Les tragédies environnementales dans le cinéma actuel
Cinéma : le vert est dans le fruit
La fin du monde a toujours été très prisée au cinéma, comme avant lui, dans d’autres supports. Après la fiction, le film documentaire s’est mis à creuser le filon d’une tragédie environnementale, pour sortir d’une relative confidentialité.
Des documentaires ou des fictions qui évoquent l’environnement, de loin ou de près, on en trouve à foison depuis bien longtemps. Jusqu’il y a peu, y compris dans les dessins animés les plus répandus, la nature était vue comme une entité hostile à l’homme, ou séparée de lui. Pour ne prendre qu’un exemple, tiré du domaine des productions pour enfants, Le livre de la jungle (The Jungle Book, Wolfgang Reitherman, 1968) [1] raconte le destin d’un petit d’homme élevé dans une jungle aux mille périls, qu’il traversera pour rejoindre la civilisation bienveillante. Aujourd’hui, l’axiome est inversé : l’homme est une menace pour la nature. Et ce faisant, se fait du tort à lui-même. Pour le plus jeune public, la meilleure illustration de ce renversement de responsabilités peut être fournie par les récents films sur le monde animal, victime des activités humaines, comme dans la série télévisée Les hydronautes , (Die Hydronauten, Udo Beissel, 2003).
Une vérité qui fait tendance
Avec Home (Yann Arthus-Bertrand, 2009), Une vérité qui dérange (An Inconvenient Truth, Davis Guggenheim, 2006), Le syndrome du Titanic (Nicolas Hulot - Jean-Albert Lièvre, 2009), le cinéma documentaire est sorti d’une niche jusque-là réservée à une certaine élite intellectuelle. Ces documentaires environnementalistes mêlent images spectaculaires de catastrophes et discours alarmants sur les dérèglements climatiques. Avec l’émergence de l’urgence environnementale, on assiste ainsi à une sorte d’âge d’or du grand documentaire populaire, trustant même les nominations aux Oscars. Même si on se souvient qu’à ses débuts, le cinéma mit quelques années avant de proposer de vraies œuvres de fiction.
On sait le succès rencontré par les films sur l’évolution du climat et, surtout, on connaît leurs retombées et développements tant sur un plan commercial ou médiatique, que politique. En 2007, le prix Nobel de la paix est ainsi venu récompenser Al Gore et Rajendra Kumar Pachauri, président du GIEC, pour leur participation au film Une vérité qui dérange .
L’intérêt d’un tel écho, c’est que l’on retrouve un cinéma qui veut et peut prendre parti. Ces différents terrains, laissés en friche de longues années, le cinéma les cultive aujourd’hui avec une rare minutie. L’émergence de la conscience verte a fait du développement durable un enjeu du cinéma d’aujourd’hui, en multipliant notamment les déclinaisons sociales de la problématique : les effets désastreux de l’agriculture à l’échelle industrielle ( Herbe , Matthieu Levain - Olivier Porte, 2009), confrontation de deux visions du métier de producteur de lait, l’une autonome et durable, l’autre inscrite dans un modèle industriel ; Le marché de la faim (We feed the World, Erwin Wagenhofer, 2007) ou comment l’industrie creuse l’inégalité nord-sud tout en déréglant l’environnement.
D’autres pointent les dérives mercantiles du secteur agroalimentaire : Food Inc. (Robert Kenner, 2008), critique acerbe de la production agricole de masse aux Etats-Unis ; Super Size Me (Morgan Spurlock, 2004), avouant son aversion pour la nourriture industrielle ; Fast Food Nation (Richard Linklater, 2006) révélant les dessous cachés de la chaîne de production alimentaire ; Le Monde selon Monsanto (Marie-Monique Robin, 2008) qui reconstitue la genèse d’un empire industriel devenu, à force de rapports mensongers, de collusion avec l’administration U.S., de tentatives de corruption, le premier de son secteur.
Plus généralement, les films mettent en scène le destin dramatique de notre société : Nos enfants nous accuseront (Jean-Paul Jaud, 2009), portrait sans fard de la tragédie environnementale qui guette, l’empoisonnement de nos campagnes par la chimie agricole et les dégâts sur la santé publique.
Depuis Océans (Jacques Perrin - Jacques Cluzaud, 2010) qui nous fait redécouvrir les créatures marines connues, méconnues, ignorées ; à Nous resterons sur Terre (Pierre Barougier - Olivier Bourgeois, 2009), jeu de miroirs et de contrastes entre cette nature miraculeuse et l’obsession de l’homme à vouloir la dompter ; L’Age de la stupidité (The Age of Stupid, Franny Armstrong, 2009), laissant le dernier humain rescapé de « la » catastrophe enregistrer ses mémoires et se demander pourquoi nous n’avons pas empêché le changement climatique ; … ce sont des pans entiers du cinéma qui se mettent à agiter le drapeau du développement durable.
Et cela passe aussi bien par la fiction grand public. Car la fiction, qui la plupart du temps imaginait l’ « après-cataclysme » de manière parfois très naïve, se mue elle aussi en discours du réel. Curieux paradoxe en effet, la fiction hollywoodienne la plus commerciale s’y met aussi. Mais comment ?
Apocalypse, now et surtout, tomorrow
Le cinéma actuel traite d’une problématique neuve (le dérèglement climatique), sur une échelle très large (mondiale ou globale). Il actualise un genre très ancien (la catastrophe, voire la fin du monde). Ainsi, Le jour d’après (The Day After Tomorrow, Roland Emmerich, 2004), promet un nouvel âge glaciaire suite aux dérèglements climatiques touchant autant et de manière également spectaculaire le semeur de blé dans les Andes, le trader de Wall Street, le cultivateur de riz dans l’Asie du Sud-Est. Et le cinéphile de ces régions. Naguère, le cinéma porteur d’une thématique environnementale contait plutôt les atteintes à un biotope local ( La foret d’émeraude , The Emerald Forest, John Boorman, 1985).
Les fictions qui portent à l’écran la « fin » du monde cristallisent les préoccupations de leur époque. Pour la première fois, le cinéma montre ou démontre une fin mondialisée via les thèmes climatiques, un rôle tenu naguère par les extraterrestres ou la guerre nucléaire. Ce dernier genre a culminé pendant la guerre froide, moment où la peur d’un conflit atomique Est-Ouest a généré des films gravés dans les mémoires du grand public, comme La planète des singes (Planet of the Apes, Franklin J. Schaffner, 1968). Plus tard, dans les années ‘80, l’accident de Tchernobyl insufflera d’ailleurs un nouvel essor à la mise en scène de l’après-nucléaire, civil cette fois : Chernobyl : The Final Warning (Anthony Page, 1991).
Le bonheur est dans l’après ?
Au cours de l’histoire du cinéma, comme par ailleurs dans l’histoire de l’humanité, les motifs de la fin du monde ont pu se révéler très divers. Certaines fictions pointent les éléments naturels comme responsables de la disparition de l’humanité ou d’une partie de celle-ci : éruption volcanique, envahissement de la terre par l’eau, tsunami géant, bombardement de neutrinos solaires ou autres catastrophes. Généralement, les scénarios tirent parti de faits réels locaux portés à une très, très grande échelle. Deux caractéristiques émergent : l’exagération de l’ampleur du phénomène, le raccourcissement de son développement dans le temps, aux fins de dramatisation.
Dans ce registre de la nature, les films envisagent aujourd’hui plutôt une catastrophe climatique subite et presque irrémédiable, conséquence directe de l’action de l’homme sur la nature. La glaciation, la désertification, la montée des eaux, la destruction d’une partie de l’humanité ( A.I. Intelligence artificielle , Artificial Intelligence : AI, Steven Spielberg, 2001), la tempête mondiale et incontrôlée ( Le jour d’après ). Ou bien, dans le prolongement des années SIDA, la pandémie, vieille crainte de l’humanité, qui décimerait notre espèce en très peu de temps ( 28 jours plus tard , 28 Days Later , Danny Boyle, 2003).
Sur le thème de l’apocalypse industrielle, les réalisateurs exploitent plutôt le filon de la catastrophe d’origine humaine, autre que nucléaire. Par exemple, une pollution telle que l’homme ne peut plus vivre sur terre ( Wall-E , Andrew Stanton, 2008). Une thématique portée également jusqu’au traitement esthétique par l’absurde du documentaire de Yann Arthus-Bertrand ( Home , 2009).
Enfin, l’apocalypse humaine, autre déclinaison de la fin du monde, décrit un écrasement des liens sociaux, un désastre économique massif, un épuisement des ressources naturelles, susceptibles de dégénérer en conflits ethniques ou religieux, un point de vue développé en partie par Nicolas Hulot ( Le syndrome du Titanic , 2009).
Plus généralement, les films sur la fin du monde relaient le propos public suscité par le dérèglement climatique, mettent en scène ce qui nous guette aujourd’hui, non dans l’idée d’un "c’était mieux avant", mais dans celle d’un "faisons tout pour que ce ne soit pas plus grave dans le futur" ( La route , The Road, John Hillcoat, 2010), lorsque le climat est devenu glacial et que les flocons de neige sont de couleur grise. Sur ce plan, la plupart de ces films sont lestés d’une morale sous-jacente : sans l’action des autorités gouvernementales, de l’armée, du collectif étatique ou interétatique, appelés à la rescousse, l’avenir de nos sociétés ne peut que préfigurer le chaos.
En prenant à son compte la thématique apocalyptique, le cinéma populaire devient témoin d’une vision que la société porte sur elle-même, celle de la fin d’un Progrès omnipotent, scientifique et industriel assurant bonheur, prospérité ou a minori, subsistance à tous. De manière significative, dans Le jour d’après , Emmerich montre la difficulté qu’ont aujourd’hui les scientifiques à se faire entendre des politiques et des gens en général, comme l’indiquent les scènes de dialogue entre le vice-président et le climatologue, ou lorsque le fils de ce dernier veut convaincre les New Yorkais réfugiés dans la bibliothèque de ne pas en sortir.
L’heure de la vengeance a sonné
En 1960, déjà, dans La dernière femme sur terre , (Last Woman on Earth, (Roger Corman), une femme et son mari, accompagnés d’un autre homme, partent en croisière de lune de miel sur leur yacht, du côté de Puerto Rico, puis en promenade sous-marine. Au même moment, en surface, les plantes arrêtent de produire de l’oxygène. Au retour, ils découvrent qu’ils sont les trois survivants d’une humanité morte asphyxiée.
Si les craintes liées à la destruction de la planète par le biais de son environnement naturel sont fréquemment rapportées aux effrois millénaristes, elles ne sont aujourd’hui plus le fait exclusif d’une nature dotée d’une grande capacité de nuisance aveugle, ni de dirigeants politiques ivres de puissance militaire ou économique.
Elles sont le fait de l’être humain lui-même. Ou même de tous les êtres humains, dits « civilisés » et pervertis par cette même civilisation, comme le montre la contamination épidémique au départ de l’expérience scientifique ratée ( 28 jours plus tard ).
La nature se rebelle. Et s’en prend aux responsables. Dans Phénomènes (The Happening, M.N. Shyamalan, 2008), Central Park voit ses promeneurs adopter des comportements aberrants, puis connaît un inexplicable massacre qui laisse quelques centaines de promeneurs sur le caniveau. La thèse de l’attentat bioterroriste est retenue. Panique, exil massif vers la saine campagne. Mais c’est là le piège. La nature indique sa force : ce sont les braves arbres qui poussent les hommes au suicide collectif.
À l’écran, la nature est animée d’une capacité de révolte et pour ainsi dire, dispose d’un arsenal stratégique pour nous rendre la monnaie d’une mauvaise pièce. L’idée est celle d’une espèce de loi du talion, d’une nature revancharde dotée d’un caractère au fond très « humain ».
On trouve souvent là l’idée d’une philosophie de la nature inspirée du new age. Les théories Gaïa qui inspirent ce courant considèrent la Terre comme une entité dotée d’une capacité d’autocontrôle et d’autorégulation. L’existence de chaque être vivant est mise au profit de l’ensemble de l’écosphère. Chaque espèce a une influence sur la totalité de la planète. Si je tue une mouche, c’est tout l’équilibre de la planète qui est menacé, et, ressort fictionnel, un jour tout ce qui vole se vengera, un thème exploité dans un certain nombre d’horror movies, depuis longtemps déjà ( Les oiseaux , The Birds, Alfred Hitchcock, 1964). Gaïa, référence à la Terre Mère antique, prend plus récemment figure de matrice océanique dans le très célèbre Grand Bleu de Jean-Luc Besson (1988).
La terre est traitée sur un plan systémique, comme une entité vivante, avec laquelle il faut être en harmonie, comme le sous-entendent les divers projets télévisuels et cinématographiques de Nicolas Hulot ( Le syndrome du Titanic , ou encore le film le plus lucratif de l’histoire, Avatar (James Cameron, 2010), dans lequel les Na’vi figurent une forme pure de l’être humain, vivant en symbiose avec la nature, une harmonie naturelle, ayant développé une forme de métacommunion avec leur planète, plutôt que de prendre, comme nous, le chemin du développement technique et industriel. Sur ce plan, la rencontre des hommes et des Na’vi rappelle la Pensée sauvage de Levi-Strauss. Il n’existe pas de « pensée des sauvages » opposée à la nôtre, mais au contraire une constante universelle commune à tout homme que Cameron exploite dans son film
Dès lors, toute harmonie peut-être aisément rompue, l’équilibre initial brisé. Ressort dramatique de base au cinéma dégoupillé, soulignant le caractère désespéré de ce combat que le cinéma de fiction voit presque perdu d’avance. Presque …
Yves Collard
Média Animation
Mai 2010
[1] Il a été choisi ici d’indiquer le titre francophone des films cités, accompagné de leur titre en version originale, et la date de sortie en Belgique ou à défaut, en France.