La télé pour enfants, une affaire flamande ?
Mega Mindy, K3, Plop, Bumba, Maya}, et beaucoup d’autres : en Belgique, les héros créés en Flandre ou sous licence flamande, destinés aux publics d’enfants et de jeunes adolescents, ont envahi les écrans du pays tout entier, sud y compris. Ils partent à l’assaut du reste du monde.
Les programmes de télé pour enfants sont, depuis plusieurs années, omniprésents dans le paysage télévisuel belge. Belge ? Trois chaînes flamandes visant les petits bouts occupent le terrain dans le Nord du pays, alimentées entre autres par un studio de production (Studio100) qui fabrique des séries pour enfants, crée des personnages de fiction ou des chanteurs, les vendent des deux côtés de la frontière linguistique, notamment via RTL-TVI, et bien au-delà, d’ailleurs. Studio100 ? Une boîte flamande dont l’histoire tient presque du conte de fées.
Le truc de Studio 100 est tout simple : créer des héros bien segmentés, les faire apparaître à l’écran, puis partout ailleurs, des cartables aux boîtes de biscuits, dans des shows ou sous la forme de poupées, de draps de plage et de vêtements. Bref, sous la forme de produits (ultra) dérivés. En Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est surtout sur Club RTL que les enfants peuvent suivre les aventures des héros que les petits Flamands connaissent déjà depuis dix ans, à raison de deux heures par jour. Pour faciliter leur passage de l’autre côté de la frontière linguistique, les décors n’ont pas été modifiés, mais Studio100 a décidé d’éviter le simple doublage et a fait appel à des auteurs et comédiens francophones.
Deux heures par jour, ce n’est encore rien si l’on compare à la Flandre, où la boîte de prod’ diffuse ses programmes sur plusieurs chaînes et dispose de sa propre télé, nommée simplement Studio100, qui diffuse en permanence programmes, séries et chansons produits par le groupe. Une vraie success-story, car en 1996, Studio100 ne comptait que cinq employés ! Un premier personnage naît, un duo plutôt : Samson & Gert, duo pas très original qui rappelle un Boule et Bill sauce mayonnaise. La boîte de production vit quelques années du succès de ce duo plutôt ringard, puis naissent Kabouter Plop, Piet Piraat, Mega Mindy, Spring, Het Huis Anubis, Bumba et K3. Parmi les cinq braves, pionniers, Gert Verhulst, « le » Gert de la version originale flamande de Samson et Gert parcourt la Flandre avec son toutou. Mais il est aussi devenu le PDG de Studio 100.
Tache d’huile
Au fur et à mesure de son développement, Studio100 s’est étendu dans toutes les directions, à la manière d’une armée conquérante : d’abord avec le trio musical K3, qui casse la baraque partout où l’on s’exprime en néerlandais, ensuite avec l’acquisition des parcs d’attractions Plopsaland (y compris à Coo, près de Liège). Aujourd’hui, deux cents employés travaillent dans la ruche audiovisuelle de Schelle, qui réalise chaque année autour de 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une croissance qui s’annonce doublée depuis que la chaîne de télé américaine Nickelodeon, filiale du groupe MTV, reçue dans 100 millions de foyers dans le monde, diffuse Huis Anubis, la série pour ado créée par Studio 100.
Ces derniers mois, la tendance de Studio100 est au rachat de séries cultes. Elle produit ainsi un dessin animé en images de synthèse de Maya l’abeille, diffusée par TF1. Dans le même genre, Studio100 propose en 2013 une version remaniée de Vic le Viking.
Des héros économiques ?
Les héros créés dans les locaux de Studio 100 sont destinés à des cibles bien spécifiques selon le sexe et les catégories d’âge. Plus encore, les programmes sont aujourd’hui devenus des produits d’appel pour un merchandising sans limites et sans complexes.
Retour en arrière. Dans les années 1960 et 1970, les dessins animés diffusés sur les chaînes d’ici étaient généralement on ne peut plus franco-francophones. Et Saturnin le petit canard, Filopat et Patafil, Kiri le clown, Nounours, Le manège enchanté ne s’aventuraient guère hors du petit écran. Pas plus d’ailleurs que quelques années plus tard, Bouba, Babar, Calimero, ChapiChapo ou encore Colargol. Le territoire du merchandising semblait l’apanage des productions US. L’arrivée des premières productions japonaises ne changea guère la donne : un personnage de dessin animé reste un personnage de dessin animé.
Des personnages adaptés
Toujours plus nombreux et à la conquête d’espace marketing inexplorés (à l’instar du salami sous licence Studio 100), les personnages de télé pour enfants prennent une place de plus en plus importante dans la vie des tout-petits. En 1986, les trois-onze ans regardaient en moyenne la télévision 53 minutes par jour. Peu après l’avènement des chaînes dédiées, comme l’américain Nickelodeon et autres thématiques, le score audimétrique chez les plus jeunes passait à plus de deux heures 30. Une voie royale pour les annonceurs publicitaires ? Non, car la plupart des chaînes pour enfants semblent avoir renoncé au prévisible pactole, si ce n’est les publicités pour les jouets, ou l’autopromotion des programmes.
Il est vrai que la pub a plutôt mauvaise presse, et doit supporter sa très mauvaise image auprès des parents. Un réel problème pour financer les chaînes pour enfants ? Pas grave, le modèle économique est ailleurs. Ainsi, en est-il pour Studio 100. Retour sur Maya l’abeille. Maya appartenait à la major allemande, EM Entertainment. Pas grave, Studio 100 achète le catalogue en 2008, empochant au passage Maya, Heidi, Vic le Viking, Lassie ou Flipper le dauphin. Redessinés en 3D, Maya, Heidi et Vic ouvrent à Studio100 les portes du marché mondial.
Des héros modèles
Outre la machine économique, qui ne serait rien sans les clients, où est est le génie ? Il est double. Et complémentaire. D’abord, l’intégration verticale des personnages, puis, leur dissémination horizontale. Les héros sont déclinés en supports vidéo et audio, en publications écrites, en produits de merchandising et de licences, en shows, puis en films, pour aboutir dans les parcs d’attraction. En plus de cela, Studio 100 a imaginé une parfaite et subtile segmentation par âge : Pour les plus deux ans, il y a Bumba, à partir de trois, les nains rondouillards de la famille Plop. Quand la différenciation sexuelle s’installe nettement, vers 4 ans pour les filles il y a les chanteuses K3, une blonde, une brune, une rousse, entrées soft dans l’univers girly. Pour les garçons, il y a Piet Piraat. Puis vers 6 ans arrive Mega Mindy, une superhéroine qui ouvre aux univers étranges et au récit de fiction, accompagnée de son amoureux Mega Toby pour les garçons. Garçons et filles se retrouvant plus tard associés dans Het huis Anubis et son ambiance boy-scout. Chaque classe d’âge a ainsi son personnage dédié, qui permet de rompre avec la catégorie précédente. Studio 100 accompagne les enfants de 12 à 12 ans.
Studio 100 déploie ainsi un effort spécifique vers les filles. Sous-exploitées dans un grand nombre de séries US, les personnages féminins font aujourd’hui l’essentiel du succès de Studio 100. Pourquoi ? Outre-Atlantique, ces héroïnes flirtent souvent avec des idéaux de beauté inatteignables façon Barbie, ce qui n’est pas le cas des personnages de Studio 100 qui ont l’air « normaux ». Mega Mindy est une fliquette sans artifice, qui, en cas de pépin, se transforme en wonderwoman sexy vêtue de rose. Les lutins de la famille Plop sont plutôt grassouillets et avinés, il en va de même pour l’équipage de Piet Piraat, et les K3 ressemblent aux grandes sœurs de leur public-cible. Autre différence avec un certain nombre de productions américaines : il y a beaucoup moins de « méchants », le histoires se veulent un miroir de celles que peuvent vivre les enfants dans un monde réel. Une observation confirmée par une étude internationale montre que, dans 23 pays étudiés, c’est en Belgique (Ketnet, La Deux, K2, VT4, VTM) qu’il y a le moins de « mauvais » dans les programmes pour enfants. La Belgique a également le plus petit nombre de dessins animés, un genre où souvent, une violence plus absurde et stylisée peut se déployer. Revers de la médaille marketing : les minorités dites ethniques y sont sous-représentées. Une seule personne de couleur Dans La Maison d’Anubis. Il en va de même pour les personnes âgées et les moins valides. Un univers proche, mais pas trop, tout de même.
Et la Wallonie-Bruxelles ?
Mais pourquoi n’y a-t-il pas un Studio100 en Wallonie ? D’abord, pour des raisons de taille. C’est mathématique : le marché flamand est plus vaste que le marché francophone, il y a donc plus d’argent publicitaire au nord par heure de programme diffusé. Le paysage audiovisuel y est aussi plus concurrentiel. Il y a trois acteurs de taille importante : deux privés et un public, la VRT.
Côté francophone, il n’y a potentiellement que deux acheteurs de programmes : RTL et la RTBF, sachant que AB3 ne produit quasiment rien en Belgique. Ajoutons à cela, le dynamisme des chaînes françaises qui captent un quart de parts de marché. C’est un écueil que la Flandre ignore, les chaînes bataves y sont peu regardées. Le marché francophone est d’autant plus étroit qu’une seule chaîne recourt massivement à la production extérieure : RTL. Les pouvoirs publics ont fait le choix de garder une importante capacité de production interne à la RTBF. Celle-ci ne recourt à des producteurs indépendants que s’il lui reste de l’argent frais, une fois qu’elle a fait travailler ses équipes et son matériel. Les commandes externes sont donc exceptionnelles. C’est une grosse différence avec la Flandre où la VRT a choisi à l’orée des années 2000 de dégraisser le volume salarial et de confier certaines missions de production à des entreprises extérieures, donnant ainsi un coup de fouet décisif à l’industrie audio-visuelle. Beaucoup de sociétés de production ont d’ailleurs été fondées par des anciens de la VRT.
Entre-temps, Studio 100 a osé créer une filiale à Paris et racheter ni plus ni moins que Flying Bark Studio aux Australiens. Pour le plaisir d’un jeu de Monopoly ? Pas du tout. La raison est de nouveau économique : il s’agit de bénéficier des fonds de subsides à la création de dessins animés en France (subsides de 25 %, crédit d’impôt à la production de 10 %) et en Australie (20 % de crédit d’impôt). Ces coups de pouce ont permis de boucler le budget des 12 millions d’euros indispensables pour réaliser les nouveaux épisodes de Maya l’abeille. Coproduite avec la ZDF et TF1, la série est un succès avant même sa diffusion, dans 120 pays. Si Maya en 3D est un concept flamand, tout le reste est réalisé dans le studio français de Studio 100. Quant à l’animation elle-même, elle est sous-traitée en Inde chez Tata, une multinationale qui fabrique de l’acier, de l’automobile… et des dessins animés ! Les voix, elles, sont enregistrées à Vancouver.
Il y a 40 ans, Maya a été réalisé dans les meilleurs studios japonais. Studio 100 va s’attaquer à Heidi, le plus gros succès planétaire de l’histoire de l’animation télévisée. Studio100, sera-t-il le prochain Walt Disney ?
Yves Collard
Média Animation
Décembre 2012