mentir sur son identité s’il est contre le traitement de ses données personnelles à des fins commerciales. Seulement, à l’heure où les médias digitaux sont parmi les outils les plus efficaces pour communiquer, il semble difficile de ne pas tomber sous le charme de Facebook, compte tenu de la richesse qui le caractérise. Mais pour se socialiser et se faire accepter des autres sur un réseau social, mieux vaut peut-être rester soi-même… Non ?
Aïcha CARDOEN et Yves COLLARD
Média Animation
Mars 2012
[1] Croteau, D., Hoynes, W. (2007). The media industry : structure, strategy and debates, Media Studies : key issues and debates, 32-55.
[3] Croteau, D., Hoynes, W
[4] Croteau, D., Hoynes, W
[5] http://newsroom.fb.com/Whats-New-Home-Page/Measuring-Facebook-s-economic-impact-in-Europe-ae.aspx
[6] http://www.lesaffaires.com/blogues/jean-francois-codere/pourquoi-facebook-vaut-100-milliards/540300
[7] Acquisti A., Gross R. (2006). Imagined communities : awareness, information sharing, and privacy on the Facebook, LNCS, 4258, pp. 36-58.
[8] Acquisti, Gross
[12] Acquisti, Gross