Comment encourager la diversité dans les médias ? Rencontre avec Safia Kessas de la RTBF

Que cela soit dans son travail de journaliste, de chroniqueuse, de réalisatrice ou de productrice, l’engagement de Safia Kessas contre les discriminations reflète sa détermination à insuffler plus de diversité dans les médias. Mais qu’entend-on par-là exactement ? La responsable Diversité et Égalité à la RTBF nous explique avec nuance ce que recouvrent ces notions et comment elle travaille chaque jour pour une meilleure représentation des minorités au sein d’un service public.

La notion de « diversité dans les médias » recouvre plusieurs choses : il s’agit d’assurer la visibilité d’individus dont le genre, l’orientation sexuelle, la couleur de peau, l’origine, l’âge, l’apparence physique ou la condition mentale seraient peu représentés. Comme le souligne Safia Kessas, la diversité est un mot valise qui recoupe énormément de choses et qui peut être comprise de manière très différente par les uns et les autres. « La diversité, pour certains, sera celle de l’opinion, pour d’autre celle de l’âge, pour d’autres encore celle des origines … Chacun peut y voir ce qu’il en a envie. Mais le plus important c’est d’être conscient que l’image que l’on renvoie au monde de par notre travail ne doit pas nécessairement être la nôtre ». Il s’agit donc également de s’intéresser à la personne qui s’exprime à travers la caméra, le micro, le texte… ou à celle qui produit, édite, sélectionne le contenu, afin de pouvoir identifier pleinement sa grille de lecture puisque que nous sommes tous porteurs d’un point de vue, dont on hérite en partie et que l’on continue à forger tout au long de la vie. Et si notre vision du monde est largement façonnée par nos contacts avec les autres, elle l’est aussi par les médias.

Si nous devions nous fier au portrait que les médias dressent de notre société, notre pays ne compterait que 37% de femmes, or elles sont mêmes plus nombreuses que les hommes (5 592 089 hommes pour 5 766 863 femmes). Minorité ? Seulement à la télé.

En ce qui concerne la couleur de peau, il n’existe pas de chiffres précis concernant la présence de journalistes racisés au sein des rédactions francophones belges, cependant deux documents peuvent nous aider à nous faire une idée de la situation - tous deux datant de 2013 et faisant suite à un plan portant sur la diversité et l’égalité dans le paysage médiatique en FWB. Dans le document « La diversité au sein de la profession de journaliste », l’AJP constatait « un très faible pourcentage de personnes de nationalité autre que belge » au sein des rédactions francophones (6% et aucune personne non-européenne). Tous enfants d’immigrés ? Peut-être pas, puisque seulement 7 journalistes sur 750, soit 1.1% des sondés, étaient nés de parents non-européens. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel quant à lui publiait un baromètre concernant notamment la présence de personnes racisées dans le paysage télévisuel francophone en Belgique. Au sein des programmes dits « informatifs », on constatait que « 84,19% des intervenants relevaient du marqueur de perception vu comme "blanc" » pour 15,81% du côté des « non blancs ».

Pour que les médias représentent de manière plus réaliste notre société, des outils sont mis en place, tel que Expertalia conçu par l’AJP. Se définissant comme « un répertoire diversifié de sources d’expertise à destination des journalistes », cette base de donnée peut en effet être utile lorsqu’il s’agit d’injecter un petit peu de diversité dans des panels d’experts répondant souvent à la caricature de l’homme blanc cisgenre et hétérosexuel, issu des classes sociales supérieures.

Cela rejoint en un sens le travail de Safia Kessas en tant « Responsable diversité et égalité » à la RTBF : un apport d’expertise, de contacts et à certain moment, d’une vision. Mais comme elle le nuance : « la diversité et l’égalité ne sont pas des valeurs synthétisées en une vision commune que chaque membre de l’entreprise porte. Je ne suis pas toute seule à décider si l’on fait appel à tel intervenante ou tel intervenant. C’est quelque chose qui se décide dans une sorte d’intelligence collective où tout le monde est censé comprendre que ça a une importance et un intérêt de se mettre au diapason de la diversité. » Si l’on envisage la RTBF dans sa réalité entrepreneuriale, la diversité est en effet un puissant outil. Devant l’injonction à être toujours plus innovant, avoir du personnel de genres, d’âge, de classes sociales et de cultures différentes permet d’obtenir une diversité des points de vue qui favorise une vision à 360° qui peut être sur le long terme un gage de pérennité 1.

Le sujet de la diversité se retrouve souvent happé par les débats autour de la discrimination positive et des quotas. A ce propos, Safia Kessas est claire : « nous avons une charte où nous nous engageons à promouvoir la diversité mais ce n’est pas dans notre mentalité à la RTBF d’obliger les gens ». Néanmoins, elle se réjouit des avancées actuelles : « Il y a un esprit qui se développe autour de la diversité et qui touche un peu à tout. Particulièrement sur le recrutement où il y a une vraie sensibilité, une vraie ouverture sur ces questions. […] En pratique, à la RTBF, des baromètres ont été mis en place pour prendre la température et savoir quelle place la diversité occupe dans les contenus. C’est sur base de ces données chiffrées que les équipes sont informées, ce qui permet une prise de conscience du reflet de la société que nous projetons. Les personnes sont sensibilisées et celles qui le souhaitent peuvent effectuer une réflexion plus pointue sur la diversité et ses bienfaits à la RTBF Academy ».

La prise en charge de la diversité passe aussi par la façon dont on traite certains sujets. Ainsi, un des combats notoires de la journaliste est l’amélioration du traitement médiatique des violences faites aux femmes, dont elle dénonce la banalisation sur les réseaux sociaux.

Sous sa casquette de réalisatrice, elle veut offrir des portraits plus réalistes de la société et contribuer à élargir le paysage des représentations médiatiques. Tout récemment, c’est aux jeunes des quartiers dits « défavorisés » qu’elle a tendu le micro : à travers une série documentaire nommée Rive Gauche [1] », elle suit des étudiants d’une école professionnelle du nord de Bruxelles. « La jeunesse bruxelloise me préoccupe énormément car ce sont eux, à mon sens, qui font la société. A partir de là, j’ai trouvé intéressant de poser ma caméra pendant un an sur les bancs d’une école professionnelle à la lisière de Molenbeek, à Laeken. On s’est intéressé à ces jeunes, on a observé leur quotidien, où ils vivent, ce qu’ils vivent et ce n’est vraiment pas toujours facile. C’était simplement fascinant de voir à quel point ils avaient envie d’aller toujours plus loin et tout ce dont ils ont besoin, c’est d’un peu de reconnaissance. Ce sont des jeunes qu’on devrait voir plus souvent, tels qu’ils sont vraiment et non dans des rôles stéréotypés habituels, où l’on finit par avoir peur en les croisant. Notre objectif avec Joël Franka – le co-réalisateur - était de démonter ces stéréotypes et je pense que nous y sommes parvenus grâce à des histoires touchantes, drôles et universelles. »

Elisabeth Meur Poniris et Florian Glibert - Publié en mars 2018 dans le journal du festival À Films Ouverts

Cinq chiffres à retenir du baromètre diversité 2017

2,61% : ce chiffre indique la proportion d’individus racisés parmi les journalistes de l’information. Celle-ci était de 11,11% en 2013.
32,94% : c’est le pourcentage de figurant.es racisé.es que l’on rencontre dans les programmes sportifs. Ils et elles sont associé.es de ce fait au registre de l’affect et à l’univers ludique mais sont rarement solicité.es dans le cadre d’un discours critique ou d’une parole d’opinion.
20,56%  : c’est la présence des femmes sur les bancs des « experts », un chiffre en hausse depuis 2012. Dans les autres cas, les femmes apparaissent le plus souvent à l’écran pour porter « la voix du peuple » - s’inscrivant elles aussi dans un discours de l’ordre de l’émotionnel.
4,68% : c’est le nombre de personnes âgées de 65 ans apparaissant dans l’ensemble des programmes examinés. Elles sont près de quatre fois moins représentées à l’écran que dans la société belge (18,50%).
0 : c’est le nombre de personnes porteuses d’un handicap représentées dans les émissions de divertissement, comme les jeux télévisés par exemple.

Lien vers le baromètre : http://barometrediversite.be/

[1Ce nouveau documentaire, présenté en avant-première au Ramdam Festival de Tournai en janvier, est diffusé sur La Deux dans le courant de l’année 2018

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