Des médias pour la cohésion sociale et la participation dans les quartiers
Promouvoir la cohésion sociale et le dialogue interculturel dans certains quartiers que l’on considère comme plus défavorisés grâce aux médias sociaux. Cela fonctionne-t-il ? Est-ce que ça aide à changer l’image négative parfois donnée à ces rues et à ses habitants via les médias ? L’e-citoyenneté semble percer timidement dans notre démocratie au 21è siècle. Quelques éléments de réflexion.
« Les quartiers à problèmes sont des quartiers sans histoires ». Ils se construisent autour de leurs habitants qui eux, par contre, on une histoire. Mais ils ne souhaitent pas toujours la partager ni la mettre en communauté, en lien, avec la micro société dans laquelle ils vivent au quotidien.
Qu’est-ce qui nous fait réagir face à l’inconnu ? Un besoin, un accident ou une urgence la plupart du temps. Cela nous oblige à aller vers l’autre, parfois pour une question de survie. Ne pourrait-on pas trouver des moyens moins « catastrophiques » et plus civilisés qui permettraient aux habitants d’un quartier de se rencontrer et de mener des actions citoyennes ensemble ? Il semble que cela existe en Belgique, mais de manière marginale encore, nous le verrons plus loin.
Comment, donc, passer de la peur à la solidarité des quartiers qualifiés de défavorisés ? Il est intéressant de chercher ici ce qui rassemble les habitants et ce qui leur donne envie de faire connaître leur vie de quartier. De voir aussi comment les médias sociaux peuvent contribuer à cette cohésion.
« Nouveaux médias » et citoyenneté
Depuis l’an 2000 environ, le consommateur de médias fait place à l’explorateur actif qui devient un citoyen interactif. En effet, sur Internet, il navigue, il écrit des messages et des dispositifs et il organise les médias (en les collectionnant, en les ré-agençant, en les diffusant). Ces compétences médiatiques [1] sont aujourd’hui lire et écrire, mais également naviguer et organiser. Ce qui était moins le cas avec les médias « classiques » qui se focalisait plus sur des thèmes ou des publics de niches. A la croisée de ces compétences, le média peut être considéré comme porteur d’information, comme potentialité technique (machine), ou comme vecteur de relations sociales. Les nouveaux médias sont essentiellement présents à la croisée des compétences d’écriture, de navigation et d’organisation et des fonctions techniques et sociales. Ils peuvent être donc décrits comme collaboratifs, croisés, etc. et constituent la plupart du temps un évènement, ils font histoire. Ils donnent également à contempler (ils deviennent une exposition ou un site web) et enfin, ils sont interactifs.
Parviennent-ils à pousser les gens en dehors de leur bulle sociale et culturelle ? Non, nous avons remarqué à maintes reprises que les médias sociaux ne produisent pas automatiquement du lien social.
Vers une autre (e)-démocratie
En 2011, la Région wallonne a commandité une étude sur les médias numériques et les outils potentiels qu’ils représentent pour privilégier une participation citoyenne augmentée à la Fondation Travail-Université [2]. L’intention de cette étude était de décrire et analyser les initiatives s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour développer et promouvoir une participation citoyenne [3] et démocratique [4] en Belgique francophone. Le premier enjeu de cette étude est le web 2.0 lui-même. En effet, il offre de nouvelles formes d’expression, nous l’avons vu plus haut. Mais les utilisateurs ne se rendent pas toujours compte qu’ils s’y expriment en public, sans pour autant proposer une « expression publique ». Ils y sont souvent moins neutres et leur subjectivité s’y libère plus facilement. Les frontières entre l’espace public et l’espace privé sont donc souvent brouillées. Le second enjeu est politique et s’exemplifie par la facilité de débat et de critique que le web 2.0 offre à tout citoyen. Cela transforme considérablement les rapports entre pouvoirs publiques et citoyens. Le troisième enjeu est social. Le web 2.0 permettrait un renouvellement des types de convivialités au sein des quartiers et de sa dynamique.
Cette étude définit l’e-démocratie comme un usage des TICs pour renforcer la consultation, voire la participation des citoyens aux débats publics (politiques) à tous les niveaux. L’e-citoyenneté est quant à elle un usage des TICs pour renforcer la participation des citoyens à la vie sociale en général. Les outils du Web 2.0 peuvent offrir des potentialités énormes en rendant possibles et visibles des paroles et des actes à des personnes qui en seraient généralement privées. Mais on ne peut présupposer que tous les citoyens sont égaux face à ces nouvelles technologies car il existe bel et bien des inégalités derrière cet horizon démocratique. En effet, seul les « actifs », les « agissants » sont promus et on survalorise alors leur responsabilité individuelle. Les « silencieux », les « passifs » seront exclus de ces nouveaux espaces d’expression. Ce processus d’individualisme ne semble pas correspondre à l’idéal démocratique de l’usage du numérique. De plus, on n’improvise pas l’émancipation et la cohésion sociale grâce aux nouvelles technologies. A l’heure du « tout participatif » cela demande trois niveaux de participation : informer/diffuser, consulter/débattre et surtout co-construire le processus participatif.
La vingtaine d’initiatives qui ont été analysées dans ce projet sont, pour la plupart, récentes et essentiellement à l’initiative des acteurs associatifs locaux dans le cadre d’un travail d’éducation permanente. Leurs objectifs sont de renforcer les liens sociaux en revalorisant l’image d’un quartier, de ses jeunes, ses habitants, ses initiatives locales. Les médias numériques sont surtout utilisés comme un relais des initiatives citoyennes ou de l’expression des minorités ou de la vie sociale et culturelle locale. Ils sont également présentés comme de nouveaux modèles de production d’une information participative.
Ces initiatives, bien que marginales, reflète la manière dont les acteurs sociaux, culturels, médiatiques et politiques d’un quartier peuvent utiliser les nouvelles technologies comme un support à la citoyenneté active via des démarches d’ « autonomisation » des citoyens, notamment ceux éloignés du numérique, pour leur donner les moyens de s’exprimer dans l’espace public.
Ville virtuelle et ville réelle
Les médias sociaux ne se suffisent pas à eux-mêmes pour améliorer la cohésion sociale de certains quartiers. Quels sont les ingrédients qui manquent à un projet avec cette ambition ?
Tout d’abord, une synergie entre le social, le culturel et les médias. Et la nécessité de faire collaborer les organisations de quartier afin de travailler sur ce qui existe déjà à partir des représentations des habitants. Se rendre compte des réalités de vie des gens du quartier et les solliciter. Est-il possible de traduire le contexte social en besoin social ? Comment faire le lien entre les problèmes du quartier, les opportunités des médias et les relations entre les médias et les personnes du quartier ? Que se soit par la parole (interviews, radios communautaires), l’image (web TV, reportage diffusée sur une télévision locale) ou le multimédia, le quartier « virtuel » qui est rendu à travers ces dispositifs médiatiques entraîne une nouvelle vision des choses, des personnes et du mode de fonctionnement qui les régit. Faire média, c’est relier et distinguer. Vivre ensemble dans un quartier également. Dans cette dynamique, un projet médiatique peut aider les protagonistes à traiter d’événements d’origines anthropologiques variées (avec une curiosité respectueuse) à aborder les sujets de manières décentrées et à favoriser le témoignage. La relation sociale qui s’installe entre les partenaires du projet est dès lors orientée vers une coproduction des contenus et une fréquentation de la part des journalistes (professionnels ou habitants du quartier formé à cette fonction) des communautés culturelles et générationnelles spécifiques pour y observer comment leurs propres médias seront perçus et interprétés. Ils vont penser le média de manière critique et sortir de leurs « étiquettes » de jeune, vieux, nouveau, ancien, voyou, mère, chômeur, etc.
La ville « virtuelle » sera alors investie et contemplée par ses habitants parce qu’ils l’auront fabriquée, qu’ils s’y seront investis. Pourquoi ? Parce qu’ils n’osent pas toucher à la ville réelle. Le paysage médiatique n’appartient à personne, au contraire de la ville. Une ville qui se construite dans ce paysage médiatique, leur semble accessible, tant d’un point de vue technique, qu’informationnel ou de co-construction du lien social. En aboutissant à plus de connexion, de relation et d’expression, que se soit dans la rue ou sur la toile, il est alors intéressant de co-construire, avec ses habitants, le discours public qu’ils souhaitent adresser aux politiques.
Catherine Geeroms
Média Animation
Décembre 2012
[1] Nous faisons ici référence au modèle de compétences en litteracie médiatique.
P. Fastrez, T. De Smedt, « Quelles compétences le concept de litteracie médiatique englobe-t-il ? Une proposition de définition matricielle », in Recherches en Communication n° 33, p. 35-52, LLN, 2010.
[2] Périne Brotcorne, « Les outils numériques au service d’une participation citoyenne et démocratique augmentée ? », Rapport pour Technofuturtic à la demande du Gouvernement wallon, Gosselies, mars 2012 (82pp.).
[3] Participation citoyenne : concerne plus largement l’implication des citoyens dans une action collective d’intérêt général, améliorant la « cohésion sociale/vivre ensemble » entre les citoyens eux-mêmes et entre eux et les acteurs locaux au sein d’un territoire.
[4] Participation démocratique : concerne l’implication des citoyens dans les actions/débats publics, notamment à travers les outils de la démocratie participative.