Mercredi 28 mars 2012
Réseaux sociaux : la vie privée galvaudée ?
Le respect de la vie privée est-il compatible avec l’usage des médias sociaux ? Quels sont les risques encourus aujourd’hui ? Existe-t-il un code éthique ? Comment utiliser les réseaux sociaux ? Comment gérer la tension entre le besoin de communication sur ces canaux et les limites que les associations se donnent ?
Compte-rendu de l’intervention de Mr Stefan VERSCHUERE, vice-président de la Commission de protection de la vie privée, et de l’échange avec les participants.
Facebook est un produit incroyable, intéressant, utile, simple d’utilisation et gai. Et en plus, il est gratuit ! Malheureusement, il ne s’agit pas de « véritable » gratuité. C’est là qu’un enjeu apparait. Pourquoi Facebook, ce réseau social à grand succès, est-il entièrement gratuit ? C’est une question qu’il faut se poser plus souvent. On se doute pourtant bien que derrière Facebook, les réseaux sociaux et les moteurs de recherche comme Google de nombreux employés y travaillent. Avec quoi paie-t-on ces employés ? Comment paie-t-on ce service « gratuit » qui génère des échanges entre les utilisateurs ? Comment ces outils sont-ils structurés ?
A l’heure actuelle, quand vous allez sur Internet, vous laissez des traces de votre passage. Même si votre profil est « anonyme », c’est votre adresse IP et celle de votre machine qui permet de vous repérer. Plus vous vous dévoilez, plus le site web visité en constituera des informations.
Les sites tracent les internautes
Même quand vous consultez un article sur un site statique tel que Lesoir.be, celui-ci retient les thèmes visités. Le montage d’un article en ligne n’a en fait plus rien à voir avec le montage d’un journal papier. L’article numérique est constitué de nombreux liens vers des serveurs (photos, annonceurs, autres hyperliens, …) de sorte que lors de votre visite suivante, le site vous propose des articles reflétant des thèmes similaires. Ce qui est le cas de sites statiques, l’est aussi de sites collaboratifs (réseaux sociaux) ou de moteurs de recherche comme Google.
Le travail des données destiné à l’utilisateur est très efficace à partir d’un ordinateur personnel mais est également possible avec un ordinateur familial partagé par plusieurs personnes. Même lorsque vous partagez un ordinateur avec d’autres personnes, les machines retiennent et calculent les informations caractérisant votre personnalité (via des calculs de probabilité). Les machines créent des profils d’utilisation : heures types d’utilisation dans la journée, types de sites visités etc. Plus le temps passé sur une machine est long, plus les profils d’utilisateurs seront précisément identifiés et différenciés au sein d’une même famille. Sur Google, on remarquera par exemple une différence de résultats (classements, pubs…) de recherche d’une machine à une autre selon l’habitude de consommation. Les résultats d’une recherche peuvent aussi varier selon le profil d’utilisation si une même machine est partagée par un père de famille, une mère de famille et leur fils. Pour chaque utilisateur, Google proposera les liens les plus pertinents et les plus susceptibles de l’intéresser.
Une fausse gratuité
Une question d’éthique apparait au moment où Internet pénètre davantage notre intimité. Ce qui différencie Facebook et les réseaux sociaux de l’Internet plus statique, c’est que ce vous avez davantage l’impression d’explorer le monde. La réalité est tout autre car c’est en fait le monde qui entre chez vous. Comme dit précédemment, plus vous vous dévoilez, plus le site web visité en constituera des informations. Ces informations qui reflètent la personnalité de l’utilisateur aideront les entreprises à le confronter à de la publicité très ciblée puisqu’il sera identifié comme un client potentiel. Chez les réseaux sociaux, la capacité d’offrir un service est de plus en plus personnalisée grâce à l’énorme ressource d’informations très personnelles. La notion de fausse « gratuité » évoquée plus haut s’illustre ici très bien.
Si nous revenons aux moteurs de recherche, nous remarquons que la pertinence des résultats constitue à première vue un bénéfice pour l’utilisateur. Derrière cette apparence neutre se cachent peut-être des enjeux commerciaux. Quand on observe le fonctionnement de Lesoir.be, avec sa recommandation d’articles, ou celui de Facebook, avec sa publicité très ciblée, on pourrait en conclure que rien n’est le fruit du hasard…
Des risques pour la vie privée
Les machines calculent, retiennent, reproduisent, numérisent des contenus. Grâce aux ordinateurs, on peut tout voir, enregistrer ou numériser. Les réseaux sociaux sont un mode de communication, ils vont vite et sont productifs. Outre l’infraction à la vie privée à des fins commerciales, il existe également l’infraction à la vie privée entre utilisateurs. Le moteur de recherche Google est un outil intéressant pour garder un œil sur sa propre « e-réputation ». Pourquoi ne pas se « googliser » soi-même pour avoir une idée de ce qui se dit sur nous ? Avec l’usage massif des réseaux sociaux, on ne détient en effet pas toujours une mainmise sur notre identité. De nos jours, la vie numérique rattrape bien souvent la vie réelle. La sphère privée rattrape parfois la sphère publique (professionnelle) :
– un médecin a vu sa clientèle devenir plus réticente parce qu’une vingtaine d’années plus tôt, il avait renversé et tué un piéton en conduisant ivre. Lorsque l’on recherchait son nom pour trouver l’adresse où prendre rendez-vous pour une consultation, le moteur de recherche proposait aussi les infos « anciennes » relatant ce fait divers ;
– une prof d’université a vu sa réputation bafouée après que son ex-conjoint, quelque peu rancunier, ait posté une ancienne vidéo d’elle en plein ébat amoureux. Dès que l’on tape le nom de cette chercheuse, les moteurs ne s’intéressent pas aux thèses universitaires qu’elle a écrites, mais plutôt à cette vidéo sulfureuse….
Les utilisateurs ne sont pas toujours loyaux entre eux. Ils sont parfois malintentionnés à l’encontre d’autres utilisateurs. L’usage des réseaux sociaux est à portée de tous, c’est pourquoi il convient aux utilisateurs d’être des usagers responsables. Avec les machines, on peut récupérer tout contenu, le numériser. Les deux exemples évoqués restent néanmoins des faits divers mais ils prouvent bien que les réseaux sociaux réduisent les notions d’espace-temps. La machine ré-interprète toute information comme s’il s’agissait toujours d’une information fraiche. De la même manière, la prescription, utilisée en droit pour protéger le concerné, semble mise de côté. Puisque tout est accessible en tout temps et en tout lieu et que rien ne s’efface, il est plus difficile de tirer un trait sur un méfait du passé. L’absence de prescription qui concerne Internet exerce une terrible pression sur les personnes concernées par les informations non flatteuses. Le droit à la prescription n’est plus possible avec les réseaux sociaux et les moteurs de recherche.
Responsabiliser l’utilisateur
L’encadrement juridique de l’usage d’Internet ne joue pas en faveur de l’utilisateur. L’Union Européenne, notamment, est devenue un vecteur d’oppression avec son approche ultra-protectrice. Elle semble déresponsabiliser l’utilisateur en lui imposant un cadre d’utilisation. L’approche diabolisante adoptée ici est à éviter car le numérique peut tout à fait être manié à bon escient. C’est donc à l’utilisateur de profiter d’Internet tout en restant critique et responsable. C’est à l’utilisateur que revient la décision de son propre usage du numérique. Et pour ce faire, seules les mobilisations collectives peuvent y mener. Retenons avant tout que les supports numériques généralement utilisés sont neutres en soi. C’est la manière dont la société s’approprie ces supports qu’il faut parfois remettre en question. Concernant les réseaux sociaux, l’utilisateur se doit de les consommer sans oublier que les infos qu’il livre à ses contacts sont des infos qu’il livre également aux propriétaires du site qui lui livrent le service gratuitement.
Compte-rendu par Aïcha Cardoen (st)