Cyberharcèlement : nouveau marronnier de la rentrée scolaire ?

Tous les ans, c’est la même question qui tombe en réunion de rédaction : comment traiter de manière originale ces faits récurrents à l’agenda social : rentrée des classes, Saint-Nicolas, Saint-Valentin... ? Il s’agit ici de la rentrée des classes, et cette année le sujet a été fortement traité sous l’angle du cyberharcèlement. Un angle porteur à l’heure des usages massifs des réseaux sociaux par les jeunes… de quoi créer une bonne accroche pour le public. Alors comment ce sujet a-t-il été traité par la chaine privée RTL-TVI ?

Dans son approche, RTL rappelle qu’il est toujours plus pertinent de s’intéresser aux mécanismes du savoir vivre collectif et la gestion de conflit plutôt que la remise en cause frontale des récents outils de communication comme les réseaux sociaux.

Pas un média, de presse écrite mais aussi de radio ou de télé [1] , ne peut se permettre de passer sous silence l’ouverture de l’année scolaire... mais tous cherchent à traiter du sujet de façon originale. C’est ce que l’on appelle en jargon médiatique : un marronnier. Ce sujet qui se reproduit à date fixe et qui semble incontournable comme entre autres, la Saint Nicolas, les fêtes de fin d’années, les départs en vacances...

Mais le traitement peut varier d’un support à l’autre. Il y a les classiques reportages qui abordent le sujet quelques jours à l’avance, quand un enseignant prépare son local et ses effets scolaires. Il y a l’évocation du coût de la rentrée en regard du montant des allocations de rentrée qui sont souvent sujettes à réajustement... vers le haut ou vers le bas. On évoque aussi souvent les conséquences de choix politiques (en Belgique, la question de la mixité scolaire en lien avec le décret "inscription" occupe le devant de la scène depuis plus de deux ans). Certaines modifications dans les choix pédagogiques justifient parfois que l’on informe le grand public de leurs conséquences concrètes : création ou suppression de filières ou d’options, investissements dans les nouvelles technologies (depuis deux ans, tableaux interactifs et tablettes se taillent la part du lion). Les éternelles questions qui associent vie scolaire et santé sont aussi au rendez-vous de la fin août : consommation alimentaire dans les cantines et à l’heure de la récréation, poids des cartables portés à bout de bras, aux épaules, quand le choix n’est pas plutôt de le tirer en mode "trolley"... . Enfin, le jour même de la rentrée, il est de bon ton qu’une équipe de reportage suive un enfant entrant pour la première fois à l’école (avec les deux déclinaisons possibles : Jean-qui-rit et Jean qui pleure), que l’on interviewe les parents et parfois aussi l’enseignant.

Sans oublier les rentrées d’exceptions : la famille royale est, elle aussi chaque année, sur le chemin de l’école. Le traitement est diversifié... jusqu’à prendre aussi la forme du non événement : dans tel village, il n’y aura plus de rentrée, l’école ferme du fait d’un nombre insuffisant d’élèves ou encore : dans telle famille, les enfants n’ont pas attendu septembre pour reprendre leurs livres et cahier. En effet, le choix familial est de ne plus suivre le cursus classique. Ce sont les parents qui enseignent à domicile, les enfants présentant leurs examens face à un jury d’homologation. Et puis, comme c’est le cas en Belgique cette année, si la Ministre de l’enseignement fait, elle aussi, sa "première rentrée"... on lui collera une équipe de journalistes !

Harcèlement : angle (d’attaque)

Ici, l’angle d’attaque est celui de la vie de groupe. On l’a tous vécu d’une manière ou d’une autre, la composition d’une classe est un élément décisif du bien-être de l’enfant et constitue donc sans doute aussi un facteur intervenant dans la réussite scolaire. Si l’on choisit son école (dans les limites du décret que l’on sait), on ne choisit pas nécessairement les compagnons de classe et, le tirage au sort se faisant, on peut rencontrer sur sa route des partenaires qui auront un impact décisif sur notre parcours.

Le harcèlement entre enfants a toujours existé. Rappelons-nous le truculent roman de Louis Pergaud, La guerre des boutons, portée à l’écran par Yves Robert. La dispute buissonnière figure parmi les interactions normales lors desquelles chacun apprend à se confronter à l’altérité. Il s’agit là d’une saine confrontation qui aide à construire sa personnalité tout en offrant du grain à moudre pour l’éducation au respect, à la citoyenneté et au civisme. Mais quand la confrontation à l’altérité prend la tournure d’un harcèlement (Julien Modave, le journaliste cite à titre d’exemples : brûlures, insultes, menaces de mort), on sait que des limites sont dépassées, que les conséquences sont dommageables et qu’une prise en compte doit recadrer le comportement sous peine de causer du tort et partant, de l’injustice.

Le sujet constitue donc une accroche grand public. Et RTL-TVi a choisi de le traiter en faisant appel au témoignage des téléspectateurs qui ont répondu nombreux. Et en invitant deux experts en plateau : un psychopédagogue et un formateur spécialisé dans la gestion de conflits.

D’entrée de jeu, la dynamique du harcèlement est bien expliquée : Il y a trois acteurs dans ce regrettable scénario : le bourreau et sa victime. Certes. Mais aussi un troisième pilier que l’on oublie trop souvent : les spectateurs, ceux-là qui créent la situation de harcèlement spectatorisé qui, sans eux, serait plus simplement de la maltraitance entre pairs. C’est leur présence complice qui, finalement, authentifie le caractère spectaculaire de l’agression qui, si elle est répétitive, correspond à ce que l’on nomme "harcèlement". Outre la posture classique de dominé que l’on retrouve chez la victime, il faut prendre en compte chez lui ce sentiment d’impuissance qui le tétanise quand d’autres enfants confrontés à la même agression manifesteraient une opposition de bon aloi. C’est un système d’exposition à la vindicte d’un groupe avec, chez la victime, le sentiment d’être isolé et impuissant. Une impuissance qui semble être aussi partagée par le monde extérieur, les parents et parfois les enseignants auprès de qui pourtant les acteurs devraient pouvoir obtenir l’aide nécessaire pour arrêter le processus en cours.

Les techno dans la mêlée…

Une fois ce processus décrit, le journaliste envisage de parler des solutions... Son entrée en matière est pourtant grave : Partant du témoignage de Jason, il commence par dire ; "On a tous connu cela (le fait d’être victime de harcèlement)." Il demande toutefois aux experts si cette situation est exceptionnelle ou non, aujourd’hui ? La réponse ouvre la porte à notre réflexion sur les technologies. La publication en ligne (et notamment dans les réseaux sociaux) des propos et des attitudes de harcèlement va amplifier la composante spectatorielle dont on parlait plus haut. Une publicité qui porte atteinte plus que d’autres monstrations en présentiel, à l’identité de la personne agressée.

Le problème fondamental du harcèlement et les pistes de sa prise en charge salutaire ne sont pas d’abord à chercher dans le fait technologique. Comme si le problème se manifestant dans un espace virtuel, il n’était visible qu’aux seuls spécialistes branchés au bon moment sur le bon réseau où s’exerce les malversations. Et pas non plus en cherchant des solutions de type techniques (Logiciels ou compétences techno-managériales au sein des réseaux). Les compétences évoquées par les deux spécialistes sur le plateau de télévision touchent d’abord à l’identification des faits dans la vie de la classe. Le résultat d’une vigilance exercée et d’une sensibilisation à toute une série de signes révélateurs d’une difficulté relationnelle entre les élèves. Une véritable sensibilité à déceler cette « Invisible visibilité du phénomène de harcèlement » [2].
Savoir vivre collectif
Cela n’a rien à voir d’abord avec Internet, Facebook et de quelconques compétences technologiques à mettre en place. C’est d’abord une question de savoir vivre collectif et de gestion de conflits au sein de la vie de groupe. Et ce n’est en rien une exception, mais bien plutôt un des poncifs de l’éducation de l’adolescent : un étudiant sur cinq serait concerné, toutes catégories sociales confondues. On pourrait le dire, un peu comme l’usage des substances illicites, il n’y a pas lieu de dire de façon effarouchée : "Cela n’existe pas chez nous !" Sans doute faut-il modestement mais réalistement reconnaître que cela fait partie des processus de développement de la personnalité de l’ado d’aujourd’hui que l’éducation à la charge de canaliser vers un mieux vivre ensemble et l’acquisition progressive d’une morale comportementale plus respectueuse d’autrui.

Si le détour par la référence au personnage du "Docteur House" (de la série télévisée bien connue) est intéressant pour décrire le manque d’empathie généralisé aujourd’hui plus qu’il n’y a une ou deux générations ; on aurait toutefois aimé que l’expert en réfère alors à une stratégie. Celle qu’en Éducation aux Médias, on nomme " le jeu des trois figures " mis en place par le psychiatre français, spécialiste des écrans : Serge Tisseron. Car après avoir bien insisté sur les trois piliers d’une scène de harcèlement (bourreau, victime et spectateur), il était aisé de dire combien le jeu de rôle, qui donne à interpréter chacune des postures pour en ressentir les effets sur soi et sur les autres, est une excellente méthode pédagogique de gestion du conflit. Un jeu qui part aussi du principe pas du tout évoqué par notre journaliste et ses invités que « si nous avons tous un jour où l’autre vécu ce genre de situation »... ce n’est pas nécessairement seulement comme victime ou spectateur, mais aussi parfois comme bourreau.

L’intérêt du jeu des trois figures est de donner à ressentir alternativement les effets/affects des TROIS rôles, de sorte que l’on comprenne pourquoi le harcèlement est une confrontation excessive et dommageable dans l’expérience de l’altérité. C’est de cette façon aussi que la victime retrouve, le temps du jeu de rôle, une posture où il peut passer à l’offensive pour tenter ensuite de mettre en place un comportement plus défensif et porteur de l’estime de soi retrouvée.

L’Éducation aux Médias peut aussi trouver place dans cette stratégie de renégociation des conflits, en mettant en mots et en images le vécu de ces situations conflictuelles. Des blogs, des pages de réseaux sociaux peuvent être dédiées à la réflexion et aux stratégies de gestion de conflits. Elles ont l’avantage d’être des espaces distants mais pourtant bien réels où finalement, on peut aussi apprendre à garder de la distance pour construire le respect de l’autre dans le respect de son identité numérique.

Michel BERHIN

Média Animation

Octobre 2013

[1Sur la chaîne privée RTL-TVI : http://www.rtl.be/videos/video/455674.aspx?CategoryID=1832.
Ce sujet est sûrement porteur puisqu’à côté de la télé privée, la RTBF - chaîne de service public - a consacré, elle aussi, une partie de son magazine de rentrée à ce sujet : http://www.rtbf.be/video/detail_questions-a-la-une?id=1850448 . Avec là aussi, un appel à témoignage auquel 125 personnes ont répondu en se disant prêtes à figurer à visage découvert. Une émission qui a sollicité l’expertise du même psychologue et chercheur, Bruno Humbeek, spécialiste du harcèlement.

Ceci peut aussi vous intéresser...

Médias et participation citoyenne

Peu de recherches ou d’études analysent aujourd’hui cette question de la participation citoyenne et des médias. Pour notre réflexion, abordons quatre axes : 1. la question (…)

Médias participatifs et citoyens

Agoravox, Rue89, Oh My News, … (pour citer les plus connus) sont-ils les médias de demain ? Ou ne sont-ils que l’expression d’une mode encouragée par les NTIC ? Avec Internet (…)