Présentation d’une dynamique engageante pour les jeunes et leurs accompagnateurs

L’éducation aux médias : sur le principe d’accord ! Mais concrètement ?

« Que puis-je faire concrètement avec les jeunes pour améliorer leur esprit critique et/ou leur expression médiatique ? » Voilà une question complexe que l’accompagnateur jeunesse s’est probablement déjà posée ! Et pour le coup, pas toujours évident de s’y retrouver ! En effet, quels repères avoir face à ce gigantesque chantier qu’est l’éducation des jeunes face à leur environnement médiatique ? Faut-il leur présenter une liste de médias d’actualités jugés « fiables » ? Faut-il leur parler de l’échelle des plans au cinéma ? Faut-il leur proposer un atelier de sensibilisation sur le cyber-harcèlement ? Les entrées sont tellement variées que l’on pourrait s’y perdre rapidement. Ces quelques lignes proposent de remettre un peu de sens dans la démarche.

Dans un premier temps le texte propose d’identifier la méthode d’éducation aux médias la plus souvent pratiquée avec les jeunes et d’en saisir les plus-values. Par la suite, le texte s’intéresse aux accompagnateurs jeunesse à travers un angle : quels outils de terrain et réflexions ce public peut-il dégager d’une formation en éducation aux médias ?

Le must  : engager son public dans une démarche de production

On se demande souvent comment impliquer son public dans une démarche active et constructive d’éducation aux médias. Si cette question est à évaluer à travers les différents contextes, force est de constater que c’est à travers la production que l’on arrive à impliquer le plus son public. En produisant, les jeunes apprennent à construire (et à déconstruire) les médias, leurs langages (musique, mise en page, image…) et prennent un premier recul critique. En effet, dans cette dynamique, les jeunes apprennent à déconstruire « l’illusion de transparence » des médias. Car un public peu critique n’a pas forcément en tête que les médias ne sont qu’une pure construction et n’existent pas à « l’état naturel ». C’est sur cette illusion de transparence que s’effectue le travail, car si les médias sont des objets construits, ils peuvent être déconstruits puis manipulés.

Dans cette perspective, beaucoup d’ateliers mettent en place un processus de création et travaillent des objectifs d’éducation aux médias : création d’une radio de quartier (travail sur l’interview, l’information, la publicité, la prise de son, le montage…), création d’un récit photographique (la construction de l’image, leur interprétation, le rapport à la réalité, la narration…), préparation et enregistrement de vidéos témoignages à propos de leurs usages - par exemple des jeux vidéo - (réflexion sur ce que le public fait avec les médias, leur perception, celle des autres,…), etc.

Le rôle de l’accompagnateur jeunesse est d’encadrer la démarche de production et garantir la réflexion critique à chaque étape de réalisation. Ces activités, qu’elles soient menées par des opérateurs spécialisés (Action Médias Jeunes [1] par exemple), par des professionnels de l’information/communication (l’Association des Journalistes Professionnels [2], Lapresse.be…) ou par des associations plus locales (AMO, maisons de jeunes…) favorisent les créations en misant davantage sur le processus éducatif que sur le produit fini.

En plus de susciter le recul critique sur les médias, ces activités permettent également de travailler l’expression des jeunes. Pour le dire autrement : l’éducation aux médias est souvent un moyen efficace de donner/libérer la parole. En créant un objet médiatique original (qui peut être le reflet du groupe ou de l’individu) et en se positionnant comme individu par rapport aux messages véhiculés (émotions, stéréotypes), les jeunes se rendent capables d’exprimer ce qu’ils comprennent des médias. Car travailler la production, c’est une façon de s’approprier des outils d’expression, ce qui rencontre souvent des objectifs repris dans beaucoup d’associations.

L’identification des activités d’éducation aux médias qui mobilisent les jeunes est donc un axe important pour identifier la concrétisation d’une démarche. Mais de manière complémentaire, il reste essentiel de se poser la question du sens éducatif mis dans le processus. A ce stade intervient l’enjeu de formation pour l’accompagnateur qui cherche à prendre du recul sur ses propres pratiques et à s’approprier pleinement les méthodes et la philosophie de l’éducation aux médias pour ne pas « juste » (avec des guillemets car la réalisation technique, c’est déjà tout un travail !) appliquer des méthodes de réalisation.

Se former à l’éducation aux médias : une opportunité plus que des réponses à des problèmes

Est-il utile qu’un accompagnateur jeunesse se forme à l’éducation aux médias ? Ne suffirait-il pas de suivre à la lettre quelques ressources pédagogiques déjà existantes ? Tout dépend du sens qu’il met dans sa démarche : à partir d’une activité étiquetée « éducation aux médias », arrive-t-il à formuler des objectifs clairs ? A t-il le recul nécessaire pour expliciter le pourquoi de sa démarche et les enjeux qui y sont liés ? Il ressort qu’à travers notre [3] expérience de formation d’intervenants en éducation aux médias ces questions sont complexes et leurs réponses loin d’être naturelles.

La formation permet de s’approprier différentes approches (ainsi que leurs méthodes, leurs objectifs…) qui ont pour mission de former des CRACS. Concrètement, l’éducation aux médias apparait dans des projets de différentes natures :

  • Travail sur le langage des médias : par exemple à travers la production d’une vidéo : le groupe manipule la musique, le cadrage, la technologie, le point de vue, le commentaire et travaille sur la manière dont le média crée du sens.
  • Travail sur la réception des messages médiatiques : comment est-ce que les jeunes reçoivent les médias ? Quelles émotions les médias suscitent-ils chez eux ? Comment est-ce que le public comprend le message ? etc.
  • Travailler sur les usages des médias par les jeunes : sans jugement sur les usages, l’activité propose de s’intéresser à ce que les jeunes font sur les réseaux sociaux, qu’est-ce qu’ils partagent ? Comment est-ce qu’ils se mettent en scène ? Etc.
  • Travail sur les médias d’information : Le groupe travaille autour de différentes questions : est-ce que les médias disent la vérité ? C’est quoi une rumeur ? Pourquoi est-ce que les médias d’information parlent toujours des mêmes choses ? C’est quoi un journaliste ? Etc.
  • L’apprentissage technique et critique : Dans ce cas, le groupe est amené vers des éléments plus techniques mais qui restent nécessaires à maîtriser : comment rechercher de l’information sur Internet ? Comment sont filtrées les données ? etc.

Mais au-delà de ces thématiques les plus souvent sollicités, ce qui paraît capital dans une démarche de formation, c’est l’approche philosophique que l’on a des médias. En effet, il ne faut pas systématiquement envisager les médias comme des problèmes qui ne mènent que vers des situations regrettables (cyber-harcèlement, sexting, « addiction » aux jeux vidéo, sentiment de mensonge généralisé dans les médias d’information…). Même si ces situations existent et posent question, l’idée de la formation est surtout de considérer les médias comme des tremplins éducatifs à aborder dans une philosophie d’ouverture et du dialogue avec les jeunes.

«  Être éducateur aux médias : c’est être un expert en communication, journalisme, cinéma, Internet…  » : Le rôle de l’éducateur aux médias

Il s’agit d’un constat qui revient très souvent en formation, des participants disent : « je ne me sens pas légitime/capable de mener des activités d’éducation aux médias avec les jeunes car je ne sais pas répondre à toutes leurs questions. Par ailleurs, sur les médias, les jeunes s’y connaissent mieux que moi ». Là aussi, il est nécessaire de recadrer les choses : la formation n’a pas pour objectif de former des accompagnateurs omniscients, capables d’intervenir sur tous les sujets et questions qui touchent de près ou de loin aux médias. L’objectif est de former les accompagnateurs à formuler, opérationnaliser et évaluer des activités ponctuelles de déconstruction et/ou de production (cf. plus haut dans le texte) qui concernent les médias. Dans ce cadre, c’est l’accompagnateur qui reste maître des objectifs et méthodes qu’il active pour déconstruire, produire et mettre en débat les médias ou les usages des jeunes. De ce point de vue, il est fort probable que l’intervenant devra cibler un sujet, une question à traiter, un angle, une méthode et qu’il ne saura pas tout faire. Par ailleurs, il vaut mieux limiter l’objet et la méthode d’une animation/projet et les maîtriser en étant au clair sur ce que l’on fait.

Comprendre la culture médiatique des jeunes pour ouvrir le dialogue

La préparation pédagogique d’une animation par l’accompagnateur est essentielle et gagnera à être connectée avec la « culture médiatique » de son public. Le travers serait de proposer une activité d’éducation aux médias déconnectée des usages et focalisée sur des exemples et des modèles hâtivement jugés représentatifs de l’environnement médiatique, au risque de passer à côté des pratiques existantes qu’il s’agit justement d’accompagner. Il est préférable de partir du quotidien médiatique réel des jeunes, ce qui consiste déjà à ouvrir le dialogue et comprendre leur « monde » : quels médias utilisent-ils pour : communiquer, s’informer, se divertir… ? Cette enquête préalable est essentielle car le projet d’éducation aux médias n’a pas pour vocation d’être prescripteur. Il ne s’agit pas de dire quoi lire, voir ou faire ou quelle plateforme utiliser mais d’accompagner et d’encourager une perspective critique sur ces usages ordinaires pour mieux les situer dans leurs enjeux sociaux.

Martin Culot

[1ACMJ est une Organisation de Jeunesse qui a pour mission de susciter une attitude réflexive et critique des jeunes face aux médias (http://www.actionmediasjeunes.be/).

[2L’AJP intervient dans divers contextes éducatifs sur l’éducation aux médias. Notamment à travers son opération Journalistes en Classe (http://www.ajp.be/jec/).

[3Média Animation forme chaque année des accompagnateurs jeunesse sur un processus de 10 mois à travers le programme MediaCoach. Ce programme a pour objectif d’outiller sur des questions d’éducation aux médias afin d’en favoriser le déploiement en Communauté française. Le processus se termine par l’expérimentation d’un projet personnel sur son terrain d’intervention (plus d’info : www.media-coach.be).

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