La crise climatique, une catastrophe hollywoodienne ?
Le box-office mondial est aujourd’hui dominé par les super-héros Marvel, les nouveaux Star Wars ou les versions live de dessins animés Disney. Ce cinéma reflète un imaginaire la fois globalisé et mercantile, qui épouse les tensions et l’évolution des sociétés. Les grandes questions actuelles, telles que le genre et la diversité, y sont désormais ancrées. Quant à celle du changement climatique, elle sert surtout d’argument de vente auprès d’un public inquiet, à travers la mise en scène de ses angoisses.
Né de l’invention des frères Lumière en 1895, le cinématographe offrait une expérience nouvelle : découvrir des images en mouvement. Les premiers « opérateurs » ont très vite dû surenchérir pour offrir des images toujours plus fascinantes. Populations exotiques, machines impressionnantes, tours de passe-passe à la Méliès, le répertoire visuel n’eut de cesse de s’élargir jusqu’à englober la nature, animaux sauvages et paysages époustouflants en tête. En passant de la curiosité foraine au divertissement que nous connaissons aujourd’hui, le cinéma n’a pas abandonné sa fonction d’attraction. C’est là la vocation du blockbuster, film qui propose une « explosion » pour emporter le spectateur – pour finalement collecter un maximum de revenus. Dans ce cinéma produit par les majors d’Hollywood [1], il faut donc allier scénario fédérateur et spectacle haletant. Pour traiter la question de l’environnement, de la nature ou de l’écologie dans les blockbusters, il faut comprendre en quoi ces thèmes servent le projet industriel hollywoodien. Autrement dit, comment permettent-ils de raconter une « bonne histoire » et d’alimenter un visuel spectaculaire ?
Des paradis perdus aux paysages imaginaires
Longtemps, c’est justement pour le spectacle que la nature a été introduite dans les films. Grâce à l’évolution des technologies – la couleur, les libertés des angles de vue, l’élargissement de l’image ou encore les effets spéciaux jusqu’au photoréalisme numérique contemporain –, la nature est représentée dans une escalade démonstrative. Les paysages alpins de La Roue (A. Gance, 1923), le désert en cinémascope de Lawrence d’Arabie (D. Lean, 1962), la proximité animalière de L’Ours (J.-J. Annaud, 1988) culminent en 2009 dans Avatar, par la mise en scène tridimensionnelle d’une planète luxuriante entièrement numérique. Avec cette immersion dans une nature imaginaire, James Cameron a détenu pendant 10 ans le record mondial de recettes.
Dans les films récents [2], cette veine naturaliste mise toujours plus sur la création numérique. Les remakes live action (c’est-à-dire avec des acteurs réels) des classiques de Disney l’illustrent bien. Mowgli : La Légende de la jungle (A. Serkis, 2016) ou Le Roi Lion (J. Favreau, 2019) montrent à l’écran la puissance d’attraction d’une faune et d’un paysage sublimés jusqu’à l’irréalisme. Aux côtés de ces blockbusters « zoos », la science-fiction des nouveaux Star Wars ou des Gardiens de la Galaxie mise sur des représentations quasi-oniriques de planètes fantastiques. Il ne s’agit donc plus d’atteindre par le cinéma des paysages difficilement accessibles. Les réalisateurs inventent désormais une « hyper-nature » totalement factice, quelque part entre le paradis perdu et l’anticipation.
De l’ouest sauvage aux catastrophes du futur
Mais l’environnement n’est pas qu’un ingrédient visuel ; il s’intègre aussi au cœur des scénarios. La crise écologique étant aujourd’hui une préoccupation essentielle des publics, les blockbusters ne peuvent l’ignorer. Or, pour constituer un scénario, un thème ne peut pas rester abstrait. Il doit devenir source de problèmes pour les personnages.
Historiquement, l’environnement s’est d’abord présenté aux héros de cinéma comme un obstacle. Il fallait conquérir l’ouest sauvage, résister aux conditions extrêmes des pôles ou des déserts, ou tout simplement survivre à une catastrophe naturelle. En somme, la nature se convertit en menace. Parmi les films récents, c’est ce que proposent par exemple The Revenant (A. G. Iñárritu, 2015), dans lequel Leonardo Di Caprio doit survivre à l’hiver canadien, ou San Andreas (B. Peyton, 2015), dont les protagonistes sont confrontés au plus grand tremblement de terre de l’histoire. La nature devient le prétexte d’une pure expérience sensorielle, à grands renforts d’effondrements de bâtiments et de tsunami apocalyptiques. Dans un registre plus fantastique, The Meg (J. Turteltaub, 2018), Kong : Skull Island (J. Vogt-Roberts, 2017), Godzilla : King of the Monsters (Michael Dougherty, 2019) ou Jurassic World : Fallen Kingdom (J. A. Bayona, 2018) opposent les héros à des animaux surdimensionnés, un genre qui depuis le King Kong de 1933 fait florès.
Une planète stérile comme décor inévitable
Toutefois, si ces films problématisent la relation de l’homme à la nature, ils évitent de mettre en perspective l’action humaine sur celle-ci. Cett inquiétude est apparue avec l’arme nucléaire : dès les années 1950, le spectre de la Guerre froide a inspiré plusieurs fictions dans lesquelles l’arme atomique était vectrice d’un désastre écologique irréversible – comme dans la franchise Mad Max. La destruction lente de l’environnement attendra les années 1970, à la faveur de l’émergence de l’écologie, pour devenir un ressort scénaristique. Les films se projettent alors dans humanité future privée de ressources (comme dans Soleil Vert de R. Fleischer, 1973) ou mettent en exergue une crise spécifique souvent incarnée par l’Amazonie (tel Medicine Man de J. McTiernan, 1992). Entre paradis luxuriant et enfer vert, l’Amazonie symbolise en effet, à travers la déforestation, le combat écologique par excellence. Elle offre des spectacles qui combinent exotisme, nostalgie de la nature inviolée et désastre irréparable. Le succès d’Avatar doit certainement beaucoup à l’actualisation du ressort amazonien dans la science-fiction.
Interstellar (C. Nolan, 2014) a quant à lui misé sur l’exploration spatiale comme solution à la crise environnementale, représentée par une Terre devenue stérile. Depuis ce succès, la science-fiction reproduit l’idée d’une Terre irrémédiablement polluée, sans pour autant en faire la crise centrale du scénario. Ainsi, Alita : Battle Angel (R. Rodriguez, 2019) ou Ready Player One (S. Spielberg, 2018) proposent des visions futuristes d’une humanité logée dans des villes énormes qui tiennent à la fois de la décharge et du bidonville. Mais il s’agit d’un décor, pas d’un problème. Serait-ce le signe d’une banalisation ? La crise écologique serait-elle devenue un simple arrière-plan stéréotypé de l’avenir ?
En 2019, le film Avengers : Endgame (A. et J. Russo) dépasse Avatar en approchant les 3 milliards de dollars de recettes sur l’ensemble de la planète. Le film fait suite à Avengers : Infinity War, lui-même 5e film le plus lucratif de l’histoire. Ce dyptique Disney couronne la longue liste de blockbusters dédiés aux super-héros Marvel, issus de comics publiés dès 1939. Ces derniers ont parfois cherché à répondre aux évolutions sociétales, notamment avec Black Panther (R. Coogler, 2018), dédié à la culture afro, et Captain Marvel (A. Boden, R. Fleck, 2019), consacré aux questions de genre. Si ces films épousent des thèmes contemporains comme l’usage politique du terrorisme (Iron Man, J. Favreau, 2008), la prolifération armée ou la surveillance généralisée (trilogie Captain America, 2011-2016), ils restent cependant silencieux sur les causes humaines d’une crise climatique.
Le « grand méchant » génocidaire devenu jardinier
Avengers s’articule néanmoins autour d’un personnage ambigu en la personne de Thanos, le « grand méchant ». Son plan est simple : pour assurer l’équilibre de l’univers, il faut éliminer 50 % des populations de la galaxie. Ce projet malthusien, qui affirme que la population croit trop fortement pour les ressources disponibles, donne au personnage une éthique complexe qui suscite de l’empathie à son égard. Il n’est pas cruel, il est pragmatique. Si cette ambiguïté morale n’est jamais explicitement liée à la crise climatique, on peut toutefois la deviner lorsque Thanos, célébrant avec chagrin la réussite de son plan, contemple, apaisé, une nature florissante. Le génocidaire est devenu jardinier. Le message des Avengers reste donc trouble. D’un côté, l’éthique du « vilain » critique le mythe de la croissance constante [3]. De l’autre, la solution ne peut pas venir d’un effondrement volontaire et brutal. En somme, le scénario n’épouse pas la cause climatique ni ne la résout, mais se connecte aux angoisses contemporaines qu’elle provoque et les exploite à des fins de narration. Au contraire d’Avatar, explicitement écologiste, les Avengers traduisent la contradiction entre un sentiment d’urgence environnementale, incarnée par un écoterroriste armé d’un argument difficile à contester, et la crainte d’un recul du confort matériel moderne.
Soucieuse de ne pas produire d’œuvre clivante, l’industrie hollywoodienne peine à porter explicitement les causes écologiques. À l’exception du film de super-héros Aquaman (J. Wan, 2018) qui confronte l’humanité aux créatures marines révoltées par la pollution des mers, les scénaristes semblent peu enclins à adopter des positions fortes.
Défendre les animaux, un combat à forte valeur narrative
Transversalement à toute la filmographie (et depuis Bambi en 1942), c’est dans le rapport aux animaux que s’observe l’évolution la plus nette. Le remake live action du dessin animé Disney Le Livre de la jungle tient ainsi un discours virulent contre la chasse et invite au respect absolu du vivant et de l’équilibre naturel. L’évolution de la franchise Jurassic Park manifeste également cette sensibilité. D’abord créatures destructrices à vaincre, les dinosaures produits par manipulation génétiques deviennent, dans le cinquième opus sorti en 2018, des êtres vivants à libérer. Dans le huitième opus de Star Wars, l’affirmation est encore plus claire : Chewbacca renonce à manger une créature animale beaucoup trop mignonne pour être dévorée. Selon plusieurs études, la jeunesse occidentale semble de plus en plus attirée par le végétarisme, voir le véganisme qui veut éliminer toute trace animale dans la consommation [4]. Cette sensibilité accrue à la condition animale exprime-t-elle une vision du monde antispéciste (opposée à une hiérarchie des vivants selon leur espèce), ou une critique de l’industrie agroalimentaire et de son impact environnemental ? Quoi qu’il en soit, en misant sur l’empathie pour les animaux, le cinéma saisit l’opportunité de les convertir en personnages, un tour de force narratif plus difficile à réaliser pour des enjeux climatiques complexes. C’est le chemin panthéiste qu’emprunte Avatar, dans lequel la planète Pandora s’avère « vivante ».
Le silence éloquent de l’industrie du cinéma
Comme l’illustrent de nombreux succès du box-office, la nature reste un réservoir de thèmes et d’images fertiles pour les blockbusters. Cependant, les problématiques concrètes et actuelles de la crise climatique demeurent absentes du cinéma populaire. Celui-ci se pose surtout en reflet des anxiétés que ce changement provoque. Seuls quelques récents films d’auteurs le traitent, comme First Reformed (P. Schrader, 2018) où un prêtre succombe au nihilisme face au désastre à venir, ou l’islandais Woman at War (B. Erlingsson, 2018) sur le combat d’une femme pour sauver des zones naturelles des griffes de l’industrie. Le documentaire s’en est aussi largement emparé, à l’image d’Une vérité qui dérange (D. Guggenheim, 2007), parmi les plus grands succès de salles du genre.
Mais Hollywood est avant tout un marché qui mise sur la consommation de ses produits. De ce fait, il s’intègre aux mécanismes économiques qui sont au cœur de la crise environnementale. Faut-il dès lors s’étonner que cette industrie ait du mal à traduire cette crise globale en drame fédérateur ?
Daniel Bonvoisin
Cet article est paru dans la revue Lecture Jeune, n°172, décembre 2019 : Les ados, tous écolos ?, www.lecturejeunesse.org/livre/ados-ecolos-172/
illustration de l’article : Avengers : Infinity War : le paysage que contemple le méchant écoterroriste Thanos lorsqu’il pense avoir réaliser son plan mathusien.
[1] Les six compagnies les plus riches qui constituent les majors d’Hollywood sont Warner Bros. Pictures, Walt Disney Pictures, Universal Pictures, Columbia Pictures, 20th Century Fox et Paramount Pictures.
[2] Les films évoqués dans cette analyse sont sélectionnés parmi le top 20 du box-office mondial de ces cinq dernières années : www.boxofficemojo.com
[3] Ce qui a suscité des réactions courroucées de mouvements néolibéraux, cf. : T. Hains, « Thanos, like Malthus, is wrong about population control », Foundation for Economic Education, 2018, urlz.fr/bbn7.
[4] G. Tavoularis, É. Sauvage, « Les nouvelles générations transforment la consommation de viande », CREDOC, 2018, urlz.fr/8SBi ; M. Pellman Rowland, « Millennials are driving the worldwide shift away from meat », Forbes, 2018, urlz.fr/bbnd.